Dire n’importe quoi sur les arbres en ville, ça suffit !

ARBRES EN VILLE • LYON
ARBRES EN VILLE • LYON • ©Isabelle Vauconsant

Caroline Mollie est architecte-paysagiste en retraite. Elle a passé des décennies à s’intéresser à un sujet : les arbres en ville. Ils ont toujours été intégrés au paysage urbain, mais leur rôle a évolué au fil de l’accroissement de la taille des villes. Et aujourd’hui, son dernier livre “À l’ombre des arbres /  Planter la ville pour demain” est un coup de gueule. 

“Je travaille sur les arbres en ville depuis si longtemps que lorsque je me promène à Nice, où j’habite, ou à Paris ou à Montreuil, où se trouve ma famille, je suis en colère !”

Caroline Mollie est exaspérée par les abattages intempestifs, les élagages inutiles ou nocifs, les plantations absurdes. La communication des villes fait en quelque sorte feu de tout bois. Et le dérèglement climatique est une nouvelle occasion de faire semblant alors qu’il y a urgence climatique et qu’on le sait.

Les villes deviennent de véritables cocottes-minute. L’été 2023 le confirme avec de 48 °C en Sardaigne, et plus de 40 °C plusieurs jours de suite en France ou en Italie. Le sud de l’Espagne évolue vers un climat sahélien et c’est bien sûr là où les sols sont les plus bétonnés que les températures vont être les plus dangereusement chaudes ou glacées.

Car, de plus en plus peuplées, les villes sont de plus en plus vulnérables.

Caroline Mollie - Architecte-Paysagiste
Caroline Mollie • Architecte-Paysagiste • spécialiste des arbres en milieu urbain
ARBRES EN VILLE • PLACE DE LA RÉPUBLIQUE À PARIS
Place de la République à Paris • ©Isabelle Vauconsant

De la com’ plutôt qu’une stratégie solide

Face aux rapports du GIEC toujours plus alarmistes, à l’inquiétude des populations, les états et les collectivités publiques ont une responsabilité majeure. Et pourtant, Caroline Mollie constate qu’au lieu de prendre en compte les indications des scientifiques, mais aussi des professionnels du végétal : paysagistes et botanistes, on entretient une confusion permanente qui ne prépare pas l’avenir. Par ailleurs, on maltraite les arbres en ville les plus anciens ou on les abat pour des raisons le plus souvent contestables.

Stop ! Ça suffit !

Pour Caroline Mollie, la multiplication des erreurs est catastrophique. Les arbres en ville ont toute leur place. Ils ont d’ailleurs toujours été là. Ils font pleinement partie de la conception même du territoire urbain. Leurs différents rôles sont une nécessité pour le bien-être des habitants et depuis peu, ils sont indispensables à la gestion climatique.

Il faut cesser de faire n’importe quoi

Cessez de couper les arbres…

surtout, pour construire de nouveaux bâtiments ou de nouvelles chaussées.

Ne plantez pas des arbres en pot !

“Je vois partout de grands pots avec des arbres dedans. Les arbres, en ville, comme ailleurs, ont besoin de place et de pleine terre pour étendre leurs racines et développer leur canopée.” En pot, leur système racinaire est contraint et ils sont soumis aux soins des humains pour l’arrosage. C’est un non-sens alors que la crise de l’eau est déjà là.

Arrêtez d’utiliser les arbres pour faire de la communication !

“Dans une ville de plusieurs milliers d’habitants, ça ne veut rien dire “un habitant, un arbre” ou “un bébé, un arbre”. C’est idiot ! La plantation d’arbres en ville est un métier et correspond à une planification pensée. Et ce d’autant que souvent ce sont les mêmes qui signent des chartes de l’arbre ou affichent des chiffres sans aucun sens et qui abattent des sujets de plus d’un demi-siècle. Or le service rendu par un arbre de 50, 100 ou 150 est irremplaçable sauf à attendre autant.”  Caroline Mollie s’agace de l’affichage fait par la ville de Milan en Italie : le projet ForestaMi a pour objectif de planter trois millions d’arbres dans l’agglomération d’ici 2030, soit un arbre pour chaque citoyen. “On donne des chiffres qui font bien dans les journaux, mais ce n’est pas un travail de fond.”

Ne prenez pas des bosquets pour des forêts !

