Dans ce livre, Baptiste Morizot explore les relations entre l’eau et la vie avec une attention particulière au castor, comme ambassadeur de ces liens. Les aquarelles de l’artiste Suzanne Husky racontent le temps profond des rivières, une période de cohabitation avec ces animaux. Ces dessins à l’eau, paysages de rivières en bonne santé, schémas sensibles, coupes de terrain, frises temporelles, entrelacent les disciplines de l’hydrologie, de l’agriculture et de l’histoire.
Vivre dans un monde asséché
Le philosophe commence par rappeler qu’en Europe occidentale, les territoires ont été aménagés de manière à augmenter la surface de zones cultivables et constructibles. Ce qui a entrainé la simplification du réseau hydraulique et des bassins versants. Il émet l’hypothèse que la présence des castors permettrait de dépolluer les eaux, de remplacer les nappes phréatiques, de lutter contre les sécheresses agricoles, de réduire les inondations, de maintenir les incendies à distance et d’accueillir une diversité riche. Les castors, explique-t-il, construisent des systèmes de barrage qui contribuent à la fois à ralentir et à rendre complexe le chemin de l’eau dans les terres.
Morizot décrit la rivière en bonne santé qui se caractérise par une multiplication de chenaux secondaires, qualifiée ainsi d’anabranche. Il revient sur l’histoire de nos relations avec le peuple castor et nous fait comprendre la nécessité de passer une alliance avec celui-ci. Ces animaux sont en effet capables de rendre habitables les milieux et maintiennent leur hydratation.
Guérir le temps profond
Continuons d’avancer dans la compréhension des rivières. Ce sont des milieux vivants branchés à la terre nous dit l’auteur. Or celle-ci est déconnectée des plaines et des terrasses alluviales, des zones inondables, des ripisylves, des zones humides et des sols, nous précise-t-il. Il présente le principe du low-tech process-based restauration qui consiste à permettre la venue des dynamiques végétales et des dynamiques castor dans des rivières désertifiées. Cette méthode prend appui sur la collaboration avec la présence des castors dans un temps long et en acceptant les possibles transformations, notamment celles qu’instaure la vie de la rivière.
En observant les comportements des castors, le philosophe révèle de quelle manière ceux-ci construisent des barrages, notamment en mettant le bois en parallèle du courant, allant dans le sens de la rivière. De cette façon, explique-t-il, ces animaux rouvrent des eaux reliques et activent des flux, des dynamiques. Il ajoute que la rivière est capable de se régénérer de manière autonome, de protéger la vie humaine et non humaine. Baptiste Morizot en vient progressivement à la définition de la médecine castor qui participerait à l’auto guérison du monde vivant. Il s’agirait de faire confiance à un animal qui interagit et co-évolue avec la rivière depuis des millions d’années. De fait, il convient d’observer et de suivre les dynamiques aquatiques, végétales, animales, fongiques et érosives qui contribuent à la régénération des milieux fluviaux caractérisés notamment par une multitude d’interdépendances.
Participer à l’autoguérison du monde
Morizot poursuit le déroulement de sa pensée en nous amenant à comprendre la vie propre au cours d’eau. Laissant celle-ci s’épanouir, nous dit-il, le cours d’eau peut prendre plus de largeur et restaurer une forme de complexité qui lui est originaire. Écoutons comme lui de quelle manière la présence du bois et des castors permettrait aux rivières de devenir des refuges climatiques contre la sécheresse et des lieux à partir desquels la vie peut repartir.
Dans son épilogue, l’auteur dresse une méthodologie pour favoriser l’alliance avec le peuple castor. Dans un premier temps, il préconise de favoriser la coexistence avec ces êtres vivants. Puis, il énonce la nécessité de renforcer les populations existantes, d’améliorer leurs habitants. Sa pensée nous amène à envisager la collaboration habitants et castors de façon à accueillir des formes de vie pour prendre part à l’auto guérison des milieux.
En clôture de Rendre l’eau à la terre, Suzanne Husky nous éclaire sur les manières dont ses dessins permettraient de comprendre la rivière, le comportement du castor et son agentivité vis-à-vis de ce milieu.