Situé dans le pays de Caux, en Seine-Maritime, le château de Bosmelet, classé Monument historique, est un beau témoin de l’architecture Louis XIII. Il est investi depuis deux ans par Alain Germain, metteur en scène, costumier, chorégraphe et écrivain. Celui-ci y présente sa collection personnelle et y organise des événements culturels (pour quelques jours encore une exposition Jean Cocteau). Le lieu est entouré d’un jardin et d’un parc avec une haie de tilleuls qui fête ses 300 ans cette année. Petite causerie avec le maître des lieux.
Hortus Focus : Depuis quand êtes-vous propriétaire de ce domaine ?
Alain Germain : Je suis ici depuis deux ans. En 2001, mon travail a été classé patrimoine national par les Arts du spectacle à Paris et je cherchais un lieu pour abriter les collections autres que les costumes qui sont toujours dans la capitale. Tout ce qui est dans le hall vient de mes spectacles. Les sculptures viennent de l’opéra Dracula ; les chaises viennent du bicentenaire de Buffon au Muséum d’Histoire naturelle et le cerf, notre mascotte, je l’ai réalisé pour le spectacle Chassé croisé lors de la réouverture de l’hôtel Guénégaud à Paris.
Une salle recevait à l’origine des tapisseries anciennes ; on peut y voir aujourd’hui les grandes toiles inspirées des grottes de Lascaux, que j’ai réalisées avec la complicité d’Yves Coppens pour le spectacle les Origines de l’homme. Enfin un salon montre toute une série de mes dessins de costume.
Quelle est la particularité de ce lieu ?
Il a été construit sur une forteresse qui appartenait à Henri V et Henri VI d’Angleterre et son lieutenant général était Falstof, devenu le Falstaff de Shakespeare, Verdi et Orson Welles. Donc, il y a toujours un petit lien entre le château, l’histoire et les événements qui s’y passent.
Une autre particularité au Bosmelet qui, je trouve, vaut son pesant d’or, c’est que vous avez à gauche l’endroit où les bombes de la Marine royale sont tombées (des dommages collatéraux) et de l’autre côté, une partie reconstruite après la guerre par la baronne de Bosmelet qui était anglaise, avec les dommages de guerre. Elle a retrouvé les briques d’un pigeonnier qui s’était effondré dans les environs, pigeonnier qui avait 70 ans de plus que ce qui était resté debout. Donc nous avons des restaurations plus anciennes que le monument lui-même !
Parlez-nous du parc et du jardin…
Le lieu est, avant tout, un ensemble : un château avec une trouée verte exceptionnelle puisqu’elle se poursuit des deux côtés alors que pour tous les sites comme Versailles ou Compiègne (sauf peut-être à Courson), elle ne se déploie que d’un seul côté, l’autre côté du château donnant sur cour.
Toute une partie du parc a été mise en place par Colinet, le jardinier en chef de Le Nôtre. Le duc de la Force, gouverneur de Normandie et précepteur de Louis XV, habitait alors le château. C’est lui qui l’a invité à planter ses fameux tilleuls. Dans une autre partie du jardin, nous avons les pistes de lancement des V1 qui datent de la période allemande (des travaux faits par la Wehrmacht pour détruire Londres ou ruiner le moral des Anglais).
Vous êtes-vous fait conseiller pour réaménager ce jardin ?
Nous avons tout décidé nous-mêmes, sans prendre les conseils d’un paysagiste. Nous avons d’ailleurs obtenu le prix des Parcs et jardins l’année dernière pour cette transformation. Cette année, nous avons aussi reçu le Prix du patrimoine pour les améliorations apportées au château.
La structure classique du jardin est restée telle quelle. Le grand jardin qui était à l’origine un potager est devenu à la fois un potager, une roseraie et un jardin de fleurs sur une base qui est toujours celle de Colinet, légèrement revue par les propriétaires précédents.
Le potager abrite des serres qui sont classées même si elles n’en ont pas l’air. Il paraît petit du fait de l’échelle des lieux, mais il est, en réalité, assez grand. On a un verger de fruits rouges impressionnant (nous avons fait de délicieuses confitures). Et tout au long des murs, nous avons une collection de poires anciennes, la plus rare de toute la région.
