Ce petit arbre, Boswellia sacra, “shajarat -al-loubaan” en arabe, pousse dans le sud de la péninsule arabique et en Afrique. Ses larmes de résine ont fait l’objet d’un commerce intense contribuant à la richesse d’Oman, du Yémen, de la Somalie et de l’Éthiopie. Elles furent longtemps transportées à dos de dromadaire ou par bateaux. Il existe plusieurs types d’encens, différentes qualités. Reportage en compagnie de Hilal Al Ghadani, guide à Oman, le sultanat qui veille sur son encens.
L’arbre à encens depuis la nuit des temps…
Se lancer sur le chemin de l’encens, c’est plonger dans l’Histoire, celle des pharaons, des Phéniciens, mais aussi des Perses et des Chinois. S’immerger dans le légendaire parfum de la reine de Saba ou se référer à la Bible puisque l’encens figure parmi les cadeaux offerts à Jésus par les Rois mages. C’est traverser toutes les cités caravanières qui profitèrent du commerce de la précieuse résine : la ville nabatéenne de Petra (Jordanie), les villes d’Avdat et Shivta dans le désert du Neguev (au sud d’Israël), Gaza (Palestine), Hegra (Arabie Saoudite)… C’est se rêver en Hatshepsout. Cette reine d’Égypte ordonna l’organisation d’une expédition vers l’eldorado des chasseurs d’encens, le mystérieux pays de Pount. Pour Hilal Al Ghadani, “le commerce de l’encens avait la même importance que l’exportation du pétrole actuellement, mais on pratiquait alors le troc. L’encens était échangé jusqu’en Inde contre du sel, des tissus et des épices.”
Le Dhofar, au cœur de l’encens
Cette région caressée par les vagues de l’océan Indien se trouve au sud d’Oman, à 850 km de la capitale, Mascate. Elle est frontalière du Yémen, autre pays producteur d’encens. Non loin de Salalah, la capitale du Dhofar, il est possible de visiter les ruines de Sumhuram qui avec les ports de Al-Baleed, Mirbat et Hasik assuraient le départ des cargaisons d’encens. On peut y voir les fondations des entrepôts, la petite porte d’entrée restaurée et surtout embrasser un vaste panorama maritime facile à surveiller. Pas facile pour des pirates de passer inaperçus !
Les chargements d’encens arrivaient ici de tout le Dhofar. Marco Polo y assista même à la récolte de la résine du Boswellia sacra : “Je vous dis qu’il y a des arbres pas bien grands ; ils sont comme petits sapins. On en entaille l’écorce en plusieurs endroits avec des couteaux, et par ces trous s’écoule l’encens, pareil à un liquide ou à une gomme, goutte à goutte, en grande quantité. Il en sort parfois de l’arbre sans entaille à cause de la très grande chaleur qui règne là ; ensuite, cela durcit et forme ainsi l’encens.”
Un arbre, quatre types d’encens
Il existe à Oman 4 types d’encens. La qualité de la résine du shajarat al-loubaan (le nom arabe de Boswellia sacra) dépend de la zone géographique où elle est récoltée. “Le meilleur encens, c’est le hojari. Les arbres poussent dans des conditions extrêmement sèches, à une altitude comprise entre 1000 et 1500 m”. Hilal al Ghadani poursuit : “Le najdi est récolté sur les arbres qui poussent au bord des wadis, les petits fleuves, mais aussi en bordure du désert. Le zahri, lui, provient des Boswellia sacra qui poussent entre la mer et la montagne. Enfin, le shaibi, le plus populaire à Oman, vient des arbres à encens de la zone littorale.” La résine est utilisée en fonction de sa qualité. Le hojari est employé en parfumerie, mais aussi pour ses qualités médicinales. Les autres types d’encens sont utilisés au quotidien pour parfumer et assainir l’air.
Quand et comment récolte-t-on l’encens ?
Dans le Dhofar, l’encens est récolté entre septembre et novembre. Les Bédouins Jabali exploitent le Boswellia sacra depuis des siècles. Avec un couteau spécial en fer, un manqaf, ils pèlent, incisent l’écorce sur une surface limitée, pas plus de 12 cm2. La sève de l’arbre perle immédiatement. Les Jabali laissent la résine bien sécher avant de la récolter. “C’est une opération longue et délicate. Chaque arbre peut fournir plusieurs kilos de résine”, explique Hilal. Une partie de la récolte est réservée à l’exportation (les avions ont remplacé les dromadaires), mais on trouve de l’encens en vente partout. Le petit souk de Salalah y est même entièrement consacré. Entre montagnes d’encens vendues à la livre ou au kilo, porte-encens “traditionnels” (en terre cuite, il a du mal à arriver intact dans les valises, foi de voyageuse…), chewing-gum ou dentifrice à l’encens (c’est spécial !).
Anges et démons
Dans tous les cultes religieux (ou presque), on fait appel à l’encens pour chasser les démons. Dans la mythologie arabe, les djinns sont des créatures surnaturelles invisibles capables de posséder les humains. L’encens est chargé de les repousser tout en tenant au loin le mauvais œil et en purifiant l’âme. Oui, tout cela dans un petit morceau de résine. Chez les catholiques et les orthodoxes, la fumée de l’encens montant vers le ciel symbolise la prière qui monte vers Dieu. Les shintoïstes, les bouddhistes font bruler des milliers de bâtonnets d’encens. Certaines communautés juives ont conservé un rituel ancestral et souhaitent la bienvenue à leurs hôtes en brûlant de l’encens.
Boswellia sacra, au service de la science
“L’encens a toujours eu une utilisation un peu médicale. On en faisait brûler pour calmer un patient, améliorer sa respiration en cas de bronchite, ou se soulager du stress ou de l’anxiété”, explique Hilal Al Ghadani. “Les scientifiques s’intéressent de plus en plus aux vertus de l’encens qu’il s’agisse de produits cosmétiques ou de médicaments, contre la dépression par exemple. Des recherches portent également aujourd’hui sur les éventuelles actions de l’encens hojari dans le traitement de certains types de cancers.”
Merci à Soumaya Pommier pour la traduction de l’entretien.
Reportage réalisé lors d’un voyage personnel d’agrément à Oman, le pays de l’encens, mais pas que… Envie de visiter le sultanat d’Oman, l’un des rares pays en paix et super secure de la région ? Prévoyez une dizaine de jours sur place pour pouvoir profiter de la mer, du désert, de la montagne.
Agence réceptive chaudement recommandée : Desert Flower Tours, fondée par Hilal Al Ghadani et Said Al Khadri. Des pros de chez pros !