Célestin Robaglia est un défenseur d’un mode de vie sobre, respectueux du vivant et inquiet de la disparition de la biodiversité. Installé dans un écolieu depuis treize ans, il écrit. Son dernier livre « Le crépuscule des abeilles » est un roman-cri, engagé pour la biodiversité.
Il faut vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre
« Je parle des abeilles qui sont en extinction rapide. Depuis les débuts des années 90, la production de miel a été divisée par quatre en France. La disparition des insectes, selon une étude très importante allemande, c’est 80 % des insectes en 27 ans, et donc les abeilles. Avec les insectes, c’est toute la chaîne du vivant, aussi bien la faune que la flore, qui est touchée. Et qu’est ce que ça va donner dans l’avenir, sachant que le rythme s’accélère ?
Ensuite, dans la structure romanesque, j’aborde aussi la question sanitaire, c’est-à-dire de l’empoisonnement des humains. Ça nous touche beaucoup. Le projet était de parler de cette urgence qui pourrait mettre très, très, très à mal la biodiversité à court terme, c’est-à-dire de mon vivant ! »
Les jumelles
Deux jeunes femmes sont les héroïnes de ce roman. Elsa, avocate et Alice, devenue agricultrice, sont les filles de parents bourgeois et instruits. Ils sont cette génération des enfants de 68 qui a pleinement profité des trente glorieuses, du « progrès » technologique et de la consommation orgiaque qui s’en est suivie. Pour autant, ils pensent qu’il faut prêter attention à la planète sans réaliser l’urgence. Les jumelles sont, elles, de cette génération X dont la prise de conscience est violente et terriblement angoissante.
Elsa,
étudiante au début du roman, très en colère va trouver un exutoire à son courroux dans le combat juridique, à la manière d’une Marine Calmet.
Alice,
plus rêveuse et pour autant très concrète, va investir une maison familiale pour agir auprès des abeilles et devenir apicultrice.
On a donc, avec ces deux personnages, du local et du global, de l’action de terrain et une action systémique. Cette complémentarité semble clairement indispensable autant qu’indissociable.
Hortus Focus : Un roman si profondément écolo, c’est une conviction ancienne ?
CR : c’est un de mes choix fondamentaux. La question écologique est au cœur de mes pensées depuis plus de quinze ans. Et je constate un échec. En fait, un échec du message écologique.
HF : D’où l’écriture de ce roman ?
CR : Même si les consciences évoluent, il y a un décalage énorme entre l’urgence et cette lenteur. Et je me suis posé la question de savoir comment toucher les gens, comment les sensibiliser, sachant que c’est un exercice compliqué, parce que si on est dans une description, on a un tableau terrifiant par sa noirceur. Ça peut être extrêmement déprimant et inhiber complètement l’action. Si on est dans quelque chose de trop léger, ça ne fonctionne pas, ça n’interpelle pas. Le juste milieu est très compliqué à trouver. J’ai donc choisi cette forme qui est spécifique, le roman et plutôt le roman populaire.
HF : C’est à dire ?
CR : J’ai vraiment cherché une écriture très fluide, très facile à lire. J’ai installé un suspense pour écrire un livre prenant qui permet de comprendre, tout en apportant un vrai plaisir. Toutefois, dans les messages qu’il véhicule, je voulais qu’il soit riche comme un essai. Donc, c’était pour moi une nouvelle tentative de récit, une autre manière de parler d’écologie en amenant ce côté culture populaire, avec ce côté précis au niveau de l’information et aussi quantitatif.
HF : Les chiffres que vous citez sont donc réels ?
CR : si toute la trame fictionnelle est complètement issue de l’imagination, en revanche tous les chiffres sont justes. En postface, j’ai précisé ce qui était inventé et ce qui était sourcé.
HF : Au fil du roman, on a l’impression que vous défendez le crime d’écocide
CR : C’est une mesure importante qui ouvrirait aux tribunaux une voie d’action fondamentale. Et il faut rappeler qu’il y a disparition de milliers d’individus vivants. Mais ce n’est pas le propos central de mon roman. La question de la biodiversité est centrale et l’interdiction ou une diminution drastique de l’usage des pesticides de synthèse me parait extrêmement urgente.
HF : Vous présentez deux formes très différentes de l’action écologique
CR : J’observe dans mon entourage une division entre ceux qui sont dans l’écologie politique militante et ceux davantage dans celle des milieux alternatifs de terrain. Les uns et les autres peuvent aller jusqu’à se mettre des bâtons dans les roues. Or, pour moi, ces deux aspects sont aussi complémentaires qu’essentiels. Le chemin de la prise de conscience à l’action personnelle et quotidienne est immense et difficile. Il est aussi totalement insuffisant pour faire basculer le système. Ça ne peut pas être suffisant pour impacter des décisions globales. On a besoin de décisions politiques pour pouvoir espérer une action à la hauteur. Et donc l’action politique, économique et juridique est tout autant une nécessité. Et mes deux héroïnes représentent chacune un de ces aspects qui collabore justement là-dedans.
HF : Quelles sont vos références ?
CR : Mes grandes références, les personnes du XXᵉ siècle qui m’inspirent, ce sont des gens comme Gandhi ou Mandela qui étaient dans des logiques de désobéissance civile. Ce n’est pas le chemin qui est pris dans mon roman, mais ce sont des choix qui me paraissent très pertinents également. Pour mon histoire, ce n’était pas ce qui me semblait le plus efficace pour emmener mes lecteurs dans cette conscience de ce qui se joue en ce moment. Mon histoire met en scène le combat de ces deux sœurs face à l’industrie des pesticides. Et, très concrètement, j’imagine une issue. Il y a une proposition de sortie qui se fonde sur des possibilités légales qui existent en France, et qu’il est possible d’activer avec une coopération de la population à très, très grande échelle. En France, aujourd’hui, on pourrait faire interdire les pesticides sans l’accord du gouvernement.
