Écoutez Sylvie Bitterlin et Clément Osé, auteur.es du livre “Les marchands de soleil” aux éditions Tana. L’une et l’autre racontent le combat militant mené sur la montagne de Lure dans les Alpes de Haute-Provence pour empêcher la destruction des arbres et la couverture des pentes de la montagne par des panneaux photovoltaïques. L’une et l’autre me confient leur amitié, leurs colères, leurs surprises et leurs déceptions au pays de Jean Giono.
La montagne de Lure est une des montagnes des monts du Vaucluse qui domine Forcalquier. Elle jouxte le mont Ventoux et le plateau d’Albion et culmine à 1825 mètres. Ici, la moindre source est précieuse pour les humains comme pour les animaux, car les cours d’eau y sont intermittents. La forêt a conquis peu à peu les anciens alpages désertés en partie par les bergers. S’y sont installés des cerfs, des chevreuils, des sangliers. Ils partagent l’espace avec des lièvres, des renards et les loups dont on comptait 4 à 5 meutes début 2023. Classée réserve de biosphère par l’UNESCO, une inscription au sein du réseau mondial des Réserves de biosphère qui est « l’un des moyens pour mieux préserver les milieux naturels, renouer les liens sociaux et améliorer le quotidien de tous », peut-on lire sur le site du Parc National du Lubéron.
Au-delà des grands animaux, la richesse de sa faune et de sa flore est exceptionnelle grâce aux influences alpines qui croisent celles de la Méditerranée. On compte 59 espèces d’oiseaux, des reptiles et des papillons en voie de disparition, comme le lézard ocellé et l’alexanor ainsi que sa plante hôte, la ptychotis saxifraga. En tout, ce sont 88 espèces protégées qui ont été recensées sur ce terrain.
Jean Giono y a écrit “l’homme qui plantait des arbres“.
Une nature à détruire
Le soleil toute l’année, la fraîcheur hivernale font de ce territoire un espace idéal pour les marchands de soleil. Entendez par là les industriels du panneau photovoltaïque qui trouvent là suffisamment d’agriculteurs et de communes en difficulté pour leur faire miroiter l’installation d’usines à produire de l’énergie solaire. Des centrales photovoltaïques sont déjà installées sur cette montagne.
S’agissant du parc solaire de Cruis, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) soulignait que le projet se situe « en zone naturelle remarquable ». Il se demande « pourquoi ne pas l’avoir placé à proximité de l’agglomération, de façon à réduire l’incidence sur les espèces protégées et le mitage des espaces ». Le CPNP est rattaché au ministère de la transition écologique.
Un opérateur
Boralex, multinationale canadienne, a été accompagnée par notre ministère de la transition écologique. Ce dernier est peu sourcilleux quant à la destruction des arbres pour produire une énergie pas si verte que ça. Il facilite l’implantation de cette centrale sans les autorisations nécessaires. Le site de Cruis est un parc composé de 29 000 panneaux avec un équivalent de production de 12 000 personnes/an. Ce faisant, il détruit ce pays de Jean Giono au charme irremplaçable et à l’avenir en danger.
Pourquoi les écologistes sont-ils en colère ?
- Des pans entiers de la forêt sont abattus. Pourtant, nous savons que les arbres sont les meilleurs protecteurs du climat, via le cycle de l’eau, de la biodiversité grâce à l’habitat qu’ils fournissent au-dessus comme au-dessous du sol et de la matière organique qu’ils produisent.
- L’élevage dont on vante les performances aux agriculteurs y est difficile. L’herbe n’y pousse plus bien et les animaux y sont infiniment moins protégés que sous les arbres.