Vous avez aussi des arbres remarquables…
Notre tapis vert de deux kilomètres est bordé d’une double allée de tilleuls (162 en tout), une des plus longues d’Europe, dont nous fêtons cette année le tricentenaire. Leurs troncs sont énormes. Il faut huit personnes se donnant la main pour en faire le tour. On a aussi un Magnolia soulangeana plus que centenaire et classé. Et quatre châtaigniers de 500 ans !
Comment traitez-vous les végétaux ?
Cette année, nous essayons de changer la façon de travailler dans les jardins. On n’emploie plus de pesticide. On fait tout à la main, donc il faut accepter aussi qu’il y ait des mauvaises herbes parmi les plantes que l’on présente dans le jardin. Cela fait partie du prix à payer pour l’écologie. On le fait avec beaucoup de plaisir même si c’est assez compliqué. Nous avons aussi installé des ruches et, depuis cette année, nous produisons le miel des tilleuls du Bosmelet.
C’est mon troisième été ici. Ce qui est amusant à observer c’est que le jardin qu’on m’avait laissé n’était pas impeccable. Je faisais ce que je pouvais. Les gens, parfois mécontents, disaient « Ah, il y a beaucoup de travail dans le jardin, il y a beaucoup de mauvaises herbes… ». L’année dernière ils ont commencé à dire « Oui, le jardin, on aime bien, il a un côté vivant ». Et cette année, la mentalité a complètement changé. On me dit : « C’est vraiment bien que vous laissiez des mauvaises herbes, c’est plus naturel». Pour le gazon, je laisse des parties de pelouse en tonte rase et des parties en tonte haute et on me dit que c’est beau. Il y a une prise de conscience, le regard change.
Vous avez des éléments anciens, du jardin d’origine ?
Nous avons des murs, des grilles et le bassin de Colinet, en particulier, qui nous donne grand souci pour sa protection parce que c’est une pièce inscrite aux Monuments historiques. En même temps, il offre une réserve d’eau qui fait 2m30 de profondeur.
Nous avons aussi une statue de Demeter, la déesse des jardins, autour de laquelle a été créée, cet été, une chorégraphie pour la première édition du festival Contrepoint. Nous avons eu l’idée avec le relais de Vincent Lacoste et le festival Diep Haven dirigé entre autres par Alice Mallet, de faire un petit festival sur des formes courtes (improvisations, performances…) dans les domaines des arts plastiques, de la chorégraphie et, en ce qui nous concerne Vincent Vivès et moi, de la littérature et de la poésie.
Est-ce votre premier jardin ? Lui voyez-vous un lien avec l’art du spectacle ?
J’ai déjà eu des jardins. Il y a une particularité avec le jardin c’est qu’il tient de l’art éphémère puisque c’est un art à renouveler. Toute ma vie je n’ai fait que de l’art éphémère, j’ai fait des mises en scène d’opéra ou de la chorégraphie. C’est l’art du moment dans les deux cas. Il y a un parallèle à faire, mais aussi une humilité terrible à avoir par rapport à tout ça : ce que vous faites c’est pour l’instant présent ! C’est peut-être pour ça que j’accepte de jouer le jeu du jardin qui doit être toujours en mouvement et renouvelé, pas du tout fixe. Le spectacle vivant est un éternel mouvement. Dès que vous lui enlevez cette notion, vous perdez le souffle même de ce qu’il est. Cela ne peut être figé comme un film ou comme un livre. Et il ne le faut surtout pas !
Château et jardin du Bosmelet, Bosmelet, 76720 Auffay. Exposition sur Jean Cocteau jusqu’au 7 octobre. Pour les renseignements pratiques, cliquez ICI
Pour loger ou se restaurer dans la région:
-l’hôtel-Spa-restaurant les Pins de Césars, à Saint-Join-Bruneval, avec de jolies chambres et un très beau parc (photo)
-le relais Douce-France dans le ravissant village de Veules-les-Roses
-la crêperie des Cressonières à Veules-les-Roses (très bon)
Pour tout renseignement sur le département de la Seine-Maritime: Seine-maritime Attractivité