Sur le territoire de la métropole de Rouen, l’association Triticum œuvre pour le maintien de la biodiversité cultivée, une agriculture vertueuse et d’avenir. Ce projet citoyen travaille notamment à la réintroduction des anciennes céréales, à la production de farine, de pain, de bière 100% normands. Rencontre avec Simon Bridonneau, le président de cette association, membre du Réseau Semences Paysannes France.
Semences paysannes, semences commerciales, quelles différences ?
Les premières sont libres de droits, elles ne sont pas brevetées et donc pas détenues par une quelconque société commerciale. Autre différence importante : les semences paysannes sont plus rustiques. Leurs racines sont plus longues, elles souffrent moins en période de sécheresse, par exemple. Elles poussent en conditions parfois difficiles et sans intrants. Nous recherchons donc ces semences pour les observer, les multiplier, les faire connaître, les distribuer auprès d’agriculteurs de notre région. Les terroirs ne manquent pas pour cultiver ses semences et pouvoir participer à la production de bons aliments.
Il ne faut pas perdre de vue que les céréales nous nourrissent autant que les légumes, si ce n’est plus en termes de calories. Les gens ont même un intérêt à cultiver leurs propres céréales dans un bout de jardin et fabriquer un peu de farine par exemple. Cela n’a rien de bien compliqué. Les céréales ont permis une coévolution des hommes et des plantes depuis 12 000 ans. Un certain nombre d’entre elles ont été cultivées, sélectionnées par les hommes. Il en a résulté l’apparition de villages, de sociétés structurées. Il s’agit donc pour nous d’un enjeu central.
Un travail collaboratif entre citoyens et paysans
Sur environ 260 adhérents, les trois-quarts sont des agriculteurs, les autres sont des boulangers ou des meuniers-boulangers. C’est d’ailleurs une agricultrice qui, dès le démarrage de Triticum en 2019, nous a proposé une de ses parcelles à Roncheville-sur-le-Vivier pour cultiver nos céréales anciennes. Nous changeons de parcelle chaque année. Cette agricultrice nous soutient techniquement dans le cadre d’un partenariat avec l’Association Bio en Normandie, qui rassemble des professionnels de l’agriculture normande.
La parcelle où nous avons cultivé en 2020 a été implantée par une quinzaine de personnes. Les deux tiers de nos adhérents habitent la métropole de Rouen. Ils participent au projet, c’est l’occasion d’apprendre l’agriculture, de participer à la conservation de la biodiversité. Ici, on ne conduit pas de gros tracteurs, on travaille à la main. On a un semoir manuel, un semoir professionnel de maraîcher. Nos outils s’apparentent plutôt à une petite agriculture telle qu’elle est visible dans certains pays de l’Est ou en Afrique, ce qui ne l’empêche ni d’être pertinente et productive.
Qui sont les adhérents à Triticum ?
Nos adhérents sont souvent jeunes, entre 20 et 40 ans, mais Triticum compte aussi de jeunes retraités. Les profils sont très différents et les partages toujours intéressants. Certains sont en quête de sens, en pleine reconversion professionnelle ; ils cherchent à découvrir un univers qu’ils ne connaissent pas. C’est aussi l’occasion pour eux de tester leurs envies, leurs capacités. Le projet étant multiforme, on se retrouve aussi bien dans des réunions un peu formelles que sur le terrain, dans les champs. On essaye de s’auto-organiser et de se questionner sur la transformation.
Une équipe travaille sur un projet de bière à partir de semences paysannes, par exemple. D’autres adhérents sont plus intéressés par les questions liées à la farine et au pain. Les échanges sont multiples au sein de Triticum. Il peut être intéressant pour un particulier de parler avec un boulanger professionnel ou d’aller l’aider une matinée pour découvrir son travail.
Notre première année de culture a eu un résultat : deux variétés de céréales ont été transformées en farine et ont été mises à la disposition de boulangers et d’adhérents. Les gens qui ont semé, entretenu, moissonné peuvent manger du pain issu de cette farine. C’est très concret et très encourageant. On espère que des boulangers de Rouen et de la métropole vont pouvoir bientôt produire et proposer à leurs clients un pain 100% local.