“Cette histoire de mini-forêt me met très en colère. C’est une mode, sortie d’un chapeau japonais, qui fleure bon l’exotisme. On fait croire aux urbains qu’il est possible, d’un coup de baguette magique, d’introduire la forêt dans la ville. C’est un mensonge.” Les arbres en ville ne sont pas des gadgets marketing. Une forêt est un écosystème qui a besoin d’espace, d’espèces et de temps. “Le mieux qu’on obtient au bout de quelques années de mini-forêt, ce sont des broussailles qui, bien entretenues, peuvent devenir un bosquet. Mais le plus souvent, c’est une broussaille dont le rôle principal est d’accueillir les papiers gras et les canettes.

ARBRES EN VILLE • LYON
ARBRES EN VILLE • LYON • ©Isabelle Vauconsant

Oubliez les murs végétaux !

Les immeubles dits végétalisés et les murs végétaux “sont des arguments de vente pour les promoteurs”. Ils ne survivent que rarement au temps qui passe. Ils demandent un entretien très coûteux en ressources naturelles (renouvellement des plants et arrosage entre autres), en temps et en argent.

ARBRES EN VILLE • SAINT-PRIEST
ARBRES EN VILLE • SAINT-PRIEST • ©Isabelle Vauconsant

Pourquoi nous voulons des arbres en ville ?

De tout temps, ils ont fait partie de la conception architecturale et paysagère de la ville. Mais sous quelle forme les aimons-nous ?

Caroline Mollie s’insurge contre l’idée que la demande des citadins serait de voir revenir le sauvage. Car, les citoyens, comme les pouvoirs publics portent un regard ambivalent sur le sauvage. Même si certaines études montrent une incontestable demande pour du  sauvage, il serait illusoire de considérer qu’elle est concrète, en particulier dans les villes. “Lorsqu’on leur demande leur avis, les gens demandent des parcs et jardins, praticable pour la déambulation comme pour jouer, se détendre ou faire du sport.” dit Caroline.

 

Extrait

De nos jours la végétation, par opposition au minéral, occupe une place importante dans le tissu urbain des villes occidentales. Elle est de plus en plus désirée par les urbains pour leur permettre de supporter la ville, de l’accepter dans leurs pratiques et usages quotidiens. Les espaces verts sont des lieux de détente et de récréation, prisés par les citadins.

D’après une enquête menée sur les pratiques et le ressenti de visiteurs de trois parcs urbains nantais et auprès d’habitants d’un quartier durable d’Angers, il en ressort une volonté réelle des usagers de faire une coupure avec la ville, de se retrouver dans un endroit calme ou de pratiquer une activité. L’ambiance du parc (entretenu/sauvage) ne semble pas avoir d’influence sur le ressenti des usagers. Ces résultats permettent de cerner les demandes de nature pour pouvoir mieux y répondre lors de futurs aménagements urbains.

Considérer la végétation urbaine comme un moyen de fuir, cacher et faire oublier la ville est la première de ces tendances et une attitude très fréquente de la part des habitants. Par là, elle rend la ville supportable. Se retrouver au milieu de la végétation permet de retrouver le contact de la nature et d’effacer de son esprit les aspects jugés les plus négatifs de la ville (stress, bruit, agitation). L’espace vert se définit alors en termes de calme, de lutte contre le bruit, de relaxation, de détente, etc. Fréquenter un parc ou un jardin permet de se ressourcer, de s’aérer.

À cela, il est possible d’adjoindre le parc comme un lieu de rencontre (37 %) et d’activités ludiques (32 %), mais aussi un lieu dépourvu de bruit qui représente 37 % des réponses.

ARBRES EN VILLE • PARIS
ARBRES EN VILLE • PARIS • ©Isabelle Vauconsant

Notre métier : c’est donner du plaisir aux habitants

“Je suis architecte-paysagiste. Cela signifie que mon métier, c’est de travailler avec les arbres et les autres plantes pour rendre la ville agréable. Mon rôle, c’est de permettre aux arbres de grandir dans de bonnes conditions, mais aussi de mettre des bancs en dessous et de créer des espaces utiles aux gens.”

Et la biodiversité en ville ?

Même si, comme le conseille l’OFB (Office français de la biodiversité), la préservation de la biodiversité est un sujet important dans les villes, ce n’est pas une vraie priorité pour Caroline Mollie. “La biodiversité dans les villes est souvent plus riche que dans les grandes régions vinicoles ou céréalières. Car là, non seulement on est monocultural et de fait sur une biodiversité minime, mais on est aussi souvent sur une diversité génétique très faible.”

