Quand la culture se cultive ou bien le contraire

Nous sommes à Saint-Médard-en-Jalles, une commune d’un peu plus de 30 000 habitants, à une quinzaine de kilomètres de Bordeaux. Là est implantée une scène nationale : le Carré-Colonnes, et Sylvie Violan, Directrice de la Scène nationale et du Festival International des Arts de Bordeaux Métropole. Il y a 76 scènes nationales sur le territoire français. Elles ont pour rôle de mettre la création culturelle à portée de tous et de porter des projets créatifs, poétiques, intelligents et audacieux.

Cyril Jaubert [CJ], metteur en scène de la compagnie Opéra Pagaï. Il définit son travail « La compagnie utilise le territoire urbain comme un véritable terrain d’expérimentation, en s’adaptant à ses spécificités géographiques, territoriales, sociales ou encore culturelles. »

Et voilà qu’arrivent le Covid-19 et le premier confinement. Pas d’attroupements de plus de 6 personnes, pas de spectacles, une situation qui confère au désespoir pour une troupe de théâtre !

Mais non.

La culture s’est faufilée…

CJ : « On s’est dit qu’on allait sortir avec des pots, des graines et du terreau. On allait rencontrer les gens en petit comité, dehors, et masqués autour d’un geste symbolique simple : donner la vie en plantant une graine. La vie avait besoin de nous. On l’a fait, sur la place de Saint-Médard-en-Jalles, pendant une bonne semaine, devant la scène nationale.

Cyril Jaubert
Cyril Jaubert ©Opéra Pagaï

CJ :  « On a croisé les habitants quelques minutes, le temps de poser la graine. Et au bout du compte, il y a eu plus de 700 pots. Chaque habitant avait inscrit son nom sur son pot, sur sa plante en devenir. La troupe a tout installé dans le hall du théâtre qui est pourvu d’une grande verrière. On a transformé le hall en serre ! »

Sylvie Violan : « J’ai compris assez vite qu’on n’était pas près de réouvrir. Les gens allaient vraiment très mal avec ce confinement. Il fallait faire quelque chose de réconfortant pour eux. L’idée était dans l’air de créer un jardin sur le toit. Avec Cyril, on a pensé à faire des semis ? Des semis de poésie et de musique, des semis d’art, des semis aussi. »

Sylvie Violan
Sylvie Violan ©La Terrasse

SV : « Les semis, ce sont des impromptus, pas des spectacles, donc pas de programme. On est allé à la sortie des écoles, dans les quartiers, un peu partout. Chaque matin, un saxophone posté sur le toit annonce que quelque chose va se passer dans la ville.

Les comédiens se font jardiniers

Les équipes du théâtre veillent sur les semis, les arrosent les accompagnent dans leur croissance, assistent au développement de la vie. Les habitants suivent de l’extérieur, mais ne voient pas tout très bien.

CJ : « Puisque les gens ou les semeurs ne pouvaient pas venir dans le théâtre, on a écrit une newsletter hebdomadaire pour les tenir au courant des pérégrinations, des aventures de leurs semis. Et comme on est une compagnie de création et des auteurs de fiction, nous avons transformé cela en une épopée incroyable. »

Il y a des photos, une épopée, il n’y a plus qu’à laisser filer l’imagination.

CJ : « On a décidé que chaque plant était leur double végétal, dont on prenait soin, qui pouvait entrer au théâtre, puisqu’on ne pouvait pas prendre soin d’eux autrement, dans cette période troublée. »

Culture de fraises

SV : « Tout le travail de l’Opéra Pagaï a peu à peu permis de décoller de la réalité. Du flou entre la fiction et la réalité est né un récit devenu épique. Pendant ce temps les plantes poussaient, la serre devenait trop chaude. Des comédiens, des régisseurs, toute l’équipe ont monté les pots sur le toit, mais il y a eu des gelées. On a demandé l’aide d’un maraîcher.»

CJ : « Et puis, l’heure de la plantation étant venue, on s’est demandé où installer toutes ces plantes pleines de vie. On a découvert un terrain tout près du théâtre. Cette friche appartenait à la ville. Elle nous l’a concédée en colocation entre la ville, le théâtre et la compagnie.»

Culture & culture

L’histoire se poursuit alors sur cette friche. L’objectif est de planter toutes les variétés potagères qui se sont développées dans les pots. La friche est un beau bout de nature en pleine ville dont les artistes, scénographes et plasticiens du théâtre vont s’emparer pour en faire un jardin extraordinaire. Ils préparent ainsi le déconfinement pour des habitants qui auront gagné un espace de culture&culture supplémentaire.

