Le château de La Roche-Guyon (Val d’Oise) présente une exposition sur les liens fusionnels autant que conflictuels entre le monde végétal et l’être humain. Fossiles, herbiers, gravures, objets rares… 70 pièces surprenantes, sorties des réserves des musées, témoignent de la domestication des plantes, de leurs voyages, transport et commerce. Ou encore de la naissance des collections végétales et des premiers jardins botaniques. Questions à l’ingénieur horticole et paysagiste Yves-Marie Allain, ancien directeur du service des cultures au Muséum national d’Histoire naturelle et commissaire de l’exposition.
Hortus Focus : le titre de votre exposition est « Aventures végétales, de l’insouciance à la liberté encadrée ». Quel en est le sens?
Yves-Marie Allain : Ce sont les deux grands axes de l’exposition. L’insouciance est vue du côté des plantes en un temps où elles pouvaient se disperser comme elles le voulaient sans autre contrainte que la nature elle-même. Contraintes qu’elles arrivaient à décoder et qui ne les empêchaient pas de s’installer. Ce phénomène existe toujours, tout du moins partiellement.
La liberté encadrée, c’est ce moment où l’homme est arrivé et a domestiqué un certain nombre de plantes pour ses besoins. Pour les cultiver, il les a sorties de leur état naturel. Du coup, certaines n’ont jamais pu le retrouver. Elles ne peuvent plus se ressemer ni se multiplier si l’homme ne le fait pas pour elles.
L’homme, considérant qu’il pouvait avoir un certain pouvoir sur de nombreuses plantes, a aussi commencé à les distribuer à droite et à gauche pour des raisons économiques, esthétiques ou autres. Les végétaux n’ont pas voyagé par leurs propres moyens, mais c’est l’homme qui les y a obligés en les installant dans de nouveaux lieux. C’est le cas par exemple du café, du thé ou d’autres plantes alimentaires.
Une vitrine est particulièrement frappante. Elle est remplie de dizaines de pommes et poires en plâtre, toutes différentes…
Elle illustre, en effet, la diversité des espèces et sous-espèces qui ont pu exister à travers les siècles. Cette vitrine montre aussi la capacité de l’homme à créer ces espèces pour son propre plaisir. Et la souplesse qu’a eue le végétal lui-même pour répondre à ces exigences grâce à sa diversité génétique.
Ailleurs dans l’exposition, on remarque une créature énigmatique intitulée Ravelana madagascarensis.
C’est une inflorescence ou plus exactement une fleur avec à l’intérieur des graines d’un bleu vif. C’est vrai qu’elle est assez spectaculaire. Tout autant que l’arbre dont elle provient, surnommé “Arbre du voyageur”.
Une section de l’exposition est consacrée aux graines. Que pouvez-vous nous en dire?
Elles sont très différentes des spores, des lichens, des mousses ou des fougères. Car les graines ont des capacités uniques de résistance, d’attente et de dissémination. Si les conditions climatiques ou environnementales ne sont pas favorables, par exemple, elles peuvent attendre très longtemps pour germer. C’est quelque chose d’assez incroyable. Un certain nombre de déserts, lorsqu’il se met à pleuvoir, fleurissent. Puis pendant dix ans, vingt ans, trente ans, plus rien ! Cela montre bien que l’apparition de la graine a été un phénomène extraordinaire. On en trouve sous toutes les latitudes avec des types de vie très différents puisqu’entre la germination et l’apparition de la graine, il peut se passer de quelques semaines à un millénaire.
Vous accordez une importance particulière à la caisse de transport de Ward. Pourquoi ?
Pendant très longtemps, la grande difficulté pour les botanistes et les jardiniers qui transportaient des plantes d’un continent à l’autre, c’est de devoir utiliser le bateau. Or les bateaux étaient à voile et le voyage mettait beaucoup de temps. Cela allait de deux-trois semaines à un mois, deux mois, six mois de mer. Et les plantes, ce n’est pas tout à fait leur milieu! Pendant tout le XVIIIe siècle, on a cherché à fabriquer une caisse qui permette au moins de ne pas devoir les arroser tous les jours.
Un beau jour, en cherchant à faire tout à fait autre chose, Nathaniel Bagshaw Ward, un médecin londonien, amateur de papillons, a mis de la terre et des chrysalides dans une dame Jeanne. Au bout d’un certain temps, il s’est aperçu que les chrysalides n’avaient rien donné, mais que des plantes avaient poussé sans apport d’eau ni d’air. Il s’est donc dit : pourquoi ne créerait-on pas des caisses étanches qu’on mettrait sur les bateaux?
Avant l’apparition des caisses de Ward, dans les années 1830, on estime que sur les plantes qui arrivaient à bon port, en gros 1 % arrivait vivantes. Avec la caisse de Ward, on passe à 90 ou 95%.
C’est donc une révolution !
Oui. Et c’est ce qui a permis le développement du commerce, des pépinières, de la connaissance et de l’art des jardins. À cette époque, on passe du jardin à la française où on ne se préoccupe pas des essences des végétaux au jardin paysager où on va rechercher des ambiances, des couleurs, des matières… tout ce qu’apportent les plantes exotiques.
Dans une vitrine, on voit un flacon d’huile de palme, huile très décriée aujourd’hui pour des raisons écologiques. À quoi servait-elle ?
Le palmier à huile, en fait, est africain, plus précisément de la côte ouest africaine. C’est une plante qui servait à tout, au départ surtout comme aliment et pour des rites. Il faut pratiquement attendre l’entre- deux-guerres pour qu’on se mette à en faire de l’huile. Initialement, chaque village africain avait son palmier à huile pour servir les besoins de la communauté. Mais après la Deuxième Guerre mondiale, on a commencé à en faire des cultures industrielles et de la monoculture forestière sur des milliers d’hectares. On s’est aperçu que c’était une huile qui pouvait servir à plein de choses, notamment pour l’industrie alimentaire. Et on en a abusé…
Exposition « Aventures végétales, de l’insouciance à la liberté encadrée », au château de La Roche-Guyon, 95780 La Roche-Guyon, jusqu’au 30 août. Possibilité aussi de visiter le potager-fruitier labellisé « jardin remarquable », à cheval entre patrimoine et écologie (variétés anciennes de fruits et légumes, blés paysans…) Tous les renseignements : ICI