HF : On sent chez Elsa une incroyable violence qu’elle contient.
Cela vous habite ?
CR : Ma vision du monde est une vision très relativiste, c’est-à-dire que je ne pense à peu près jamais en termes d’absolu. Donc, je suis quelqu’un de profondément non violent, mais dans certaines situations, on peut imaginer que la violence soit moins grave que l’absence de violence. C’est ce que j’explore parce que ça ne correspond pas à mon tempérament et que les séquelles laissées par la violence sont difficiles à réparer. Mais pour moi, il faut vraiment que l’enjeu soit hallucinant. Je ne suis donc pas dans une condamnation radicale de la violence.
Elsa est en colère et elle canalise sa colère grâce au droit. Mais on imagine qu’elle pourrait rejoindre des modes d’action beaucoup plus durs et ça serait, dans ce cas-là, une catharsis.
Ce n’est pas ce que je voulais.
Elsa comme Alice sont de jeunes femmes qui savent ce qu’elles veulent, qui se donnent les moyens de l’atteindre, qui sont intelligentes et qui veulent une efficacité dans le réel. Moi, j’aime bien cette notion d’efficacité en relation avec la notion de ce qui est juste.
HF : Vous présentez aussi un personnage de député, une écologiste. Est-elle l’incarnation de l’impuissance politique ?
CR : Non. Pour moi, elle est plutôt un personnage qui représente une vision optimiste. C’est-à-dire que la rencontre entre elle et Elsa autour du combat contre le glyphosate permet de lancer une action. Et cette action met en évidence la longue liste des blocages que le jeu politique et économique peut déployer. Elles sont très lucides toutes les deux et savent que ça a beaucoup plus de chances d’échouer que de marcher, mais qu’il faut absolument essayer. Pour moi, ce n’est pas de l’impuissance. L’impuissance, c’est d’être devant une situation et n’avoir aucune idée ou possibilité d’action. Or dans le livre, ni Alice, ni Elsa, ni cette députée ne sont dans cette impasse.
HF : Faut-il remettre en cause ce qu’on considère comme normal pour entrer dans une vraie prise de conscience écologique ?
CR : Oui, ça me semble assez évident. En ce qui me concerne, j’ai constaté que les actes de vie quotidienne censés être au service de la vie étaient souvent profondément destructeurs. Je me retrouvais à aller m’acheter des poivrons ou des tomates au supermarché d’en bas. Je faisais vivre une industrie qui consomme énormément de plastique, de pesticides, qui fait fonctionner des sans-papiers en Espagne, dans des conditions vraiment horribles.
J’achetais des produits qui font des milliers de kilomètres en camion, irradiés pour tenir plus longtemps, avant d’aller nourrir des jeux d’actionnaires. C’était une sorte de mise en abime ; je voulais juste me faire un plat de pâtes aux tomates ! Et c’est vrai pour quasiment tous les actes de notre quotidien importants : se vêtir, se déplacer, se nourrir. Le niveau de destruction qui est derrière est souvent très fort. Et donc, la neutralité est en réalité destructrice. On a construit notre civilisation de telle manière que dans les actes les plus simples, on arrive à abimer des choses en n’en ayant pas du tout l’intention.
On a besoin de se nourrir, mais pas envie de détruire la nature ou de faire travailler des gens comme des esclaves. Mais c’est la réalité de ce qui se fait derrière. Donc, il est impératif de développer cette distance, ce regard sur les conséquences de nos actions. Pour autant, nous n’avons pas la pleine responsabilité parce que c’est un système dans lequel on est né, et qu’on n’a pas monté de toutes pièces. Réussir à abaisser de manière significative son impact sur le monde, aussi bien au niveau écologique que social est très compliqué et demande beaucoup d’efforts de beaucoup, et du temps.
Célestin Robaglia
Le Crépuscule des abeilles, est mon troisième roman.
Je vis en Bretagne dans un écolieu depuis treize ans maintenant. L’envie d’être actif sur la question écologique a donc une forme très concrète dans ma vie.
Le crépuscule des abeilles
Célestin Robaglia
Tana éditions
248 pages – 18,90 €
Cet engagement date de 2002/2003. J’étais étudiant. Mon intérêt pour la planète et mon sentiment qu’il fallait la protéger sont antérieurs. Mais je viens d’une famille où ce n’était pas un sujet. À ce moment, l’évidence m’est apparue, qu’on allait droit dans le mur. Et ça m’a fait radicalement changer mon mode de vie. Et la Bretagne, c’est parce que depuis tout petit, je rêve d’y vivre.
Avec un groupe d’amis, nous avons acheté un terrain, sur lequel il y avait des bâtiments plus ou moins rénovés. C’était avant l’heure des écolieux, mais c’était déjà ça !
C’est un lieu de vie qui correspond à cette l’envie de pouvoir vivre de peu et simplement. Ce n’est pas du tout un lieu de production. On n’y fabrique rien pour l’extérieur. En revanche, nous faisons nos travaux nous-mêmes, une partie de nos légumes et de notre bois. Voilà. Nous sommes en autonomie partielle. Nous avons tous des activités par ailleurs, auxquelles nous voulons consacrer du temps.