Les vignes de Banyuls-sur-Mer, dans les Pyrénées orientales, produisent un vin délicieux et poussent dans de splendides paysages en terrasses, entre mer et montagne. L’homme, en effet, y a construit depuis des siècles d’immenses réseaux de « murettes » qui quadrillent le paysage, composant de fabuleux tableaux en toutes saisons. Jean-Michel Solé, vigneron et maire de Banyuls depuis cinq ans, veut faire classer ce savoir-faire. Nous l’avons interrogé.
Hortus Focus. Une des particularités de la vigne, à Banyuls, ce sont les murettes. Expliquez-nous !
La vigne, ici, pousse entre 0 et 450 mètres. En plus aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, elle a tendance à monter de plus en plus haut pour trouver la fraîcheur. C’est pourquoi chez nous, on fait et on a toujours fait des murettes pour retenir les terres et empêcher le ravinement. Quand on va dans le vignoble d’Aoste, on a des murettes qui sont très droites et très hautes. Ici, les murettes sont plus petites parce qu’il y a moins de terre à retenir et surtout, elles sont légèrement penchées.
Comment sont-elles faites ?
Ce sont des murs en pierre légèrement en diagonale par rapport à la pente, de façon à pouvoir conduire l’eau à leur pied, dans les agouilles (canaux d’irrigation), et qu’elle soit acheminée ensuite jusqu’en bas. La murette a le rôle de tenir la terre et de laisser passer l’eau entre les pierres. On la construit avec des pierres derrière lesquelles on met du « replum », c’est-à-dire des petits cailloux et de la terre qui fonctionnent comme un contre poids. Ce sont eux qui soutiennent la murette, car il n’y a pas de joint entre les pierres.
Pourquoi souhaitez-vous faire classer ces murettes au patrimoine mondial de l’UNESCO ?
Nous souhaitons les faire classer dans la catégorie « patrimoine immatériel » parce que nous ne voulons pas figer les paysages. Nous pensons que ceux-ci vont encore évoluer, ils ont toujours évolué. Nous voulons avant tout faire classer le savoir-faire des vignerons. Bien avant les études hydrauliques, ils ont su, observer la nature, le fait par exemple que dans notre région, nous avons des périodes de sécheresse très longues et des périodes de pluie intense qui érodent beaucoup les sols. Nos vignerons ont créé un système très perfectionné qui n’a pas son pareil. Aujourd’hui, si des ingénieurs faisaient cela, ils le feraient de la même façon. Ce système s’est maintenu pendant des siècles. Il a aussi servi pour les cultures de l’olive, du chêne-liège ou d’arbres qui servaient pour le charbon de bois.
Depuis quand fabrique-t-on ces murettes ?
On dit que ce sont les moines templiers qui les ont rapportées des Croisades, donc depuis le Moyen Âge. Ici, à Banyuls, on faisait surtout de la pluriculture. Il n’y avait pas de route, les gens se déplaçaient en bateau. Traditionnellement, ils étaient pêcheurs, tournés vers la mer et avaient tous des petits bateaux qu’ils remontaient sur la plage. Quand il faisait mauvais temps, ils allaient à la vigne, mais si, à un moment de la journée, ils voyaient qu’il faisait beau, ils retournaient à la mer ! Pour cette raison, comme ils abandonnaient souvent leur travail terrestre pour travailler en mer, ils n’ont jamais eu de très grandes parcelles de vignes. Cette tradition fait que le vignoble est très morcelé.
Et plus tard ?
Quand le chemin de fer est arrivé, les gens se sont regroupés en coopératives parce qu’il fallait produire davantage. Les négociants cherchaient des vins qui enivraient un peu plus, plus chargés en alcool ; ils venaient les chercher jusqu’ici. Donc, petit à petit, la vigne est devenue un travail un peu plus rentable. Quand il y a eu la route et le chemin de fer, on s’est rendu compte qu’on arrivait à faire venir de l’orge, du blé et de la viande d’ailleurs et que cela revenait moins cher que de les produire. Et comme on arrivait à vendre notre vin un peu plus cher, on a donc cessé de vivre en autarcie. Tout le monde s’est tourné vers la culture de la vigne.
Quand pensez-vous entamer votre démarche de classement ?
Pour le moment elle est un peu en “standby” parce qu’on a beaucoup de fers au feu. Il faut qu’on la relance sachant qu’elle doit être portée par les viticulteurs, mais aussi par l’intercommunalité, car elle concerne les 4 communes de la côte (Collioure, Cerbère, Port-Vendres et Banyuls).
