Une expérience insolite : vivre en forêt

Vivre en forêt : Betty Comte
Betty Comte ©Dimitri Kalioris

Je suis un être vivant dans l’écosystème… sur la Terre… dans le sud de la France… au bord de la Méditerranée. Nous sommes dans une forêt dans laquelle, Ismaël, mon compagnon, et moi avons décidé d’essayer de vivre le plus possible en autonomie. Nous tentons une expérience que nous allons analyser.

Ils sont jeunes, bien formés, parfois révoltés, parfois inquiets et pleins d’espoirs. Ils viennent bousculer les références, les habitudes et les certitudes des générations qui les ont précédés et se lancent dans des expériences… pour l’avenir.

Betty est l’une d’entre eux.

HF : Peux-tu définir ton projet ?

C’est un modèle de forêt comestible. Il s’agit là de partir d’un écosystème existant et de le modeler progressivement sans rien détruire pour se nourrir.

Ce que j’ai vu ailleurs

L’idée des étages végétaux me trotte en tête depuis un moment. J’ai eu l’occasion de voir les arbres tropicaux qui sont très très hauts et cette agriculture sud-américaine – en tout cas là où j’étais – et ses différentes strates superposées avec tout qui se mange.

C’est ce que je veux réellement faire avec le végétal. Sur le nombre de strates actuellement, au niveau du potager et au niveau des arbres c’est différent.

  • Au niveau des arbres, on a des petites broussailles en bas, les genêts, les arbrisseaux. Au-dessus, on a les noisetiers, puis encore plus haut, les chênes verts, blancs et les châtaigniers. Ils forment la canopée.
  • Au niveau du potager, on a tous les légumes racines, les betteraves ou les radis qui se développent dans le sol. Les salades sont juste au-dessus. Puis les haricots, pois et fèves sont un peu plus haut. Les tomates et les lianes les surplombent.

Il faut imaginer les strates au niveau du potager lui-même et on a encore du travail.

Vivre en forêt - Betty Comte
Betty Comte ©Dimitri Kalioris

HF : Pourquoi dans une forêt ?

Parce que c’est en forêt qu’il  y a le plus de vie et de matière organique pour faire pousser des légumes. Il s’agit d’exploiter environ 2500 m2 dans une forêt composée de quelques châtaigniers qui résistent encore, beaucoup de noisetiers issus d’une exploitation passée, un pauvre cerisier survivant et surtout des chênes verts et des chênes blancs, et de, petit à petit, parvenir à se nourrir tout au long de l’année de ce qui pousse dans la forêt. Nous avons commencé à tester des techniques agricoles et agronomiques – c’est de l’expérimentation pure – pour voir si, dans un sol de forêt, on peut arriver à se nourrir.

Échanges vertueux

Bien entendu, nous travaillons pour lui rapporter la fertilité qu’on y prend grâce à l’entretien de la forêt alentour, parce qu’ici, en Méditerranée, le risque d’incendie, essentiellement lié à la présence humaine, nous contraint à entretenir la forêt. Cet écosystème forestier nous donne du carbone – les branches, les feuilles. En le rendant au sol, on maintient la vie et on ne prélève que ce qui nous est nécessaire.

HF : Quand vous êtes-vous installés pour vivre en forêt ?

Nous avons vraiment installé notre tente il y a quelques mois, juste avant les saints de glace, mais nous avions préparé le sol et les buttes pour semer dès le mois de janvier. Nous sommes dans la montagne et le terrain est donc très pentu. J’ai déjà vécu un peu de cette façon lors d’un stage dans une exploitation agricole en Équateur où l’on n’avait ni eau courante ni électricité, mais aussi dans des écolieux en France dans lesquels j’ai été en wwoofing. Là aussi, la recherche d’un maximum d’autonomie était l’objectif.

Vivre en forêt : courgettes

HF : Qu’as-tu planté dans ta forêt ?

D’abord, pour bien comprendre, nous sommes dans une clairière d’environ 2000 m2, entourée d’arbres d’une dizaine de mètres de haut. Donc se pose d’emblée la question de la lumière et du soleil.

Ça peut vivre en forêt !

Nous avons commencé par créer des planches de culture.

Ce que nous avons planté et qui a bien marché, ce sont les légumes-feuilles (salade, Misuna,…) mais aussi l’Artemisia qui est une super plante. J’ai aussi récolté pas mal de petits pois, mais peu de fèves – juste de quoi réessayer ! Les bouts de choux-fleurs que j’avais récupérés au marché ont repris ! J’ai l’espoir d’en tirer des graines qui en les ressemant me permettront de récupérer la variété. Les tomates, haricots verts, courgettes et aubergines ont bien pris aussi. J’ai commencé à semer toutes sortes de basilics et autres aromatiques et même de la lavande pour voir ce qui se plait ou non. De toute façon, cette première année est un test continu en grandeur nature.

Un peu de chance, ça aide !

