Philippe Lecoufle est un retraité actif. Même s’il a passé la main de l’entreprise Vacherot et Lecoufle, à sa fille, Colombe, il n’est jamais loin des serres et du magasin de ces orchidées auxquelles il a consacré une grande partie de sa vie comme son père, son grand-père et son arrière-grand-père. Entretien.
Hortus Focus : qui est à l’origine de l’entreprise ?
Philippe Lecoufle : à la fin du XIXe, mon arrière-grand-père, Henri Vacherot, cultivait des œillets, ici, à Boissy-Saint-Léger. Un jour, une cliente lui a offert une orchidée et il est littéralement tombé amoureux de ces fleurs au point d’en faire une collection et de se lancer dans leur culture.

L’entreprise est ensuite passée dans les mains de mon grand-père, Maurice-Étienne Lecoufle, mari d’Henriette (fille d’Henri). Malheureusement, Maurice est mort pendant la Première Guerre mondiale. Henriette est restée seule avec leurs deux enfants, Marcel et Maurice Lecoufle. Je sais que ce n’est pas toujours facile de suivre, car chez nous entre les Henri, les Henriette, les Marcel, les Maurice, il y a de quoi s’y perdre ! Moi, je m’appelle Philippe Maurice…
Qui s’est alors occupé de l’entreprise ?
C’est ma grand-mère, Henriette, et Joseph Dupont, notre chef de culture à l’époque, qui ont maintenu l’entreprise. Mon arrière-grand-père a encore beaucoup travaillé à cette époque aussi. Ils l’ont même fait prospérer. Elle a traversé les deux guerres, notamment la Seconde, grâce à une allocation de combustible accordée par le ministère de l’Agriculture.
Et après la Seconde Guerre mondiale ?
Mon arrière-grand-père, Henri, est mort en 1945. Michel Vacherot, son petit-fils (le fils de Maurice mort à la guerre…), entre à son tour dans l’entreprise. Pendant les années 1950, Marcel Lecoufle quitte l’entreprise familiale pour créer la sienne. Son frère, Maurice, (vous suivez toujours ?) travaille avec Michel Vacherot à développer l’entreprise. Maurice, c’est mon père !
Quel a été le rôle particulier de votre père ?
Mon père a passé toute une partie de sa vie à voyager, il passait à peu près six mois par an à l’étranger. À l’époque, les orchidées étaient des plantes vraiment très, très rares. Il fallait payer des sommes absolument astronomiques pour avoir une plante ! Ce qui intéressait mon père, c’était de sélectionner des plantes et de faire des hybrides pour avoir de nouvelles et belles variétés. “De beaux parents donnent de beaux enfants”, disait-il. Au quotidien, on élevait des orchidées pour les vendre en fleurs coupées. À une époque, il suffisait de vendre un carton de fleurs coupées pour pouvoir vivre plusieurs jours. Les Cattleya étaient portés aux boutonnières. Maintenant, il faudrait en vendre des milliers !
Où se rendait votre père ?
Absolument partout ! Il a voyagé dans le monde entier pour trouver de belles plantes… et pour en vendre. À son époque, Vacherot et Lecoufle fournissait en orchidées plusieurs familles royales et des gens très fortunés. Il a aussi été convié à de nombreuses reprises à donner des conférences aux États-Unis, en Australie, en Nouvelle-Zélande…
1964 est une date importante pour l’entreprise Vacherot et Lecoufle ?
Oui, c’est l’année de la commercialisation des premières orchidées clonées. Cette technique de multiplication a été mise au point par Michel Vacherot et elle a permis aux orchidées de devenir peu à peu des plantes plus abordables. Le clonage a permis d’homogénéiser la production florale et d’avoir plus rapidement des fleurs de la même variété.
Le clonage est l’aboutissement d’un long processus de sélection tout de même ?
Effectivement, mais on saute une étape, celle de la division. On commence par hybrider les plantes puis on observe leur développement. On en sélectionne quelques-unes. Certaines vont servir à la reproduction par clonage. Les autres vont être utilisées pour créer de nouveaux hybrides avec un autre parent. Et le cycle recommence. Le clonage permet de reproduire une plante à 500 comme à 3000 exemplaires. Et ces plantes seront parfaites et homogènes.
Vous avez toujours un laboratoire ici ?