Quelles céréales sur la parcelle d’essai ?
On fait un travail global sur les céréales paysannes. Nous testons des variétés de blé tendre, de blé dur, du blé poulard. Ce dernier est une variété intermédiaire entre le tendre et le dur, il est très apprécié pour fabriquer des pâtes notamment. Ce blé Poulard était très présent au XIXe dans nos régions avant de céder la place aux blés durs en provenance principalement du Maghreb.
Nous avons aussi semé les petit et grand épeautres qui donnent des arômes originaux, différents. On les utilise, par exemple, dans la bière. Nous travaillons aussi sur des avoines. Elles peuvent être floconnées pour l’alimentation humaine ou pour nourrir les animaux, ce qui intéresse des éleveurs locaux. On s’intéresse également à l’amidonnier, une céréale très ancienne, mieux connue en Italie qu’en France. Cette céréale donne une farine semoulée, idéale pour faire des pâtes.
Bon nombre de ces céréales ont complètement disparu de nos campagnes. Pour nous, ce sont des trésors à réintroduire et à préserver. Si l’on veut une agriculture sans intrants, sans produits phytosanitaires, il faut impérativement de la diversité dans les champs. Un champ de 20 hectares planté d’une seule variété, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, sera beaucoup plus fragile surtout s’il s’agit d’une variété peu résistante. La diversité des cultures est primordiale. C’est un enjeu d’avenir.
Un travail 100% manuel
Semis, entretien, désherbage, récolte… tout est fait à la main. L’été, c’est moisson méticuleuse des céréales plantées en bandes. Les gerbes sont ensuite battues dans une batteuse à moteur, un matériel low tech. Les variétés cultivées sur 1, 2 ou 3 M2 sont récoltées épi par épi avant d’être battues à la main. En aucun cas, les céréales ne doivent être mélangées, le travail demande de la rigueur. Dans la lignée du suivi agronomique effectué tous les mois.
Les adhérents sont invités à participer à la moisson. C’est aussi à ce moment-là qu’on retient des épis qui nous plaisent, un travail en collaboration avec Isabelle Goldringer, directrice de recherche à l’INRA qui travaille sur les semences paysannes et nous accompagne sur cet aspect du travail.
Un travail en réseau
Triticum est membre actif du Réseau Semences Paysannes France, au côté d’associations plus connues comme Graines de Noé, Triptoleme ou Pétanielle dans le Sud-Ouest. Nous entretenons aussi des échanges avec Initiatives paysannes, une association basée dans le Nord de la France, et qui a déjà fait de nombreux tests. Les semences paysannes peuvent s’adapter mieux à un terroir qu’à un autre. Elles se teintent aussi en fonction de la mouture et de la boulange. La diversité, en fait, opère à tout moment de toutes les étapes de distribution. À Rouen, nous avons en projet la mise en place de petits ateliers de dégustation à l’aveugle pour tester ses différences et se questionner sur la culture de certaines variétés pour leurs arômes.
On teste, on ne collectionne pas !
L’an dernier, Rouen et la métropole ont été frappés par l’explosion de l’usine Lubrizol. Nous avons eu la chance d’être en dehors de la zone du nuage et nous avons pu semer une soixante de variétés de céréales. Cette année, on tourne autour d’une centaine de céréales semées en hiver et une cinquantaine au printemps. Mais il ne s’agit pas de faire une collection pour faire une collection. On se donne 3 à 5 ans pour tester chaque variété, observer ses réactions avant de définir si elle est intéressante ou non pour le terroir normand. L’objectif, c’est de ressemer des variétés qui créent des écotypes, s’adaptent, et offrent une force et une rusticité issues de leur bagage génétique très riche. Notre démarche, c’est avant tout d’observer.
Des graines venues de tous les ailleurs…
Les hommes ont fait voyager les semences depuis le début de l’histoire de l’agriculture, donc nous cherchons des graines un peu partout et c’est absolument passionnant !
