C’était encore la fin de l’hiver et tout semblait pourtant vouloir faire croire au printemps, si ce n’était la bise cinglante qui dégageait les nuages ; le bleu qu’elle nous offrait annonçait déjà le givre qui viendrait au matin prochain.
Les dernières pluies avaient rempli les mares aux berges restées assoiffées depuis l’automne, faute de pluie et d’une neige suffisante. Cela redessinait la végétation hydrophyte de façon exquise, recouvrant tout à coup ce qui était resté émergé et moribond des mois durant.
Une fine pellicule d’argile et d’alluvions donnait aux potamots, au trèfle d’eau et autres nénuphars l’allure de sculptures délicates ciselées par un maître ferronnier qui les aurait fait ensuite couvrir d’or ou de platine.
Le fond un peu vaseux et mou de mes mares devint, sous les rayons dardés par un soleil encore bas sur l’horizon tout au long de la journée, l’embrasure d’un Klimt aquatique retourné à l’état sauvage à la faveur d’une mousson bourguignonne.
Je restai là un moment, à contempler cette œuvre improvisée et éphémère dont j’étais l’unique et chanceux spectateur. Je constatai aussi combien ce milieu ressemblait à une prairie féérique inondée, à un monde englouti dont j’aurais je ne sais comment récupéré la clé secrète. Les potamots nageants nageaient, l’eau mouillait et le soleil brillait, illuminant mon tableau comme une œuvre irréelle. Je me retins de plonger dans le liquide cristallin qui semblait m’appeler à le découvrir en son cœur.
La bise me ramena à la réalité.
Bientôt, j’irai cueillir quelques pieds, un peu joyeux, un peu à contrecœur. J’irai diffuser un peu de ces merveilles dans des mares qui ne sont pas les miennes, offrant aux tritons d’ailleurs et aux jardiniers rêveurs un autre sanctuaire étincelant.
Eric Lenoir, La pépinière aquatique