Rencontre avec Sitraka ANDRIANARISOA, enseignant-chercheur et spécialiste des sols, installé dans le Nord pour ses recherches, et François DELBENDE, membre de l’Association française des arbres champêtres et agroforesteries, en charge d’une étude de filière dans le cadre du Grecat (Groupement de recherche concertée sur l’agriculture et les territoires).
Définition de l’agroforesterie
C’est l’association entre les arbres et une production animale ou une production végétale sur une même parcelle. Ça peut être des arbres au milieu comme en bordure des parcelles, c’est alors de l’agrosylviculture. Lorsqu’on associe des animaux, on parle de sylvopastoralisme.
À quoi sert l’agroforesterie ?
Ça sert à diversifier ce qu’on produit sur la parcelle : du bois. Donc ça améliore la productivité d’une parcelle. Et ceci est démontré par toutes les études : un hectare d’agroforesterie correspond à 1,4 hectare de terres agricoles seules, en matière de production de biomasse. On améliore de 40 % la productivité de la parcelle en biomasse lorsqu’on travaille en agroforesterie et ça réduit les risques financiers.
La parcelle va produire au moins l’un ou l’autre. Il y a d’autres bénéfices de ce mode de culture en termes de fertilité, de structure des sols, de réduction des phénomènes d’érosion et de la biodiversité présente sur la parcelle. Or la biodiversité est un moyen d’éviter la prolifération des ravageurs, mais aussi de bénéficier de la pollinisation et des auxiliaires.
Pensez-vous que ce soit une solution face aux changements du climat ?
Bien sûr ! Les arbres apportent de l’ombre, de l’humidité des racines qui tiennent les sols en cas de fortes pluies et empêchent les sédiments d’être lessivés. Les arbres séquestrent le carbone, dans leur tronc et dans leurs racines. Tout ceci contribue à atténuer les effets des variations extrêmes qui vont se faire de plus en plus fréquentes.
Les arbres ont un autre avantage : ils coupent le vent qui assèche les cultures. Et comme on fait de la place aux auxiliaires, on n’utilise aussi moins d’intrants, même quand on n’est pas dans une démarche bio.
Suite à la guerre en Ukraine qui a une influence majeure sur la fabrication des engrais, leur prix a déjà été multiplié par 2 ou 3, comme ça fluctue, ça peut encore monter. Ça fait peur ! Et ça donne tout son sens à la recherche d’une autre agriculture, moins dépendante de tous les autres pays. Cela signifie parmi les alternatives que cette science de l’agroforesterie est une solution intéressante parce que progressive. On recrée des relations entre les plantes, dans le sol et même si le bio, c’est le Graal, en attendant, on réduit la quantité des engrais utilisés. On passe en agriculture raisonnée ou bien on commence les associations de culture. Il existe mille et une possibilités, y compris l’utilisation de produits biocompatibles.
Comment s’est construit votre projet ?
L’ISA de Lille a lancé un projet expérimental en agroforesterie. Il rassemble donc des partenaires comme l’Agence de l’eau, l’ADEME, la Fondation de France et la région des Hauts de France. Notre objectif était la mise en place d’un site de démonstration et de recherche en agroforesterie dans le département du Pas-de-Calais. C’est dans le village de Ramecourt que nous avons rencontré un agriculteur : Antoine Dequidt.
Il y a des partenaires sur le terrain : des planteurs volontaires et des représentants de l’INRAE.
Nous travaillons sur une parcelle de 8 ha d’un seul tenant. Et nous voulions une vraie parcelle agricole pour expérimenter en grandeur nature et non de façon théorique.
Comment a été accueillie cette idée d’agroforesterie ?
Il faut lutter contre les inquiétudes. Pour les agriculteurs, les arbres constituent une gêne pour les machines, créent de l’ombre sur une partie des cultures et donc une compétition entre les plantes. L’opposition se chiffrait à 50 % lorsqu’on a fait la première enquête. Il était donc fondamental de faire une expérience avec un agriculteur en exercice. Il nous fallait pouvoir démontrer que cela fonctionnait avec les cultures locales que sont la betterave, la pomme de terre ou les céréales.
Il y a une chose dont il fallait s’assurer auparavant c’est que le terrain ne soit pas équipé de drains agricoles, destinés à assécher les sols. C’est incompatible avec les racines des arbres qui s’insinuent dans ces drains et les font éclater.
Comment avez-vous convaincu ?
Les épisodes climatiques nous ont aidés. En mai 2018, de fortes pluies lessivent les sols de la parcelle de Mr Dequidt et des plaques glissent jusque dans le village. Les caves de certains villageois se remplissent de terre… et de pommes de terre. La démonstration était faite que le sol n’avait pas de structure qui le tenait, la science n’avait même pas à s’en mêler. Des photos aériennes ont rendu la lecture de l’érosion très facile. L’exploitant agricole s’est alors ouvert à une solution durable qui lui évite ce genre d’épisode.
Nous lui avons proposé de planter des rangées d’arbres au sein de sa parcelle. De toute façon, suite à ces phénomènes d’érosion, une partie était ensablée donc inexploitable. Ça a été le départ d’une réflexion plus globale d’agroforesterie.
