L’abbaye Saint-Georges de Boscherville, près de Rouen, est connue pour son église romane, son cloître et sa salle capitulaire magnifiquement préservée. Son vaste parc en terrasses, restauré il y a quelques années, offre une belle promenade empreinte d’histoire et de symboles. Revue de détail avec Danièle Pytel, guide et membre de l’ATAR (Association Touristique de l’Abbaye Romane).
Hortus Focus. L’histoire du lieu traverse les siècles. Pouvez-vous nous la retracer à grands traits ?
Danièle Pytel. L’abbaye, telle qu’on la voit de nos jours, a été construite par les Bénédictins au XIIe siècle. Elle connaît ses années les plus prospères aux XIIIe et XIVe siècles. Puis au XVIIe siècle, grâce à Louis XIV, arrivent des moines mauristes, bénédictins eux aussi. Ils ont construit des bâtiments beaucoup plus importants et lui ont donné de nouvelles heures de gloire jusqu’à la Révolution française où ils ont été obligés de partir. L’abbaye, comme tous les biens religieux, a été vendue à des particuliers. C’est alors qu’un teinturier de la région de Darnétal est venu s’y installer : il avait besoin de faire broyer ses pigments par des chevaux et l’on cultivait des plantes tinctoriales sur les collines environnantes… L’homme a fait faillite en 1822. Pour se renflouer, il a vendu les pierres des bâtiments (sauf celles de l’église). À ce moment-là, l’antiquaire et historien Achille Deville qui était tombé amoureux du site a alerté son ami Prosper Mérimée, inspecteur général des Monuments Historiques. La salle capitulaire et ses magnifiques chapiteaux ont pu être rachetés par le Ministère de la Culture et les terres ont été louées à bail à des fermiers. Lorsque les derniers sont partis, l’ATAR a commencé à s’intéresser au jardin.
C’est le début de la restauration…
Les travaux commencent en 1987. L’idée était de faire du jardin un lieu de visite. En général, on restaure un jardin historique en s’alignant sur le dernier état qu’il a connu, c’est-à-dire, ici, 1791, le moment où les moines sont partis. La convention de Florence demande qu’en Europe les jardins soient restaurés de cette manière. 7000 m3 de terre ont été enlevés (le parc fait 4 hectares) et on a procédé à des fouilles archéologiques. Ensuite on a restauré les maçonneries : la rotonde, l’escalier, le bassin et le pavillon des vents. Tout cela s’est fait à partir de deux documents iconographiques : le Monasticon Gallicanum (1683) qui donne la perspective cavalière des monastères mauristes et une aquarelle ayant appartenu à l’antiquaire Roger de Gaignère datée de 1700. L’architecte des Monuments Historiques a demandé au paysagiste Louis Benech de plancher sur ces deux vues à la suite de quoi, on a établi les massifs, replanté le potager, le verger, les jardins d’agrément et, au dernier étage, les bosquets.
Quelle est la particularité d’un jardin d’abbaye ?
Au départ, il doit être utilitaire ; il doit pouvoir nourrir les moines et aussi leur apporter des remèdes d’où la présence du jardin de simples avec ses plantes médicinales. Le jardin monastique doit être aussi un jardin de méditation où l’on retrouve l’Eden décrit dans la bible et la préfiguration du jardin céleste, le paradis. Enfin, Saint-Georges est un jardin pédagogique, car les moines bénédictins avaient des techniques de culture extrêmement sophistiquées dont nous sommes encore les héritiers aujourd’hui. Un domaine d’abbaye est un lieu de savoir entouré de l’ignorance du monde et l’on cherchait à partager ce savoir !
Il est plus que ça encore…
En effet, comme Louis XIV avait fait réaliser Versailles pour montrer le pouvoir que le roi a sur son royaume, il fallait pouvoir montrer que la religion avait un pouvoir sur le monde qui l’entourait. Saint Georges est aussi un jardin de représentation, avec un style un peu théâtral, celui de la Contre-Réforme.
Comment a-t-il été replanté ?
Son dessin est en croix, cette dernière représentant les 4 fleuves du paradis. Et au milieu, il y a le bassin qui symbolise le Christ. Concernant les plantes, on a recherché au départ des variétés plutôt anciennes, du Moyen-âge. Dans le potager, par exemple, se trouvent des herbes pour faire le potage (les potherbes); parmi les plantes médicinales, de la rue fétide (Ruta graveolens) qui, selon certains traités anciens, calmaient les ardeurs des moines ! Et puis au fur et à mesure, on a un peu diversifié pour donner un aspect plus esthétique. On remarquera tout de même qu’il y a peu de fleurs dans le jardin, ce n’est pas sa vocation. On y trouve des roses: la rose blanche qui symbolise la Vierge, la rose rouge qui symbolise le Christ ou le sang des martyres. Quoi qu’il en soit, au Moyen-âge, les jardins comportaient toujours une partie plantée de fleurs, le bouquetier. Il servait à fleurir les autels.
Des techniques de culture ou des éléments particuliers ?
Côté culture, toutes les plantes étaient disposées dans des parterres carrés (ce dernier représente le cosmos) avec une dimension précise : le bras du moine devait pouvoir atteindre son milieu, cela évitait de piétiner les plantes ! On remarque aussi que le parc comporte différents cadrans solaires, certains uniques en leur genre. Les mauristes étaient des aristocrates cultivés, des lettrés. En plus d’être de grands bâtisseurs, ils étaient des mathématiciens et pratiquaient l’astronomie. Un de ces cadrans est une sphère en haut d’une colonne. Il servait à lire l’heure, mais on pense qu’à la place de la boule actuelle, se trouvait une sphère armillaire pour observer la course des planètes.
Un jardin de fragrances ?
Il est au sud du domaine, en pleine chaleur, complètement clos. On ne sait pas très bien si c’était le jardin du sacristain ou celui du prieur, mais il a été refait avec une inspiration médiévale, sur le modèle des jardins d’Espagne. Il a lui aussi un dessin en croix, des pergolas, avec, au centre, la fontaine. Ce jardin s’inspire du Roman de la Rose comme du jardin de la Bien Aimée (la Vierge) dans la Bible, celui du Cantique des Cantiques. On y a planté des plantes à parfum telles des roses anciennes dont les fragrances exhalent depuis le matin jusqu’au soir.
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