Les variétés ont énormément voyagé au XIXe siècle. Nous avons, par exemple, semé un blé poulard d’Australie. À l’origine, il était cultivé en France et en Angleterre ; il a voyagé avec des immigrés jusqu’en Australie avant d’en revenir avec ce nom « poulard d’Australie ». Et cela fait belle lurette qu’on ne le cultive plus sur le continent européen.
Nous avons interrogé des conservatoires, et notamment une association québécoise qui nous a envoyé plusieurs variétés. Ce sont des blés partis du nord de la France, d’Allemagne, de Pologne au XIXe siècle. À la même époque, des blés ukrainiens sont venus se mélanger aux blés français. C’est une quête passionnante menée grâce à la littérature… et internet !
Le voyage des graines, c’est le bon côté de la mondialisation. Quand ça se passe de cette façon, c’est assez heureux. Cela nous permet de trouver d’autres sources d’approvisionnement et de tests.
S’adapter aux changements climatiques
Le climat évolue, tout le monde le sait bien ! On sait également d’une année ne fait pas les autres. Des hivers plus froids peuvent encore exister. Et donc nous devons aussi penser à sélectionner des semences en fonction de cet impératif. On s’intéresse par exemple à des semences qu’on pouvait plus facilement trouver dans le sud de la France.
Portrait : Simon Bridonneau, président de Triticum
Il a grandi entre la ferme de ses grands-parents et la maison de ses parents, une sorte, dit-il, de « petit Bec-Helluin’ avec un étang, un four à pain, des poules, une grande forêt toute proche. Une enfance campagnarde bien éloignée pendant des années de son job de musicien et producteur de musique… Et puis, à la quarantaine l’envie lui est venue de prendre l’air et surtout « d’interagir sur des questions de société autour de l’alimentation et des semences paysannes. ».
Aujourd’hui, Simon se partage entre son travail et l’association laquelle comme toutes les associations et tous les engagements s’avère chronophage. Mais le souci du bien commun et l’envie de faire évoluer les choses l’emportent avant tout : « Je crois que les citoyens ont un petit peu trop laissé faire les choses, sans donner leur avis, et s’organiser pour pouvoir le faire… »
L’association qu’il préside est encore toute jeune, mais intéresse beaucoup. Le nombre des adhérents ne cesse de grimper. Pour Simon, la dynamique citoyenne est là et ne cherche qu’à s’exprimer encore plus. Autre particularité de Triticum : habituellement, en France et ailleurs, une maison des semences est souvent une initiative paysanne, un regroupement professionnel soutenu par des citoyens. L’association rouennaise fonctionne « à l’envers » : c’est un projet citoyen va à la rencontre des agriculteurs. L’an dernier, 200 sachets de 100 g de graines ont été distribués dans des fermes en Normandie. Comme un passage de témoin.
Testez vos connaissances sur le blé
(réponses en fin d’article)
1 – Au XVIIIe siècle, le terme « blé » désignait toute plante cultivée dont les graines pourraient être réduites en farine pour l’alimentation humaine.
Vrai ? Faux ?
2 – Quel est le premier pays producteur de blé au monde ?
L’Ukraine – La France – La Chine – Les États-Unis
3 – Chaque Français consomme en moyenne plus d’une demi-baguette de pain par jour.
Vrai – Faux ?
4 – Quelle région est surnommée le grenier à blé de la France ?
Le Berry – La Beauce – Le Vexin
5 – Pour produire des semoules et des pâtes, on utilise du blé dur
Vrai ou faux ?
Les partenaires de Triticum
Réseau Semences Paysannes, Les Greniers d’Abondance, Bio en Normandie, Métropole Rouen Normandie, DRAF Normandie, INRAE, AG2R la Mondiale, Crédit agricole Normandie, Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’Homme.
Réponses du mini-quizz
1 – Vrai
2 – La Chine
3 – Vrai
4 – La Beauce
5 – Vrai