- Les cultures ont des rendements faibles. L’installation de systèmes agrivoltaïques influe sur les radiations solaires, la température et l’humidité du sol situé sous les panneaux. La diminution du rayonnement reçu semble en être le facteur majeur et le rendement étant en moyenne 30% inférieur sous les centrales agrivoltaïques. (Unilasalle)
- Cette énergie n’a pas pour objet de permettre une transition, donc d’éviter la consommation d’énergie fossile. Elle répond à l’accroissement de la demande en énergie d’une façon pratique et peu coûteuse pour les industriels. En effet, c’est plus facile d’abattre des hectares de forêt que de négocier avec chaque propriétaire d’une maison d’y installer les panneaux solaires.
- Ces champs de panneaux solaires sont le résultat d’une sur-utilisation des ressources en matériaux sous tension, alors même que la question qui est posée aujourd’hui est celle d’une réduction de notre consommation.
- C’est une facilité faite à la manne financière aux dépens des sols, des espèces, du climat, des humains. La priorité est donnée au court terme et à la réduction des gaz à effet de serre au lieu de réfléchir la notre nécessaire sobriété.
Une éthique de la responsabilité
Les militantes et les militants se sont senti.e.s responsables de protéger la nature qui les entourait. Il s’agit là d’un devoir inscrit dans la Constitution française, donc d’une responsabilité citoyenne.
À l’heure qu’il est Boralex a été mis en demeure de régulariser une situation de construction illégale le 19 novembre 2024. Cela fait suite à un arrêté de la Préfecture de Dignes-les-Bains du 27 septembre. Cet arrêté n’exclut pas la possibilité d’un démantèlement. Le 31 mai dernier, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé la dérogation au droit environnemental dont bénéficiait l’entreprise contre des espèces protégées. Boralex a pourtant poursuivi les travaux et mis la centrale photovoltaïque en fonctionnement, se moquant de la décision de justice.
Sylvie et Claudine, habitantes, citoyennes et militantes, attendent le résultat de l’appel de leur condamnation pour avoir voulu défendre la nature. Surnommées « les gardiennes de Lure », Claudine Clovis et Sylvie Bitterlin ont été arrêtées, menottées et placées en garde à vue pendant 28 heures pour s’être allongées sur le chemin d’accès au parc solaire de Cruis. Elles avaient au préalable passé quelques heures enchaînées aux machines, et d’autres encore dans les arbres. Un combat perdu mais une lutte modèle.
…condamnée
C’est ce qui a conduit Sylvie, amoureuse de la nature et de la montagne de Lure, citoyenne engagée, à décider de faire barrage de son corps lorsque les tronçonneuses et autres engins destructeurs son arrivés à Cruis. C’est aussi ce qui a conduit Clément Osé,à se lancer dans l’écriture des Marchands de Soleil avec Sylvie pour raconter la lutte. Ce livre fait suite au livre à 4 mains avec Noémie Calais « Plutôt Nourrir », et à “De la neige pour Suzanne”
Extrait de “l’homme qui plantait des arbres” de Jean Giono
” Les chênes de 1910 avaient alors dix ans et étaient plus hauts que moi et que lui. Le spectacle était impressionnant. J’étais littéralement privé de parole et, comme lui ne parlait pas, nous passâmes tout le jour en silence à nous promener dans sa forêt. Elle avait, en trois tronçons, onze kilomètres de long et trois kilomètres dans sa plus grande largeur. Quand on se souvenait que tout était sorti des mains et de l’âme de cet homme — sans moyens techniques — on comprenait que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d’autres domaines que la destruction.
Il avait suivi son idée, et les hêtres qui m’arrivaient aux épaules, répandus à perte de vue, en témoignaient. Les chênes étaient drus et avaient dépassé l’âge où ils étaient à la merci des rongeurs ; quant aux desseins de la Providence elle-même, pour détruire l’œuvre créée, il lui faudrait avoir désormais recours aux cyclones. Il me montra d’admirables bosquets de bouleaux qui dataient de cinq ans, c’est-à-dire de 1915, de l’époque où je combattais à Verdun. Il leur avait fait occuper tous les fonds où il soupçonnait, avec juste raison, qu’il y avait de l’humidité presque à fleur de terre. Ils étaient tendres comme des adolescents et très décidés.” Jean Giono