La ripisylve, un écosystème fragile et si utile

La ripisylve de l'Étang de Commelles
La ripisylve de l'Étang de Commelles ©Isabelle Vauconsant

Simon Dufour est enseignant-chercheur en géographie à l’Université Rennes 2 et membre du laboratoire LETG (Littoral Environnement Télédétection Géomatique). Il travaille sur les questions de gestion de l’environnement, avec une spécialisation sur les cours d’eau, les zones humides, les zones riveraines et la gestion de l’eau. Il travaille notamment sur la gestion, la restauration, les questions de biodiversité et l’impact des aménagements sur ces écosystèmes fragiles.

Avec ses collègues, il vient de publier un ouvrage aux éditions Quae : “Les ripisylves et forêts alluviales”. Ce livre sera accessible gratuitement en ligne à partir de mi-octobre.

Hortus Focus : Pouvez-vous définir ce qu’est une ripisylve ?

Simon Dufour : On appelle ripisylve la végétation arborée, c’est-à-dire les arbres et arbustes, qui poussent en bord ou au bord de l’eau. On peut parfois parler de ripisylve pour les bords de lac, mais surtout pour les bords de rivière. On utilise aussi d’autres mots pour désigner cette végétation : forêt riveraine ou forêt galerie. En gros, c’est de la végétation qui est en bord de l’eau et qui est liée à ce cours d’eau ou à ce lac. Elle dépend de cette eau pour son fonctionnement et va aussi influencer cette rivière. Les relations se font dans les deux sens.
Étymologiquement, ripisylve désigne vraiment la forêt. Mais il faut avoir en tête que cette végétation est souvent une mosaïque d’arbres, d’arbustes, et souvent des herbacées. Au sens large, on prend en compte toute cette végétation qui est en bord de cours d’eau, mais c’est plutôt les arbustes et les arbres qui nous intéressent.

Le Beuvron - Loir-et Cher - et sa ripisylve
Le Beuvron - Loir-et Cher - et sa ripisylve @Isabelle Vauconsant

HF : Quel est le rôle de cette végétation riveraine ?

SD : Le cours d’eau influence la ripisylve. Il apporte de l’eau, des nutriments, des sédiments, de la faune. Il alimente aussi la nappe phréatique qui va abreuver la ripisylve.
Dans l’autre sens, la ripisylve va impacter le cours d’eau. Elle va faire de l’ombre avec, par conséquent, un effet sur la température de l’eau. Les feuilles, les branches vont tomber dans la rivière, et va apporter la matière organique dans la rivière –  sorte de carburant qui va rentrer dans les écosystèmes.

Le Beuvron - Loir-et Cher - et sa ripisylve @Isabelle Vauconsant
Le Beuvron - Loir-et Cher - et sa ripisylve @Isabelle Vauconsant

HF : Quelles sont les autres fonctions de la ripisylve ?

SD : Elle joue aussi un rôle de filtre entre le bassin versant et la rivière. Imaginons un territoire très agricole avec beaucoup de champs autour, lorsqu’il y a des orages avec des ruissellements, l’eau va passer sur les champs. Ce flux va éroder la terre, et éventuellement emporter des produits polluants. Quand elle passe à travers la ripisylve, une partie de ces matériaux vont être stockés, ralentis, consommés, épurés. La ripisylve assure donc un véritable rôle de protection par rapport aux cours d’eau.
Elle accueille aussi une grande biodiversité. Et c’est vraiment une biodiversité spécifique. Comme les plantes sont à côté du cours d’eau, les conditions sont particulières. La présence d’eau dans le sol une partie de l’année crée des conditions plus humides qu’ailleurs. Donc, on va trouver des espèces vraiment typiques des zones humides, comme les aulnes ou les frênes.

L'étang de Commelles
L'étang de Commelles (60) ©Isabelle Vauconsant

HF : Comment prendre soin concrètement de cette végétation ?

SD : Ce qui est important, c’est de savoir la reconnaître dans son rôle particulier. Parfois, le riverain pense que ce sont des arbres comme les autres. Savoir que ces arbres en bord de cours d’eau sont spécifiques, c’est déjà une première manière d’y faire attention.
Plus concrètement, le plus important c’est de faire le moins possible. Laisser cette végétation pousser spontanément n’empêche pas de la guider vers un objectif ou en fonction des risques. Par exemple, s’il y a des canoës-kayaks qui passent régulièrement. Les branches des arbres peuvent représenter un vrai danger. Intervenir est alors nécessaire. Mais pour la biodiversité et la rivière ou la mare, la meilleure chose à faire, c’est de la laisser tranquille”.

