Une étude scientifique française révèle la présence massive de pesticides dans les nuages. Ces substances chimiques agricoles voyagent dans l’atmosphère. Et, elles contaminent des zones éloignées via les précipitations. Voici donc que se posent de nouvelles questions environnementales et sanitaires !
Un observatoire scientifique au sommet du puy de Dôme
Les chercheurs français ont mené une étude inédite à la station du puy de Dôme. Ils ont installé un observatoire atmosphérique situé à 1465 mètres d’altitude en Auvergne. Ce site, perché au sommet d’un ancien volcan de la chaîne des Puys, offre les conditions idéales pour étudier la composition chimique des nuages.
Une position géographique stratégique
Cette montagne constitue une barrière orographique, c’est-à-dire un obstacle naturel qui force les masses d’air à s’élever lorsqu’elles rencontrent le relief. Ce phénomène favorise la condensation de la vapeur d’eau et la formation de nuages. Ils enveloppent régulièrement le sommet et permettent aux scientifiques de prélever directement l’eau qu’ils contiennent.

6 échantillons d’eau de nuage
Entre septembre 2023 et avril 2024, six échantillons d’eau de nuage ont été collectés. Ces prélèvements ont ensuite été analysés par le laboratoire Phytocontrol,. Ce labo est spécialisé dans la détection de résidus de pesticides ; il utilise des techniques chromatographiques couplées à la spectrométrie de masse. Ce sont des méthodes analytiques de pointe. Elles permettent d’identifier et de quantifier précisément les molécules présentes, même à des concentrations extrêmement faibles.
La région Auvergne est l’une des moins peuplées de France. Elle présente un contraste important entre ses zones montagneuses préservées et les plaines agricoles intensives.
32 substances détectées dans les nuages
Les résultats de l’étude sont sans appel : chaque échantillon de nuage analysé contient des pesticides. Au total, 32 substances chimiques différentes ont été identifiées. Elles appartiennent à diverses catégories de produits phytosanitaires et biocides.
Les concentrations totales de ces substances varient considérablement d’un échantillon à l’autre, allant de 0,03 à 1,45 microgramme par litre (µg/L). L’échantillon le plus contaminé a été prélevé le 22 septembre 2023, avec une concentration totale atteignant 1,45 µg/L, tandis que celui du 15 avril 2024 présentait la concentration la plus faible à 0,03 µg/L. Cette variabilité temporelle reflète l’influence des saisons agricoles, des pratiques d’épandage et des conditions météorologiques sur la contamination atmosphérique.
Ces molécules incluent des :
- fongicides, substances utilisées pour protéger les cultures contre les champignons parasites
- herbicides, produits destinés à éliminer les plantes adventices (mauvaises herbes)
- insecticides, composés pour lutter contre les insectes ravageurs
- biocides, substances antimicrobiennes à usage non strictement agricole
- produits de transformation, molécules issues de la dégradation chimique ou biologique des pesticides d’origine

Les plus fréquents : mesotrione, anthraquinone et DEET
Parmi la trentaine de substances détectées, plusieurs se distinguent par leur présence récurrente ou leurs concentrations particulièrement élevées.
> Le mesotrione, un herbicide largement utilisé dans les cultures de maïs pour contrôler les dicotylédones (plantes à feuilles larges), atteint la concentration record de 620 nanogrammes par litre (ng/L) dans l’échantillon du 13 septembre 2023. Cette molécule agit en inhibant la biosynthèse des caroténoïdes, pigments essentiels à la photosynthèse des plantes.
> L’anthraquinone, produit de dégradation photochimique d’un fongicide, mérite une attention particulière. Elle est présente dans l’ensemble des six échantillons, avec des concentrations allant de 1,47 à 31,62 pg/m³ (picogrammes par mètre cube, après conversion atmosphérique). Cette présence systématique suggère une contamination de fond persistante de l’atmosphère, indépendante des variations saisonnières d’épandage.
Agricole, mais pas seulement !
> Le DEET (N,N-diéthyl-m-toluamide), principalement connu comme répulsif anti-moustiques dans les produits d’usage domestique, est quantifié jusqu’à 200 ng/L. Sa détection dans les nuages illustre la diversité des sources de contamination atmosphérique. En effet, cela dépasse le seul cadre des pratiques agricoles.
D’autres substances préoccupantes incluent le DMST (déméthylsulfamide), métabolite d’un fongicide atteignant 600 ng/L, le benzothiazole, utilisé comme anticorrosif industriel (93 ng/L), et le triphenyl phosphate, un additif industriel employé comme plastifiant et retardateur de flamme (240 ng/L).
La présence de produits de transformation témoigne de la réactivité chimique de l’atmosphère. Les pesticides initialement émis subissent des processus de dégradation. Ils ont lieu sous l’effet du rayonnement solaire, des radicaux libres et des réactions avec d’autres composés atmosphériques, et génèrent des métabolites qui persistent dans les nuages.
Tracer les trajectoires
Comprendre la provenance de ces pesticides atmosphériques était fondamental. Les chercheurs ont reconstitué les trajectoires des masses d’air sur 72 heures précédant leur arrivée au puy de Dôme.
L’analyse révèle une forte variabilité dans l’origine des masses d’air. Certains nuages proviennent majoritairement de l’océan Atlantique. L’échantillon du 3 avril 2024 montre que la masse d’air a passé 76,3% de son temps au-dessus de la mer, là où se concentrent les émissions de surface.
CQFD
D’autres échantillons révèlent une forte influence continentale. Celui du 13 septembre 2023 indique que 67,7% du temps a été passé au-dessus des terres. Toutefois, force est de constater que les concentrations les plus élevées de pesticides correspondent aux masses d’air ayant récemment survolé des zones agricoles intensives. Cette corrélation entre trajectoires et contamination permet d’identifier les régions sources et de comprendre les mécanismes de transport atmosphérique des pesticides.

