Avec ses bêtes bizarres, ses monstres énigmatiques, ses crânes et ses carcasses, le sculpteur Quentin Garel étonne et séduit. Poète surréaliste ou anthropologue rebelle? Il brouille les pistes avec humour, mêlant le beau et l’horrible, l’animal réel et la pure invention. Le très classique Domaine départemental de Chamarande, dans l’Essonne, vient de rouvrir son château et son vaste parc. Il expose, jusqu’au 14 juin 2020, une quarantaine de ses œuvres sous le terme d'”Anomal”. Nous avons voulu en savoir plus !
Hortus Focus : Pourquoi ce titre d’« Anomal » pour votre exposition?
Quentin Garel : « Anomal » dans le dictionnaire signifie « qui présente un caractère d’irrégularité ». Comme je travaille beaucoup avec la figure de l’animal, et qu’en même temps mon travail présente des singularités morphologiques, le mot collait à merveille. Au- delà de ça, installer mes œuvres dans ce château XVIIe présente aussi un caractère d’irrégularité. Donc nous avons trouvé avec l’équipe de Chamarande que le mot convenait parfaitement bien.
Depuis combien de temps travaillez-vous sur l’animal ? Pourquoi ?
Cela fait maintenant 25 ans que je me confronte à la figure animale en chair et en os, avec la céramique, le bois, le bronze, tous les matériaux… Le thème, au départ, a été une contrainte. Pas du tout un choix. Il se trouve que mon père est peintre, très bon peintre, il dessine et il dessine très bien. J’ai beaucoup appris avec lui, puisqu’à 16 ans je suis entré dans une relation de maître à élève avec lui (après quoi, j’ai fait les Beaux-Arts de Paris).
Pendant six mois, à raison de 50 heures de dessin par semaine, il m’a ouvert grand les portes de sa technique. Mon travail était copie conforme du sien. Donc après ça, comme il traitait les thèmes du portrait, du paysage et de la nature morte, pour m’émanciper, j’ai brutalement et arbitrairement choisi celui de la sculpture animale. La figure animale présente une morphologie très variée, je me suis piqué au jeu et j’ai fini par prendre goût à ce qui, au départ, n’était qu’un prétexte. En fait, ça a été un vrai cadeau !
Vos œuvres s’inspirent du réel, sans le reproduire. Quels sont vos lieux d’observation?
C’est principalement le Muséum d’Histoire naturelle. J’affectionne particulièrement la galerie d’anatomie comparée qui présente des déclinaisons morphologiques de spécimens en quantité. Elle est une nourriture assez forte. Mais il y a aussi les livres, Internet, les zoos, les boucheries où je récupère pas mal de matériel que j’enterre. Je ramasse beaucoup d’oiseaux quand je me balade en forêt. Tous les coups sont permis ! Parfois aussi, des amis me rapportent des crânes.
Dans plusieurs œuvres comme Bosferatu ou Trophée de veau, on a l’impression que vous prenez position pour la condition animale…
Le sujet de la condition animale n’est pas ce qui m’a motivé au départ, mais je ne peux lui nier une certaine présence. C’est vrai que ce motif de la tête de veau tranchée dégage une grande violence. En fait, l’idée, pour moi, était plutôt d’exprimer de la beauté dans l’horreur, pas tant de dénoncer le fait de manger de la viande ou d’élever les animaux en batterie.
Par la grâce de ces objets, j’ai plutôt souhaité semer un trouble qu’orienter « politiquement » le regard et l’enfermer dans un système. Je tiens à ce que ces objets aient une existence propre. Ce n’est pas à moi de définir leur sens, mais plutôt au spectateur d’y introduire ce qu’il a envie d’y mettre avec sa culture, son âge, ses yeux.
Quelle place donnez-vous à l’animal dans votre vie et dans notre monde ?
L’animal fait complètement partie de nos vies. Nous sommes des animaux. Certains disent que nous sommes plus évolués : j’en doute un peu !
Ce que l’animal nous dit, c’est qu’après plusieurs milliards d’années d’évolution sur cette petite planète, dans cet immense univers, on a d’infinies variations autour de deux yeux, des narines et une colonne vertébrale. Et que face à toutes ces parades, ces morphologies adaptées qui sont des outils, on ne peut pas tout « foutre en l’air » pour de petites questions énergétiques, d’égo ou de pouvoir !
Tout ce qu’on entend dans les médias aujourd’hui, à propos de l’environnement, est tellement insignifiant par rapport aux milliards d’années qu’il a fallu à toute cette diversité pour trouver un équilibre. Finalement, que l’espèce humaine disparaisse, c’est ce qui pourrait arriver de mieux ! La planète s’en fiche, elle s’en remettra.
Vous vous intéressez aussi au monde végétal…
C’est exact, même s’il n’est pas représenté ici. Graphiquement, c’est un univers très riche : tout ce qui est fractal, le nombre d’or… C’est une merveille ! J’ai réalisé les petites « crosses » que les fougères forment quand elles se déroulent (les miennes mesurent 4 à 5 mètres et elles sont en fonte de fer). J’ai aussi sculpté des champignons géants de 3 à 4 mètres. Ils sont installés dans le parc des Bruyères de Sotteville-lès-Rouen.
Exposition “Anomal” de Quentin Garel, jusqu’au 14 juin au Domaine départemental de Chamarande, 91730 Chamarande. Pour plus de renseignements, cliquez ICI