Pourquoi les murettes sont-elles si menacées ?
Elles demandent un travail physique, long, un peu ingrat et donc une main-d’œuvre particulière. Ce travail coûte cher et la viticulture qui concerne les vins doux naturels traverse une crise importante. Aujourd’hui, même s’ils produisent des vins exceptionnels, nos vignobles manquent de notoriété et peinent à rétribuer correctement le travail de nos vignerons. Donc nous avons une déperdition sur le cru et petit à petit, une perte d’exploitation. Les quelques vignerons qui restent entretiennent bien leurs murettes, mais ont parfois du mal à s’en sortir. La viticulture d’ici, je dis toujours qu’elle est héroïque ! Nos viticulteurs sont des sculpteurs de montagne qui façonnent des paysages à couper le souffle. Donc il y a un vrai intérêt patrimonial.
Quelle est la particularité du vin de Banyuls ?
Souvent, les anciennes vignes, celles qui ont une centaine d’années, étaient co-plantées c’est-à-dire qu’il y avait plusieurs cépages dans la même parcelle : par exemple des grenaches gris, noirs ou blancs et des Carignans. Avant la tradition voulait qu’on ramasse les raisins quand ils avaient suffisamment de maturité et de concentration de sucre. On en faisait alors du Banyuls, vin doux naturel. On mélangeait la totalité des raisins et on les mettait dans des grandes barriques qu’on laissait à moitié vides. S’y produisait alors un échange entre l’air et le vin qui faisait que le vin s’oxydait. Le grenache, par exemple, est un cépage qui force le trait sur l’oxydation ; il donne des vins avec un goût de figue, de prune, de pruneau, de caféine. Plus il s’oxyde et meilleur il est ! Par la suite, le goût du consommateur a évolué et on s’est mis aussi à faire du Banyuls blanc. Petit à petit, le Banyuls s’est diversifié…
Début octobre, tous les ans, vous organisez une grande fête des Vendanges ! Quand ont-elles lieu ?
La période se raccourcit. Avant, on vendangeait au mois d’octobre alors que maintenant on vendange à partir du 20 août, quand le raisin est à maturité. On commence à vendanger pour faire le vin blanc. Il faut cueillir le raisin au bon moment, pas trop tôt, car les vins, ici, font 14 degrés. On le goûte et quand il est bon à manger, il est bon à boire ! Pour en être sûrs, on met les pépins au creux de la main ; il faut qu’ils soient croquants et marron. S’ils sont trop verts, ils sont astringents. On a donc juste une petite fenêtre de tir pour cueillir nos raisins, qu’ils soient blancs ou rouges. Mais il ne faut pas les cueillir trop tard non plus sinon on a des vins trop alcooleux et ils perdent un peu de vivacité. Nos vins blancs doivent avoir un peu d’acidité pour flatter les papilles. Une autre particularité des vins d’ici c’est que le sol est fait de schiste. La vigne va en profondeur chercher ses oligo-éléments et remonte beaucoup de minéralité. Cela donne des vins avec beaucoup de fraicheur en bouche, un goût de fruit blanc, avec en fond de bouche, de la minéralité.
Vous avez évoqué, tout à l’heure, la faible rentabilité du Banyuls.
Comment s’explique-t-elle ?
Le décret d’appellation Banyuls permet de faire 30 hectolitres sur un hectare de vigne alors que certains Bordeaux ou Bourgogne peuvent en faire de 50 à 80. En plus, la plupart du temps, notre production est en dessous de ce chiffre, elle est de 18 à 22 hectolitres par hectare. Notre deuxième appellation sur le cru, l’appellation Collioure qui concerne des vins de table secs, nous autorise 40 hectolitres par hectare alors que nous sommes autour de 30. À cause de nos conditions climatiques, de la sécheresse, du fait qu’il y a peu de terre et beaucoup de cailloux, du fait que notre vigne souffre, nous avons de petits rendements, mais nos vins sont exceptionnels. On dit que les plantes qui souffrent font les plus belles fleurs et les plus beaux fruits. C’est notre cas !
Pour visiter la région on peut s’adresser à l’Office du tourisme de Banyuls en cliquant ICI ou à l’Agence de Développement Touristique des Pyrénées-Orientales/Pyrénées-Orientales Tourisme en cliquant LA