Il est temps de comprendre pourquoi il est absolument vital de s’en passer au plus vite !
Des niveaux alarmants
Les scientifiques ont confronté leurs mesures atmosphériques aux données de surveillance des rivières et ruisseaux auvergnats. Ils ont utilisé les mesures de la base nationale Eau et Phyto.
Cette comparaison révèle que la contamination des nuages est comparable, voire parfois supérieure, à celle des eaux de surface.
Par exemple, dans les cours d’eau de la région, certains points de prélèvement montrent des concentrations individuelles de pesticides dépassant 2 µg/L (seuil de pollution significative), tandis que d’autres restent sous 0,1 µg/L.
Les nuages présentent une gamme de contamination comparable, démontrant que l’atmosphère constitue un réservoir de pesticides aussi important que les eaux de surface.
Or les eaux de surface font l’objet d’une surveillance réglementaire stricte dans le cadre de la Directive Cadre européenne sur l’Eau. Et, le compartiment atmosphérique demeure largement non réglementé et sous-surveillé pour le moment. C’est très préoccupant !

Les pesticides se promènent
L’étude démontre clairement que les pesticides ne restent pas confinés aux parcelles agricoles où ils sont appliqués. Après épandage, ces substances subissent plusieurs processus de transfert vers l’atmosphère.
La volatilisation sous l’effet de la température, du vent et de l’ensoleillement, en est une. Une fraction des pesticides appliqués s’évapore depuis les sols, les plantes et les eaux de surface. Cette fraction, selon les propriétés physico-chimiques de chaque molécule, peut atteindre jusqu’à 90% de la quantité épandue.
Une fois dans l’atmosphère, ces molécules sont captées par les gouttelettes d’eau lors de la formation des nuages. Transportées par les systèmes nuageux sur des centaines, voire des milliers de kilomètres, ces substances contaminent ensuite des zones éloignées lors des précipitations. Ce processus de dépôt humide apporte régulièrement des pesticides dans des régions vierges de toute activité agricole : massifs montagneux, forêts primaires, zones protégées, lacs d’altitude.

Des implications écologiques et sanitaires majeures
Cette découverte soulève des préoccupations multiples pour la santé publique et les écosystèmes.
Les populations d’altitude et les zones rurales éloignées des cultures ne sont pas à l’abri de l’exposition aux pesticides. Les précipitations constituent une voie d’apport chronique de ces contaminants, y compris dans des régions de montagne réputées préservées.
La pureté des zones éloignées mise à mal
Les habitants de ces zones, souvent valorisant la pureté de leur environnement, se trouvent exposés à une pollution atmosphérique insoupçonnée.
La qualité de l’eau potable est également concernée. Les captages d’eau en altitude, les sources de montagne et les lacs utilisés pour l’approvisionnement en eau subissent ces dépôts atmosphériques. Cette voie de contamination s’ajoute aux pollutions de surface et souterraines habituellement surveillées. Et cela va complexifier grandement la protection des ressources en eau.

Les zones humides en danger
Les écosystèmes sensibles, comme les tourbières d’altitude, les pelouses alpines, les forêts de montagne ou les zones humides protégées reçoivent régulièrement des cocktails de pesticides via les précipitations. Les effets de cette exposition chronique à faibles doses sur la biodiversité restent largement méconnus. Sans compter l’effet cocktail !
Enfin, la persistance de certains pesticides et métabolites dans l’atmosphère soulève la question de leur durée de vie et de leur capacité à se promener autour du globe.
Il est indispensable de surveiller et de réglementer
Cette étude appelle à une attention accrue. D’ailleurs, les chercheurs recommandent le déploiement de réseaux de mesure atmosphérique des pesticides dans plusieurs régions.
Cette recherche questionne une fois de plus les procédures d’autorisation de mise sur le marché des produits chimiques, dit phytosanitaires. Il va falloir désormais s’intéresser à leur capacité à rejoindre les nuages.
Les nuages, couvrent en permanence environ 70% de la surface terrestre. Ils constituent ainsi un vecteur majeur de dispersion globale des pesticides.