CJ : « On voulait faire un potager pour tout le monde. Tout le monde est venu planter ses légumes et ses fleurs. Chacun a pu contribuer à l’émergence et à la culture de ce jardin extraordinaire. Puis on a recruté une jardinière maraîchère. Elle est la reine du jardin qui est bordé d’écuries anciennes et d’une forêt de chênes. Il y a aussi une bambouseraie. »

Cette bambouseraie a été utilisée par les plasticiennes pour les constructions de cabanes et pour les supports de plantation.

Je pense que la scène nationale est le premier théâtre en France à disposer d’un jardin potager et à avoir embauché une jardinière.

La vie de la scène a repris

Les fruits et les légumes sont offerts aux habitants. Barbara, la jardinière, les récolte et les met à disposition des passants. Ils sont aussi utilisés par l‘équipe du théâtre qui prépare des petits plats pour les spectateurs avant et après les représentations.

Culture du potager
©Pierre_PLANCHENAULT

Artiste au potager

CJ : « Mon rôle d’artiste, c’est d’ouvrir des fenêtres sur le monde pour les spectateurs. Nous faisons souvent des propositions hors normes, non annoncées, des surprises dans la ville. Puis, à chacun de choisir son engagement. Moi, j’ai la conviction que si tout le monde se retrouver autour de questions essentielles. Comment retrouver un lien à la nature ? Comment récolter des légumes, donner et respecter la vie ? C’est beau, c’est triste, c’est pathétique, et c’est merveilleux. »

CJ : « Moi, j’ai envie de mettre en scène, théâtralement, des moments de potager.La récolte, la transformation ; voilà comment, ensemble, on peut faire du gaspacho ou mettre en scène la mise en conserve des tomates. Je n’avais jamais imaginé explorer cela avec le théâtre. La poésie de la nature va de soi, mais au potager, c’est une poésie du quotidien dont l’idée me charme. »

Dans le jardin lui-même, l’Opéra Pagaï a décidé de proposer des représentations musicales, des siffleurs d’oiseaux par exemple. Et, les idées fusent. Pour Cyril, le potager est une découverte artistique, mais pas dans la vie. Depuis toujours, il fait du potager et reconnait avoir besoin de garder « les pieds dans la terre”.

Culture : semis

Au sein même de l’équipe, cette expérience inédite a été révélatrice. Beaucoup des membres du théâtre vivent à la campagne et cultivent leur jardin, et d’autres se sont découverts agrocompatibles. Au-delà du spectacle et du culturel, c’est « l’agri-culture » qui les a tenus ensemble, c’est une autre culture !

Jardin secret et extraordinaire

CJ : « Nous travaillons dans les espaces publics, dans la ville en général, parfois dans la campagne. Avec ce jardin secret, c’est ainsi que nous avons choisi de l’appeler, nous avons construit quelque chose de commun et d’intime en même temps. C’est un endroit où on se retrouve et où on se ressource qui fait vraiment sens pour nous. Il a ouvert d’autres portes, d’autres types de relations tant entre nous qu’avec le public. »

Le jardin, pour les artistes comme pour leur public, c’est une situation nouvelle. Ce n’est pas encore la fiction de la représentation, mais c’est déjà une mise en condition de l’imaginaire. Lorsque les habitants viennent au jardin avec les comédiens, ils rencontrent des humains avant de voir des acteurs.

CJ : « Je pense qu’ils oublient qu’on est acteurs. On est au jardin. On plante. On sarcle. On cultive. C’est une relation qui démystifie l’artiste. C’est bien. »

Des semences bien élevées

CJ : « Nous avons acheté les premières semences chez le Biau germe, un collectif de producteurs de semences paysannes bio, installé dans le Lot-et-Garonne. Depuis, Barbara récolte les graines de nos plantes que nous réutilisons. On est autonome. Et des habitants viennent aussi avec des graines de leurs jardins. »

Et un premier bilan assez dingue/digne !

SV : « Aujourd’hui on est à 1300 semeurs et ça ne cesse de croître. Les écoles nous ont rejoints, avec d’abord les huit classes de maternelle de l’école d’en face. Nous avons aussi organisé des ateliers Philo sur les questions liées à la nature et au jardin. Nous avons accueilli les réunions institutionnelles avec la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) ou le Ministère de la Culture. Notre expérimentation intéresse beaucoup de monde. »

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