Est-ce que ça intéresse les voisins ?
Il y a en tout cas l’envie de leur faire connaitre et de leur montrer que ça marche. Je ne doute pas qu’ils regardent ce qui se passe avec curiosité. Nous avons aussi le désir de faire parler de cette étude pour cette raison. Il est important pour les démarches alternatives de pouvoir exposer leurs résultats si on veut qu’ils soient repris par d’autres.
Or, nous avons pour objectif de produire des références locales sur les aspects productifs et environnementaux de ces systèmes (réduction des photos, des engrais azotés et l’amélioration de la marge brute des exploitations)
Parlez-moi de la mise en place !
On a donc planté des rangées d’arbres pour créer une complémentarité avec les cultures. Nous avons tenu compte, pour l’espacement, de la taille des engins agricoles qui doivent continuer à passer. Et en plus, c’est beau ! On constate que les arbres stockent et arrêtent l’eau et qu’elle ne descend plus d’une traite vers le village. Nous avons installé des sondes de température et d’hygrométrie des sols.
Nous suivons de près les degrés d’ombrage sous les grands arbres et les conséquences d’une moindre lumière sur les cultures. Ce que nous observons aujourd’hui, c’est une perte de rendement de 4 % liée à la perte de surface exploitée, cela pourrait atteindre 30 % avec l’ombre, dans 30 à 40 ans par rapport à une parcelle classique.
On constate également que les endives poussant à l’ombre des arbres sont moins grosses. Pour éviter au maximum les effets d’ombrage sur les cultures, nous avons constaté qu’il faut privilégier une disposition des lignes nord-sud et pas est-ouest. Le blé, cette année a subi une baisse de rendement de près de 20 % à l’ombre des arbres adultes, pas des petits qui n’ont pas vraiment d’impact. Ce sont les étudiants qui réalisent tout ce suivi.
Toutefois, c’est à mettre en regard avec des récoltes perdues suite à un glissement de terrain, aux frais engagés pour l’achat des intrants ou à la réduction des arrosages. Mais il manque des données claires et chiffrées pour pouvoir faire les comptes de façon précise.
C’est une part importante de mon travail. J’ai commencé par répertorier tous les éléments d’investissement de l’agriculteur pour rentrer dans la démarche d’agroforesterie. Chaque année, je compare les coûts des différents intrants, les charges en main-d’œuvre, celui que représente l’entretien des arbres pour pouvoir sortir des chiffres de rentabilité. Cette rentabilité devrait évoluer dans le temps et on tente des simulations.
L’agriculteur peut aussi décider de valoriser ses arbres tant pour le chauffage que pour le bois d’œuvre. Les délais sont un peu différents et selon les choix de plantation, il peut échelonner les coupes de sorte d’avoir des revenus plus réguliers.
Et comme les scieries manquent cruellement de bois locaux, elles seront des clientes faciles.
15 espèces d’arbres
Comme il s’agit de science expérimentale, ce sont 15 espèces d’arbres qui ont été installées pour pouvoir étudier les conséquences de leur développement sur les cultures.
Les espèces ont été sélectionnées pour leur capacité à fixer l’azote atmosphérique et donc de le ramener dans la parcelle, ce qui évite l’achat d’engrais azotés.
Ils ont été plantés déjà grands afin de réduire la durée pour l’obtention des résultats.
Sur un site scientifique, on crée des blocs à comparer : donc un bloc sans arbre, un bloc avec une association arbres et cultures et un dernier avec un système uniquement forestier ; environ 4000 arbres ont été plantés. La variété des essences avait pour but de savoir quelles étaient les espèces qui vivaient bien dans ce territoire. La densité était au moins de 30 et au plus de 200 arbres à l’hectare.
Les espèces
- des chênes,
- des charmes,
- des châtaigniers,
- des robiniers,
- des aulnes,
- des noyers,
- des merisiers,
- des érables champêtres,
- des tilleuls,
- des cornouillers,
- des fusains,
- des noisetiers,
- des troënes,
- des saules
- des viornes.
En trois ans, le constat est une mortalité des arbres de 4 %, plus importante chez les noyers. On constate la plus forte croissance chez les merisiers, les aulnes et les robiniers, et la plus faible pour les châtaigniers et les érables.
Comment avez-vous acheté les arbres ?
Nous nous sommes adressé à une pépinière de la région : les pépinières Drappier, spécialisées dans la production d’arbres de grandes tailles et situées à Lecelles tout près de Valenciennes.
Qu’en est-il de la biodiversité ?
Nous établissons, bien sûr, des suivis de biodiversité. Et on constate qu’au bout de deux ou trois, l’effet est déjà très lisible. L’étape suivante est d’analyser la fonctionnalité de cette biodiversité sur nos cultures, c’est un autre travail de la science qui n’est pas encore complètement mis en place. Nous avons installé des caméras qui tournent en permanence et on a constaté la présence de chevreuils qui viennent manger les feuilles de nos arbres. On a protégé les troncs bien entendu. Nous avons aussi enregistré des faisans et des lièvres. Il semble que la parcelle ait donc un rôle de trame verte, de connexion entre différents écosystèmes.
