Développer une agriculture vertueuse est aujourd’hui un champ de recherche qui s’accroit tant dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Des dizaines de projets voient le jour fondés sur la volonté d’acier de leurs animateurs, sur le soutien de certains politiques et parfois accompagnés du travail de chercheurs.
C’est le cas de la ferme pilote de La Durette, située dans la ceinture verte d’Avignon. Ce projet d’agriculture urbaine ou tout au moins péri-urbaine est conjointement mené par des agriculteurs et par le GRAB (Groupement de Recherche en Agriculture Biologique), une association qui œuvre depuis 40 ans.
Une mission très complète
À la ferme pilote de La Durette, la mission porte sur l’amélioration des techniques et des systèmes en agriculture biologique, et sur une version particulière en agroforesterie : la cohabitation de fruits, de légumes et de vignes.
Vianney Le Pichon, chercheur et directeur du GRAB : ” Nous travaillons chez les agriculteurs bio ou sur deux stations. La Ferme de la Durette est une expérience originale dans le monde de la recherche agricole parce que nous avons conçu un système d’exploitation complet, et c’est la globalité de ce système que nous suivons et non seulement la complémentarité des variétés. Une fois imaginé ce système de cultures annuelles et de cultures pérennes, il a été confié à des agriculteurs qui l’adaptent et le confrontent à la réalité. ” L’évaluation porte donc sur une ferme sous tous les angles : le sol, la production, les variétés mais aussi l’aspect humain et social, donc la vie de l’agriculteur.
Des défis à relever
L’expérimentation a pour objectif de répondre aux défis d’aujourd’hui. Comment cultiver en bio malgré les changements climatiques et la perte de biodiversité en faisant en sorte que les agriculteurs vivent, et vivent bien ? À la ferme pilote de La Durette, il a fallu commencé par reconstruire des sols argilo-limoneux appauvris précédemment et laissés en jachère pendant plusieurs années. Les engrais verts ont été les meilleurs alliés de l’équipe pendant plusieurs années avant même la mise en culture. Le choix des légumineuses ont eu pour conséquence d’apporter de l’azote. Puis, c’est un choix spécifique en agroforesterie qui a été proposé. L’étude porte nécessairement sur un modèle si ce n’est nouveau, au moins peu documenté.
Qu'est-ce que l'agroforesterie ?
L’agroforesterie désigne les pratiques, nouvelles ou historiques, associant les arbres, les cultures et-ou les animaux sur une même parcelle agricole, en bordure ou en plein champ. Ces pratiques incluent les systèmes agro-sylvicoles mais aussi sylvo-pastoraux, les pré-vergers (animaux pâturant sous des vergers de fruitiers)... Pour Maxime Catalogna, agriculteur à La Durette et auteur d'une thèse écrite dans le cadre de l'INRA (Expérimentations de pratiques agroécologiques réalisées par les agriculteurs. Proposition d’un cadre d’analyse à partir du cas des grandes cultures et du maraîchage diversifié dans le département de la Drôme), la définition est scientifique et professionnelle : " Piloter la ferme pour déclencher des processus écologiques qui rendent des services à l'agriculteur. "
Il s’agit de faire cohabiter vertueusement des cultures maraichères et fruitières. La mesure est multicritères puis qu’elle porte sur les variétés en fonction du sol, de l’arrosage nécessaire mais aussi de la possibilité de faire passer les outils agricoles.
” Nous avons sélectionné des variétés compatibles avec le bio, c’est-à-dire parfois un peu moins productives mais plus robustes, moins sensibles aux maladies et aux ravageurs. Nous avons étudié la compatibilité entre les fruitiers et le maraîchage entre autres dans leurs besoins en eau respectifs. Au niveau racinaire, nous réfléchissons à la complémentarité des différentes strates : les légumes auront des racines courtes et si le sol est suffisamment fertile, les arbres iront plus profondément chercher l’eau et les nutriments. “
Deux rangées d’arbres fruitiers sont implantées avec l’espace nécessaire pour laisser passer un tracteur et pouvoir procéder à la taille ou la récolte. Puis on installe une bande de produits maraîchers sur 11 mètres et de nouveau une bande de deux rangées d’arbres.
Accroître la biodiversité
La croissance de la biodiversité est également organisée et mesurée : des zones enherbées sont préservées entre les rangs afin de permettre aux auxilliaires (plutôt qu’aux ravageurs) de s’installer. Les arbres, arbustes et plantes basses qui composent les haies ont pour objectif d’accueillir des insectes mais aussi des oiseaux. La phacélie et le sainfoin présents sont couverts d’abeilles !
” Nous créons ainsi l’écosystème le plus riche et le plus stable possible ” précise Vianney Le Pichon.
À la ferme pilote, les parties enherbées sont utilisées pour laisser un couvert permettant à la biomasse de rester sur le sol : les tiges sont cassées et non coupées. On appelle cela un ” couvert couché “. Des grands arbres devraient être prochainement plantés pour, à terme, accueillir des rapaces et aider les agriculteurs à lutter contre les campagnols qui pullulent dans la région. ” La complémentarité se fait donc au niveau de la vie du sol, des racines et des strates aériennes avec des plantes qui attirent des insectes et des oiseaux du ras du sol jusqu’à la cime des arbres “.
Des agriculteurs préservés
Enfin, au-delà de la viabilité des cultures, de la réduction au minimum des interventions humaines, le système de la ferme pilote s’attache créer la possibilité pour les agriculteurs de gagner leur vie correctement, de bénéficier de week-ends et de vacances. Le maraîchage est un métier difficile qui demande beaucoup d’heures de travail. L’objectif est que l’épuisement ne soit pas l’horizon de chaque fin de semaine ! Le choix d’une diversité de cultures en agroforesterie répond également à cette volonté. Contrairement à la monoculture qui mise tout sur un produit et risque de ce fait de voir tout disparaître du fait d’un effondrement des prix, d’un ravageur ou d’une maladie, la diversité permet de stabiliser la production d’une année sur l’autre.
Vertueuse et résiliente, l’organisation actuelle est sur la voie du succès !
Le GRAB est né de la rencontre de Denis Lairon ( INSERM) et d'agriculteurs comme Rémi Combes, maraîcher AB pionnier. Dès 1979 et avant la multiplication des normes, ils se sont penchés sur la qualité des produits issus de l'agriculture biologique. À cette époque, le lien entre les propriétés des sols et la production était au centre des recherches. Puis les agriculteurs ont été confrontés à des difficultés techniques qui ont conduit le GRAB à réorienter son travail.
Depuis 25 ans, Terre & Humanisme enseigne l’agroécologie en France et à l’international. L’association transmet de la connaissance, des pratiques, une vision du monde. Elle accompagne aussi bien le grand public que les professionnels vers plus d’autonomie agricole et alimentaire et vers une éthique de vie saine, solidaire, durable et écologique.