HF : Y a-t-il des interventions spécifiques selon les saisons ?

SD : Il n’y a pas vraiment d’interventions liées aux saisons. C’est plutôt être vigilant éventuellement à certaines maladies. Les arbres de la ripisylve peuvent être soumis à des maladies spécifiques. Certaines zones voient les frênes attaqués par des champignons. Il faut alors éviter une propagation. On peut aussi intervenir si des espèces exotiques se montrent envahissantes. Je pense par exemple à la renouée du Japon, une grande herbacée qui gêne la régénération au sol par l’ombre qu’elle projette. Certains bambous vont s’installer et densifier des zones d’où les autres espèces sont exclues.”

Bois mort pour la biodiversité
Bois mort pour la biodiversité à l'étang des Commelles ©Isabelle Vauconsant

HF : Je suis jardinier.e et j’ai un ruisseau au fond de mon jardin, que puis-je faire ?

SD : Laisser faire, laisser pousser les espèces locales ! Souvent, grâce aux inondations ou quand le niveau monte dans la rivière, des graines arrivent et s’installent. Puis, elles poussent. Ce sont des espèces adaptées, locales qui correspondent bien au milieu. Vous pouvez aussi vous assurer que les différentes strates sont bien présentes. Ce sont des milieux qui, naturellement, mélangent un grand nombre d’espèces. Généralement, on y trouve des strates bien claires : des arbres, des arbustes et des herbacées. Si vous constatez qu’elles n’y sont pas, vous pouvez donner un coup de pouce. Elles tiennent les berges.

HF : Que faire si tout a été coupé auparavant ?

SD : Il y a deux stratégies. L’idéal, si on n’est pas trop pressé et qu’il n’y a pas de problèmes d’érosion, c’est de laisser faire la nature. Si on est pressé ou s’il y a un enjeu particulier, on peut replanter. Il existe aujourd’hui des guides avec des listes d’espèces adaptées : saules, peupliers, aulnes, même pour les herbacées.

HF : Un dernier conseil pour favoriser la biodiversité ?

SD : Plus il y a de strates, plus les animaux sont contents. N’hésitez pas à laisser vieillir les arbres, et même à conserver des arbres morts. Plus il y a de bois mort, plus les espèces sont contentes. La ripisylve est une zone de transition entre le jardin et la rivière. Elle protège l’un et l’autre. Par exemple, lors des crues, elle bloque les débris.

Il est vraiment important d’en prendre soin.

Réinstallation de la ripisylve
Réinstallation de la ripisylve ©Isabelle Vauconsant

HF : Avez-vous des conseils particuliers pour les replantations ?

SD : Ce qui est important, c’est de bien penser à l’origine des plantes choisies. Des collègues allemands ont démontré qu’une partie des raisons de la diffusion des maladies qui touchent les ripisylves, ce sont les plants achetés malades. Il faut être très vigilant.
Parfois, le plus simple, c’est de parcourir le cours d’eau quelques centaines de mètres en amont et en aval. Vous y trouverez les espèces locales et adaptées. Coupez juste quelques branches de saule, par exemple et replantez-les directement. Vous serez sûr d’avoir une plante qui, d’un point de vue génétique ou des maladies, correspond à ce cours d’eau. Bouturer des petites branches de saule, c’est facile!

La ripisylve de l'Étang de Commelles
La ripisylve à la fin de l'automne ©Isabelle Vauconsant

 “Ripisylves et forêts alluviales : connaissances et gestion en contexte de changements globaux” est paru aux éditions Quae.

Rassemblant les textes d’une centaine de contributeurs et de contributrices (écologues, forestiers, géographes, mais aussi de nombreux gestionnaires de l’environnement), il propose :

  • des connaissances de base sur le fonctionnement des ripisylves et des forêts alluviales, 
  • divers outils utiles pour leur caractérisation et leur suivi et
  • de nombreux exemples de gestion et de restauration. 

L’objectif est aussi de donner de la visibilité à ces éléments paysagers si mal connus et qui, pourtant, représentent des partenaires et des atouts précieux dans un contexte de changements globaux.

L’ouvrage est disponible en format papier et en accès libre ICI 

Ripisylves et forêts alluviales

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