Camille Contoux est maraîchère aujourd’hui dans la Ferme collective du Pas de Côté à Saulx-les-Chartreux. Auparavant, Docteure en paléoclimatologie, elle a passé 10 ans en recherche fondamentale sur le climat au CNRS. Pourquoi cette chercheuse a-t-elle aujourd’hui les pieds et les mains dans la terre ?
Des ppm en trop !
Cette jeune chercheuse se passionne pour les climats anciens qui permettent d’éclairer ceux qui nous attendent, mais aussi de comprendre pourquoi notre situation est plus difficile qu’autrefois. Elle me raconte qu’au Miocène, il y a 10 millions d’années les taux de CO2 étaient alors très élevés, autour de 360 ppm (partie de CO2 par million de particules d’air). Si on compare à 1964, on comptait alors 319 ppm. Au Pliocène, il y a 3 millions d’années, le taux avait augmenté à 400 ppm. L’évolution s’était déroulée sur environ 7 millions d’années, laissant à la faune et la flore tout le temps nécessaire à l’adaptation. En 2020, le taux étaient de 415 ppm. (source). Ça signifie que l’évolution actuelle plus grande encore s’est faite sur une soixantaine d’années.
“Aujourd’hui, ce taux augmente trop vite et sa rapidité engendre un bouleversement géologique incroyable à l’échelle de la terre.” s’écrie Camille
Différencier le climat de la météo
Pour comprendre ce qui nous arrive et pouvoir faire les bons choix au jardin comme dans la vie, il faut des bases. Camille Contoux constate avec dépit que la confusion entre météo et climat reste un vrai frein à la compréhension des événements. “Le climat, c’est un truc qui n’existe pas dans la vraie vie, parce que c’est un concept. C’est le calcul d’une moyenne de températures, de précipitations…, dans un temps défini sur un espace déterminé. Personne ne vit ça, personne ne ressent ça. Et d’ailleurs, lorsque je travaillais en laboratoire, tous les scientifiques peinaient à réaliser ce que montraient les calculs.
La météo, c’est le contraire, on la ressent tous les jours. On a chaud, froid, trop ou pas assez d’eau, de lumière et de soleil. Le problème, c’est qu’on ne se souvient pas des variations au jour le jour. On ne garde en mémoire que les épisodes extrêmes ou le sentiment confus qu’il faisait beau ou pas. Et pourtant, le climat lorsqu’il se dérègle, comme c’est le cas depuis un moment déjà, modifie la météo.” Les dernières inondations en Espagne, en Italie ou dans le nord de la France en sont les témoins désastreux. Ce qui change le plus ce sont les épisodes extrêmes qui sont souvent plus nombreux, mais surtout plus intenses.
Jardiner pour le climat et le plaisir
Jardiner pour atténuer le changement climatique, c’est possible. C’est d’ailleurs ce qu’essaie de faire entendre Mathieu Petot, le créateur de la Fresque des jardins-forêts. Parce que nous pouvons, chacune et chacun à notre échelle, contribuer à la création d’un micro-climat et d’une zone de biodiversité. Chaque jardin, selon la densité et la variété des plantations, crée un îlot de fraîcheur et des habitats pour la petite faune. Ce qui est important pour Camille Contoux comme pour Mathieu Petot, et que répète inlassablement Marc-André Selosse, biologiste, c’est de remettre de la matière organique dans le sol, car on favorise ainsi le stockage du carbone. Mais ce n’est pas tout, ça permet aux sols d’être plus spongieux, donc d’être capables d’absorber l’eau même quand il en tombe beaucoup, et de la conduire vers les nappes phréatiques. Un sol en mesure de retenir l’eau sera plus résilient, c’est-à-dire capable de résister à l’adversité et de se rééquilibrer. Il sera plus riche en nutriments et le jardinier obtiendra de meilleurs rendements au potager, de plus belles plantes au jardin d’ornement.
Le compost, c’est très bien
Côté matières organiques, la maraîchère confirme : “le compost, c’est très bien”. C’est très bien pour le sol des jardins et donc pour nourrir les plantes. Mais c’est aussi très bien pour le climat, car “c’est totalement absurde de mettre des matières pleines d’eau dans la poubelle pour aller les brûler dans un incinérateur. Brûler de l’eau, ça n’a aucun sens.” Donc en termes énergétiques, le compost, c’est une sobriété. “Évidemment, si vous achetez et mangez des produits pleins de pesticides, ils seront dans votre compost, puis sur vos cultures.” Mais Camille comme Bertille Darragon, auteure de Jardiner dans les ruines, quels potagers dans un monde toxique ? reconnait que l’équation n’est pas simple.”Nous avons tellement pollué partout qu’il est bien difficile d’y échapper, mais on peut ne pas en ajouter, en n’utilisant aucun produit chimique dans le jardin” et en consommant aussi bio que possible.
L’expérience
Et même quand on est en agriculture biologique comme nous, ce n’est pas si simple. Nous, dans notre ferme, nous sommes entourés d’agriculteurs conventionnels. Donc, nous ne sommes vraiment pas sûrs de la qualité de l’eau qui vient de la nappe ! On se demande aussi ce qui est filtré par le sol. Ce n’est pas immaculé, c’est certain.