Nous en avons eu un pendant très longtemps, de 1900 à 1990. Pendant vingt ans, de 1960 à 1980, nous avons multiplié des plantes par clonage pour le monde entier, car il n’existait pas beaucoup de laboratoires. Nous produisions des plantes de qualité, à partir du méristème apical, gage de qualité, d’où des prix élevés pour nos orchidées. D’autres labos en Thaïlande, Pays-Bas… produisaient plus de plantes moins qualitatives, mais moins chères. Nous l’avons fermé et c’est une partie d’activité que nous sous-traitons désormais, car ce sont des coûts que nous ne pouvons plus nous permettre malheureusement en interne.
Les serres ont-elles aussi une longue histoire ?
Les serres datent de 1900. Elles ont été utilisées pour l’Exposition internationale de Nantes en 1904 avant d’être rapportées et installées à Boissy-Saint-Léger. Elles ont donc 120 ans. Auparavant, elles étaient chauffées au charbon grâce à 6 chaudières. Aujourd’hui, nous avons deux chaudières pour chauffer les serres, les tubes en inox sont discrets. Mais nous avons voulu conserver l’énorme cheminée d’origine. On aime tous beaucoup cette structure qui nous rappelle le passé de l’entreprise.

Enfant, vous aviez déjà envie de reprendre l’entreprise ?
J’ai toujours eu une sensibilité par rapport aux plantes, mais, quand j’étais gamin, je n’avais pas le droit d’aller tout seul dans les serres. À l’époque, il y avait des bassins pour arroser les plantes et c’était potentiellement dangereux pour les petits enfants. On avait juste le droit de repiquer des plantes ! Notre chef de culture, M. Dupont, qui est mort en 1956, n’a jamais voulu qu’on installe de son vivant des tuyaux d’arrosage. Donc chaque plante était abreuvée avec un arrosoir. Vous imaginez l’énormité du travail…
Quand et comment êtes-vous entré dans l’entreprise familiale ?
Après avoir passé quatre ans en pension en Angleterre, j’ai commencé à 18 ans, ici, à Boissy-Saint-Léger. Puis, je suis allé faire des stages en Allemagne, aux États-Unis avant de m’occuper du développement européen de l’entreprise pendant que mon père était lui souvent au bout du monde.
J’ai beaucoup travaillé en Italie, où je passais environ 15 jours par mois. Je me suis aussi souvent rendu en Allemagne. Je vendais partout nos orchidées clonées. C’est ainsi que nous avons commencé à travailler avec les Hollandais. Chez eux, on ne se pose pas de questions. Ils peuvent cultiver des salades, des tomates et décider d’un coup d’un seul de tout changer. Beaucoup se sont reconvertis dans la culture des orchidées.
Vous auriez pu faire autre chose ?
J’aurais bien aimé être pilote automobile. Jeune, j’étais bien plus passionné par les voitures que par les plantes. J’étais alors très ami avec le pilote Didier Pironi. On était tout le temps ensemble. Quand Didier a eu son volant, j’ai failli aller faire la même qualification que lui. Mais ma mère n’a pas voulu financer mon volant.
Des regrets ?
Non, absolument pas ! Avec les années, je me suis aperçu que j’avais, comme mon père, le goût du beau, l’impératif de la qualité, un besoin d’exigence.
Heureux d’avoir transmis le flambeau à Colombe ?
Oh oui ! Mais si aucune de mes filles n’avait voulu reprendre, je ne les aurais pas forcées. Je suis simplement heureux de voir la cinquième génération à la tête de l’entreprise. Et puis, nous avons des collections nationales. Nous sommes les gardiens de ces collections. Et je suis content de ne pas avoir eu à chercher des gens auxquels les confier.
Vous adorez présenter vos plantes dans des expositions ?
C’est un plaisir, mais aussi une compétition et j’aime bien la compétition. En Angleterre, j’ai eu beaucoup de médailles d’argent. J’arrivais avec ma voiture blindée d’orchidées, je montais mon expo vite fait et voilà. Un jour, un copain anglais m’a dit : « Cher Philippe Lecoufle, si tu finissais tes stands, tu aurais des médailles d’or ! ». Et un jour, avec Constance, une autre de mes filles, on a fignolé le stand. Bingo ! Médaille d’or ! Depuis, nous faisons toujours attention au moindre détail dans la présentation de nos plantes sur les stands. En Angleterre, dans des expos, nous avons été récompensés par 36 médailles d’or, notamment à Hampton Court.