Et en fait ça fonctionne. Il faut dire qu’ici, l’été est assez long et chaud, mais j’avais un peu peur du manque d’eau. Heureusement, le terrain est situé au pied d’une maison équipée d’une grande cuve qui collecte l’eau d’un toit de 200m2 et stocke 14m3 d’eau. Elle alimente deux cuves en contrebas et une encore un peu plus bas. Donc, gravitairement, l’eau descend de cuve en cuve. C’est un très gros avantage.  Au début, lorsque le soleil n’était pas trop puissant, je couvrais les cultures de déchets végétaux issus de la forêt.

Puis, j’ai eu un bon plan foin qui m’a permis de faire un gros paillage très épais et ça fait la différence.

La forêt de Betty
©Dimitri Kalioris

HF : Quelles études as-tu suivies pour arriver à cela ?

J’ai fait une école d’ingénieur agronome, en développement international pour pouvoir aller travailler à l’étranger. Il y a eu ce super stage en Équateur, puis le Monténégro, la Colombie ett Mayotte. La pandémie de Covid-19 a marqué un coup d’arrêt brutal. La Covid m’a mis face à ma responsabilité envers ma terre et ce auquel j’ai accès comme ressources en tant qu’agronome. J’ai donc décidé de profiter d’une chance, celle de pouvoir m’installer sur un terrain familial pour mener cette expérience. Et je travaille pour la ferme voisine assez régulièrement pour apprendre de leurs pratiques. Du coup, je transporte sur le terrain dans la forêt des variétés ou des manières de cultiver que je découvre chez eux.

Vivre en forêt - Betty Comte
Betty Comte ©Dimitri Kalioris

HF : c’est un projet plutôt pro ou perso ?

Nécessairement les deux !
Il y a la vie quotidienne dans la nature, très sobre, rustre.
Et conjointement, il y a l’expérimentation agricole pour laquelle je ne serais pas mécontente d’avoir un partenariat avec un institut de recherche sur un sujet précis.

Toutefois, c’est le système de vie globale dans la forêt que j’expérimente avec la fatigue que ça engendre, mais aussi les sensations…

Ma question est…

Est-ce que l’homme est capable de vivre dans la forêt ? Peut-on penser « installons chaque citadin sur deux hectares de forêt » ?

On commence par essayer.

HF : Comment penses-tu en vivre ?

Il y a différentes manières d’en vivre. La première des choses et c’est très concret, nous mangeons ce que nous produisons et de la qualité de ce que nous produisons dépendent la quantité et la qualité de nos repas.

Du conseil et de l’accompagnement

Et puis, je suis en train de monter une entreprise avec deux collègues à Céret dont l’objectif est d’être un pôle de compétences agricoles. J’apporte la compétence agronomique et eux, avec leur formation d’ingénieur-projet, mettent en œuvre les techniques d’intelligence collective. Notre volonté est de servir de courroie de transmission entre le terrain et la recherche dont la complémentarité est indispensable.

Céret
Céret ©Isabelle Vauconsant

Des contacts prometteurs

C’est prometteur, car la Mairie et la Communauté de communes sont intéressées par l’idée de travailler avec nous et nous espérons vraiment signer. À côté de ça, par exemple, nous sommes dans une pépinière d’entreprise, et nos connexions nous ont permis d’accompagner un autre membre de la pépinière qui avait inventé une machine intéressante pour l’INRAE. Nous sommes là dans un rôle de facilitateur et d’interactions fructueuses.

Pour vivre en forêt, observer, c’est la base !

Il est évident que la situation écologique actuelle nous contraint à tout reprendre au stade de l’observation et que la technique n’est pas la solution de tous nos maux. Nous devons changer de regard sur ce qui nous entoure et chercher comment nous insérer à bas bruit dans les écosystèmes naturels. Avec des machines, on peut tout raser et faire un champ, ça ne coûte pas trop d’effort, mais on détruit tout ce qui nous nourrit !

Cultures en forêt
Cultures en forêt ©Dimitri Kalioris

HF : as-tu prévu d’élever quelques animaux pour manger de la viande ?

Oui, mais pas tout de suite, car mon écosystème est encore fragile. Je l’ai déjà déstabilisé en installant le potager. Si je mets des poules ou un cochon maintenant, ils vont tout retourner et une chèvre va tout grignoter. Mais l’idée mûrit et c’est en projet. En effet, quelques poules seraient bienvenues pour faire le ménage dans les petites bêtes qui piquent et maintenir la fertilité du sol.

Les engrais, ça peut être délicat

Mais il faut savoir que l’engrais animal est beaucoup plus délicat dans son utilisation que le carbone végétal. Je suis bien plus à l’aise avec la superposition de branchages, de paille qu’avec des apports de fumier qui s’ils sont mal dosés peuvent engendrer des pollutions azotées, mais aussi développer des films bactériens ou biofilms sur les légumes qui peuvent être potentiellement dangereux.

Et comme nous vivons dans la forêt donc dans un espace qui n’est pas aseptisé, je m’intéresse à cet aspect-là aussi.

HF : As-tu analysé ton sol ?