Qu’est-ce qu’une trame verte ?
C’est un corridor écologique qui assure des connexions entre des réservoirs de biodiversité. Il offre aux espèces des conditions favorables à leur déplacement et à l’accomplissement de leur cycle de vie. Les corridors écologiques peuvent être linéaires, discontinus ou paysagers.
Ils comprennent les espaces naturels ou semi-naturels, les formations végétales linéaires ou ponctuelles qui relient les réservoirs de biodiversité, et les couvertures végétales permanentes.
Vos mesures sur l’érosion des sols sont-elles probantes ?
Des survols de drones nous aident à mesurer les différences d’altitude sur la parcelle par centimètre carré. Si le sol est effondré ou qu’un peu plus loin, on constate une accumulation, on le sait aussitôt. C’est comme ça que nous avons mis en évidence les canaux préférentiels d’écoulement des eaux et donc de déplacement sédimentaire. Les lignes d’arbres font leur travail en limitant les vitesses de ruissellement et en guidant l’eau. Les nappes commencent à canaliser l’eau qui a plus de temps pour s’infiltrer et la terre qui s’échappe est de moins en moins importante.
Par ailleurs, l’humidité du terrain est plus homogène. Mais nous n’en sommes qu’à 3 ans et on attend qu’au fil des années, la stabilité du terrain soit encore accrue grâce au développement du système racinaire des arbres. Enfin, plus les arbres ont des racines qui s’enfoncent profondément dans la terre, et que l’eau suit ces canaux racinaires vers les nappes phréatiques.
Pour Sitraka et François, l’objectif à moyen terme n’est pas d’amener l’ensemble des agriculteurs à embrasser l’agroforesterie comme méthode de culture, mais d’atteindre 15 % des exploitations ainsi cultivées.
Il s’agit pour eux de contribuer à limiter le réchauffement climatique par une meilleure séquestration du carbone par les arbres. Et pour cela la science et la rigueur qu’elle exige sont indispensables.
Qu’observez-vous de la concurrence entre les arbres et les cultures ?
Les arbres tendent à construire un système racinaire en profondeur ; et ce, d’autant plus que les cultures sont déjà en place et se sont déjà servies. Les arbres ne trouvant pas de nutriment et d’eau en surface vont plonger dans le sous-sol, où les autres plantes ne vont pas. De ce fait, ils vont aussi absorber l’azote, les phosphates ou les nitrates qui se sont enfoncés et risquent de polluer les nappes. Grâce à cela, ils produiront des feuilles et des branches, qui, en tombant au sol, fourniront aux cultures de la matière organique. C’est ce qu’on appelle un cycle naturel.
L’eau est-elle un souci dans le Pas-de-Calais ?
Dans cette région, la science a été à l’origine d’alertes aux nitrates dans les nappes phréatiques qui ont donné lieu à un Programme d’Actions National Nitrates depuis 2016. Nous sommes dans une des régions les moins boisées de France et à proximité de grandes métropoles comme Lille et même Paris. L’action des arbres, et la science le montre, est donc également bénéfique à la qualité de l’eau.
Mais c’est peut-être parce que c’est une région qui a oublié ses arbres depuis longtemps que nos agriculteurs y sont parfois hostiles. Il y a un autre élément important : les exploitations sont à 80 % en fermage et les arbres mettent du temps à pousser. Un agriculteur qui n’est pas propriétaire peine à voir son intérêt à court terme. Certains nous ont clairement dit « On n’a pas envie de planter des arbres pour les petits enfants de nos propriétaires. »
Comment se conduisent les terrains plantés en agroforesterie face aux tempêtes ?
Les scientifiques disent que les arbres en agroforesterie sont habitués au vent. Ils font plus de racines pour mieux s’ancrer.
Donc un arbre en système forestier est beaucoup plus armé face aux vents violents. Ici, il est trop tôt pour qu’on ait pu le démontrer, mais ça semble logique.
Comment réagissent les agriculteurs au bout de trois années ?
Qu’ils s’agissent des exploitants ou des étudiants, ceux qui travaillent sur la parcelle sont convaincus. Parmi nos étudiants, à l’école, il y a beaucoup d’enfants d’agriculteurs et là, si certains se montrent curieux et positifs, d’autres sont par principe hostiles, voire virulents. On nous taxe d’une vision technocratique et européenne et d’une volonté d’appauvrir encore des paysans endettés. Il faut poursuivre et offrir des données incontestables.
Il y a encore du boulot pour expliquer que les arbres représentent une forme d’épargne économique, mais surtout une occasion de survie pour les humains.
La science et ses études engagent à réfléchir sur les modes agricoles, mais pas seulement. Les jardiniers, en particulier de jardins assez vastes, ont de bonnes raisons de s’interroger sur la présence d’arbres dans certains endroits du jardin, y compris au potager. La création d’îlots de fraîcheur sur un terrain est non seulement esthétique, utile localement, mais aussi une participation à une œuvre collective : lutter contre un dérèglement climatique général.
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