Réduire l’intervention des machines
C’est vrai quand c’est son métier ou lorsqu’on doit entretenir un grand jardin. “Il faut vraiment utiliser moins de machines, en particulier les machines à moteur thermique et celles qui sont très lourdes.” dit Camille Contoux. Les machines sont sans pitié pour le sol bien souvent, parce qu’elles le tassent. Mais elles sont aussi dangereuses pour la petite faune. Ainsi, chaque année, les robots-tondeuses tuent des quantités de hérissons, indispensables aux équilibres des écosystèmes. Le hérisson, animal nocturne, se roule en boule à l’arrivée du robot dont les lames le blessent à mort. Si vous utilisez une de ces machines, renoncez à la tonte de nuit pour sauver ces petits animaux très précieux ! De même, si vous taillez vos haies, évitez le taille-haie pendant les périodes de nidification et de reproduction des oiseaux. Votre haie, un peu ébouriffée certes, est leur maison” recommande la climatologue.
Favoriser la biodiversité, c’est bon pour le climat
“Mon premier conseil pour le jardin, ce n’est pas directement en termes de climat, mais plutôt de biodiversité. Parce qu’aujourd’hui il y a une deuxième énorme crise, liée à l’agriculture chimique et l’utilisation de pesticides, qui est la perte catastrophique de biodiversité. Et, nous, dans nos champs, on se rend compte que les endroits dont on ne s’occupe pas et où les plantes reprennent leur liberté sans tonte ni broyage accueillent une biodiversité absolument astronomique”, témoigne Camille Contoux.
L’expérience
“Devant notre parcelle de chou, on s’est complètement laissé déborder par des adventices qui faisaient plus d’un mètre de haut. Et cet été, à chaque fois que je passais, 200 moineaux s’envolaient de là. Donc même sur une toute petite zone qui faisait peut être 4 ou 5 mètres carrés, si on laisse faire les choses, il a y a une biodiversité énorme qui s’installe. Dans votre un jardin, bien sûr, vous allez vouloir tondre la pelouse le plus bas possible pour éviter de le faire souvent. Mais on ne doit pas le faire tout le temps.
Et ce n’est pas si difficile de laisser des zones sauvages dans votre jardin pour que les insectes, les papillons, les oiseaux, les crapauds, les animaux en tout genre aient une maison. Tout simplement parce qu’on peut pas vivre dans un centimètre de pelouse ! Il n’y a pas de vie dans un centimètre de pelouse !
Pourquoi la biodiversité est-elle bonne pour le climat ?
D’abord, comme le dit Quentin Vincent, écologue des sols, les plantes structurent le sol avec leurs racines. Elles guident l’eau vers les nappes phréatiques. Les étages que constituent les différentes variétés de plantes, d’arbustes et d’arbres conservent la fraîcheur au sol. I Dans l’air, grâce à l’ombre qu’elles projettent et à l’évapotranspiration qu’elles produisent, elles rafraîchissent. Et elles ralentissent le cycle de l’eau quand il est accéléré par les sols imperméabilisés ou nus comme le démontre l’hydrologie régénérative. “Elles sont, et tout particulièrement les arbres, des climatiseurs naturels”, confirme Ilian Moundib, auteur de S’adapter au changement climatique.
Ainsi les sols et les végétaux captent des gaz à effet (GES) de serre dans l’atmosphère et les stockent, constituant ainsi des puits de carbone. C’est ce que l’on appelle la séquestration du carbone. Ce processus est lié à la photosynthèse pour les végétaux et à la décomposi- tion de matière organique pour les sols. (cerema)
L’arrosage parcimonieux
Pour parvenir à arroser parcimonieusement, une nécessité devant les tensions de la ressource en eau, plantez local. “Il faut impérativement choisir des variétés adaptées au climat d’aujourd’hui pour toutes les plantes annuelles. Pour les arbres, c’est plus compliqué. Il faut trouver des essences qui puissent s’adapter au climat à venir.”
La bonne nouvelle est que des chercheurs travaillent. À l’INRAE de Clermont-Ferrand, Bruno Moulia explore la capacité des arbres à se souvenir des différentes conditions climatiques, brise légère ou intense tempête. Et, les arbres gardent une mémoire des aléas auxquels ils sont soumis. Arthur Gessler Professeur à l’Institut de recherche sur la forêt suisse, étudie les effets de stress sur le patrimoine génétique des conifères. Et, Etienne Bucher Docteur en virologie Agroscope, en Suisse, se penche sur la transmission des stress de chaleur d’une génération à l’autre. Il appelle cela une mémoire moléculaire.
Au jardin, évitez l’aspersion
“Pour l’arrosage, il faut faire attention à l’endroit où on plante, éviter les salades plein sud, ça c’est plutôt du bon sens. Et puis bien sûr, ne pas arroser en aspersion à 14 h parce qu’il y a une quantité énorme de cette eau qui ne va jamais toucher le sol. Elle va aller directement dans l’atmosphère. Mais je ne sais pas s’il y a beaucoup de gens qui ont encore de l’aspersion dans leur jardin. On arrose le matin ou le soir, à la fraîche et si possible avec des tuyaux micro-poreux placés le long des lignes de plantations. Comme ils n’arrosent pas juste au pied de la plante, mais sur toute la ligne, le sol autour est mouillé et même en profondeur. Et, ça participe à la vie du sol aussi.”
Dans les potagers, au pied des légumes qui ont besoin d’eau comme les tomates ou les salades, les ollas sont une solution particulièrement sobre.