Le sol n’a pas encore été analysé complètement. Mais l’observation que j’en ai déjà faite me permet d’affirmer qu’il est très actif, qu’il minéralise très très vite, qu’il décompose les déchets très rapidement et que donc la fertilité circule. L’avantage, c’est que c’est disponible rapidement pour les plantes. L’inconvénient, c’est qu’il faut le consolider, car si on a de très grosses pluies comme récemment, il ne tient pas. Il faut une matrice racinaire pour le structurer. Mais c’est un sol très habité !

Faire pousser des tomates en forêt
Faire pousser des tomates en forêt ©Dimitri Kalioris

HF : la permaculture n’a plus de secret pour toi ?

Je cultive en harmonie avec la nature, en la dérangeant le moins possible et en ne prélevant que ce dont j’ai besoin. Je laisse le vivant et les vers de terre faire le reste. La permaculture, c’est un mot qui recouvre parfois des postures que je n’aime pas beaucoup trop rigides. Mon reproche serait que tout doit être conçu au niveau du design. Du coup, on sort un billet de 50 000 € et on fait tout d’un coup. Ce n’est pas accessible à un agriculteur ou à un précaire, ce qui représente une grande partie de la population.

Ce qu’il faut c’est se lancer, y aller même si on ne peut pas tout boucler à l’avance.

Le truc du design en permaculture freine les gens dans l’action, alors qu’il faut agir avec peu et progressivement. Moi, j’ai beaucoup de chance d’avoir accès à une terre, à de l’eau et d’avoir un peu d’argent de côté.

HF : Vas-tu surveiller tes apports alimentaires ?

Oui, bien sûr. C’est même un peu la raison d’être de l’expérience sur soi. Nous nous nourrissons de ce que nous produisons. Ça signifie que je n’achète plus du tout de légumes et que je vais moins travailler à la ferme, car je suis plus autonome ici aussi. Et on constate que parfois le corps appelle d’autres aliments. Par exemple, le riz, les pâtes, tout ce qui est sec est un gros problème ! Je ne peux pas produire des quantités suffisantes de légumes secs dans ma forêt, il faut penser une complémentarité avec une prairie.

Quelques protéines

Nous allons devoir produire des légumineuses qui ont pour avantage de se conserver en sec et d’être riches en protéines. Récemment, on a récolté du seigle en bas, à la ferme, pas de quoi faire des kilos de pain, mais un début ! De toute façon, il faudra essayer en forêt : les céréales jouent un rôle important dans la structuration d’un sol. Nous sommes par ailleurs, très dépendants des importations en la matière, de riz par exemple. Ça vient de bien trop loin pour que je puisse aller le chercher à pied ! Donc l’autonomie ne peut pas être totale.

C’est bien aussi de ne pas être tout seul dans son coin. On a besoin d’échanger sur les expériences, de donner et de recevoir des conseils… et pour éviter la guerre !

Pour aller plus loin

Décrypter les sujets environnementaux qui font débat, c’est le rôle que se donne la nouvelle collection Fake or not fake de Tana éditions.

Le premier, écrit par Frédéric Wallet, chercheur à l’INRAE et intervenant à AgroParisTech, sur les questions d’autonomie alimentaire, synthétise la réalité complexe que cachent nos modes de consommation alimentaire. Des chiffres, parfois effrayants, parfois rassurants permettent de faire un tour du sujet et l’auteur ouvre des pistes de réflexion.

“Les grandes villes françaises disposent de quelques jours à peine de stock de nourriture et nous sommes totalement dépendants de l’industrie agroalimentaire pour manger.”

Les vulnérabilités et les conséquences délétères d’un système qui a montré sa faiblesse pendant la crise du Covid permettent de comprendre en quoi toutes ces actions menées par une jeunesse dynamique et créative ont un intérêt majeur !

Fake or not fake : manger demain
124 p. 13,90 €

“Repenser l’agriculture autour des bassins de population et rapprocher les champs des assiettes, ça implique de réduire la taille des parcelles agricoles pour en finir avec la monoculture intensive.”

La pollution azotée se manifeste principalement par l’eutrophisation, ou la dystrophisation qui apparait quand il y a surabondance d’azote en général dans le milieu liquide, car les nitrates sont très solubles dans l’eau. La concentration en dépôts azotés a significativement augmenté ces deux derniers siècles.

Selon une étude, le coût des effets de la pollution azotée sur l’air, les sols et les écosystèmes, et la santé environnementale est très élevé. On parle de 70 à 320 milliards d’euros par an en Europe, soit entre 150 et 735 euros par personne et par an ; c’est plus que le double du bénéfice estimé apporté à l’agriculture  [Wikipédia]

Un biofilm est une communauté multicellulaire plus ou moins complexe, souvent symbiotique, de micro-organismes (bactéries, microchampignons, microalgues ou protozoaires), adhérant entre eux et à une surface, et marquée par la sécrétion d’une matrice adhésive et protectrice.
[wikipédia]

cultures en forêt
©Dimitri Kalioris

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