“En revanche, les arbres en ville ont un rôle majeur en face du réchauffement. Et lorsqu’ils abritent une biodiversité animale (insectes et oiseaux), ils nous procurent un bien-être lié aux chants et pépiements.”

De quoi les arbres en ville ont-ils besoin ?

D’abord d’être conservés lorsqu’ils sont installés.

De place, donc de fosses assez vastes lorsqu’on les plante.

Caroline Mollie : “Il est urgentissime de planter les arbres dans les bonnes conditions. Ce sont celles qui vont leur permettre une bonne survie, une bonne adaptation. Cela veut dire les planter le plus jeune possible, de façon à ce qu’ils s’implantent bien. Il est indispensable de les installer en terre dans des sols perméables. Les collectivités parlent beaucoup de désimperméabiliser. C’est extrêmement important, car plus l’eau peut pénétrer en profondeur, mieux le jeune arbre s’adapte. Il crée un système racinaire qui va s’enfoncer pour aller chercher l’eau parce que c’est là que sont des réserves d’humidité.

On revient en fait à des pratiques de bon sens : bien planter et donner suffisamment de terre et d’humidité. Après, il faut prévoir suffisamment d’espace pour sa couronne, pour une meilleure résistance à la sécheresse.”

ARBRES EN VILLE • FRUITIERS À MONTREUIL • MURS À PÊCHES
FRUITIERS À MONTREUIL • MURS À PÊCHES ©Éric Lenoir

Et si on renonçait aux incohérences ?

Malheureusement, les équipes de jardiniers des collectivités locales sont trop peu fournies pour s’occuper de beaucoup de petits arbres. L’été, ils meurent faute d’arrosage suffisant, une partie des équipes prenant des vacances méritées !

“C’est d’autant plus vrai que les mêmes municipalités s’obstinent à planter ces arbres en pot ou bien dans des fosses trop petites. Donc, ces arbres en bac sont arrosés quand le jet d’eau municipal passe, mais alors que les particuliers se voient interdire d’arroser leur jardin, il y a quand même quelque chose qui ne fonctionne pas ! On ne peut pas dire une chose et faire son contraire. “Ce n’est vraiment pas sérieux” s’insurge Caroline Mollie.

Pourquoi ne pas mettre des arbres fruitiers en ville ?

“Corinne Bourgery, qui a préfacé ce livre et a contribué à son écriture avec moi est, tout comme moi, très circonspecte quant à l’implantation de fruitiers en ville.” Ce sont des arbres beaucoup plus fragiles que les autres. Ils ont besoin de tailles beaucoup plus fréquentes et techniques pour éviter les maladies et bien fructifier. Ce sont, pour elle, des contraintes que les municipalités, sauf exception, ne sont pas à même de prendre en charge ; non que les jardiniers municipaux  manquent de professionnalisme, mais avant tout de temps. Enfin, pour Caroline Mollie, la méconnaissance des arbres et de la nature actuelle dans les villes de la part des habitants, ne permettra pas à ces arbres de survivre. Fruits cueillis bien avant la maturité ou bien branches cassées par jeu, la fragilité des arbres n’est pas gérable.

“Je pense que ce n’est pas très sérieux et je ne suis pas sûre que les citadins attendent ça. Je reste convaincue que les urbains ont besoin d’espaces de détente, qui peuvent intégrer des potagers partagés avec des animateurs nature. Mais, la ville n’est pas un espace de culture au sens de la production. Ce qu’il nous faut, c’est l’organisation du bâti et du Vivant pour que se développe une canopée qui nous évitera des chaleurs insupportables.”

ARBRES EN VILLE • POTS • PARIS
ARBRES EN VILLE • POTS • PARIS • ©Isabelle Vauconsant
À L'OMBRE DES ARBRES • ARBRES EN VILLE • De Caroline Mollie

À l’ombre des arbres. Planter la ville pour demain,
un livre de Caroline Mollie.

Architecte-paysagiste et spécialiste de l’urbanisme végétal, Caroline Mollie invite dans ce livre à mieux comprendre le rôle et les exigences de nos arbres de compagnie. Elle donne les clés pour réagir aux effets de mode, et pour agir avec bon sens dans notre rapport aux arbres.

éditions Delachaux et Niestlé
208 pages • 27 €

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