Dans son nouveau conte-documentaire La terre des Vertus, Vincent Lapize nous transporte avec fougue et poésie aux côtés d’une communauté multiculturelle et intergénérationnelle de jardiniers militants, résilients et inspirés. Une plongée au cœur du dernier poumon vert d’Aubervilliers où trois années de lutte féconde ont permis d’empêcher la bétonisation de 4000m2 de jardins ouvriers historiques. Le film rappelle qu’un autre modèle de cohabitation urbaine est possible. Et que d’une tristesse sourde peut naître une joyeuse résistance !
Au cinéma depuis le mercredi 4 juin. La bande-annonce en bas de l’article.
Par Camille Lesne
Les jardins ouvriers des Vertus, un patrimoine maraîcher et social historique
Avant que les maraîchers péri-urbains ne soient contraints de s’éloigner des villes, pour laisser place à la grande urbanisation, le département de la Seine-Saint-Denis accueillait en son sein la plus vaste plaine légumière d’Europe : la plaine des Vertus ! Principal potager de Paris au XIXe siècle, elle s’étend alors sur 20 000 hectares et fournit les deux tiers des gros légumes consommés par les Parisiens.
Divisée pendant la révolution industrielle en « jardins familiaux », cette plaine nourricière assure au fil des décennies un moyen de subsistance bienvenu à des générations de familles ouvrières précaires. Ses jardiniers se constituèrent en association dès 1935. Mais malgré cela, la surface de leur terre fut progressivement amputée, jusqu’à disparaitre de moitié.
Aujourd’hui, 3 hectares subsistent. Ensemencés avec minutie et ingéniosité par une poignée de riverains passionnés, ils résistent laborieusement aux assauts de promoteurs immobiliers, armés d’immenses machines orange et de Plans Locaux d’Urbanisme couleur asphalte. Plans soutenus par une mairie désireuse d’attirer une population plus aisée dans des éco-quartiers flambant neufs.
Une caméra complice de la révolte
C’est sur cette bulle de nature et de sociabilité aux reflets verts et dorés, soigneusement préservée, que Vincent Lapize pose son regard de cinéaste, dès le début de la lutte, au printemps 2021. Mystérieuse impression d’un jardin-monde gardé secret… Trésor de biodiversité au milieu d’une des communes les plus carencée en verdure du pays. L’œil du réalisateur se fixe un temps sur une abeille qui butine. Plus tard, au crépuscule, sur un renard perché en haut d’un toit en taule rouillé, scrutant l’horizon.
Caméra à l’épaule, on y découvre ensuite avec pudeur et bienveillance le quotidien de quelques-uns de ces jardiniers dissidents. Personnalités fortes, aux racines profondes, venant d’ici ou d’ailleurs, ils se dévoilent d’abord à nous dans leur amour des graines bien plantées. Leur goût pour les jeux de cartes, les concours de jardinage… Jusqu’à ce qu’amitié et solidarité prennent forme nouvelle, autour d’une coriace indignation.
« Bouturons nos colères… »
Face au projet de construction d’un luxueux solarium sur 18 des 85 parcelles, le Collectif de Défense des Jardins s’organise en véritables JAD (jardin à défendre). Occupation des terres, danses nocturnes fantasmagoriques, processions déguisées, recours à la Justice… Ils multiplient et réinventent les moyens d’action pour faire entendre leurs voix, et obtenir gain de cause.
« Tu t’attaches plus à une terre qui produit ce qui te nourrit » explique Viviane, chercheuse engagée et membre du collectif. « C’est comme une partie de toi. »
Dans un contexte global d’effondrement de la biodiversité, où l’augmentation des températures en ville pose de sérieuses questions d’adaptation, La terre des Vertus élargit nos imaginaires et nous invite à repenser notre rapport à l’urbain, à la nature, et à l’action. « Il n’y a pas d’herbes folles, il n’y a que des herbes libres »…
« La terre des Vertus » – Un film documentaire réalisé par Vincent Lapize – 92 minutes – au cinéma depuis le mercredi 4 juin
Produit par À Perte De Vue et distribué par VraiVrai Films
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