Gaïa, une association lyonnaise, annonce son programme : des liens fertiles pour une terre solidaire. À l’origine de sa création, Xavier du Crest de Villeneuve, également Président de Handicap International – Humanité & Inclusion, président d’Alliance Urgences, membre du CA de Itinova, et naturellement président de Gaïa Lyon. À ses côtés, Laure Burtin est déléguée générale de Gaïa Lyon, spécialisée en design sociétal, un métier fondé sur des méthodes collaboratives pour imaginer et concevoir des dispositifs pour rendre les villes inclusives. Ensembles avec l’équipe de Gaïa, ils ont défini des missions.
Les missions de Gaïa
- Mettre à disposition des biens fonciers inutilisés pour l’agriculture,
- Sensibiliser les plus démunis à l’agriculture urbaine,
- Animer des ateliers d’accompagnement pour transformer les produits récoltés,
- Se nourrir de la production et/ou revendre les surplus.
Une association de terrain
Le conseil d’administration de l’association est composé de personnes issues de métiers et des rencontres professionnelles tant de Xavier que de Laure. Œuvrer pour lutter contre la pauvreté, via une agriculture urbaine qui permette la reconstruction des corps, des esprits et fabrique un lien de solidarité, demande des compétences !
Chez Gaïa, nous faisons de la politique de terrain. À l’opposé de la politique politicienne, cela ne combine que de l’action sur le terrain et de l’engagement. Après les évènements du printemps en matière de contestation, le dérèglement écologique, social, politique et économique, on réalise à quel point l’action de terrain est majeure.
Bien sûr, le Covid a accéléré le processus, mais ce sont des années d’errance et d’erreurs qui sont à l’origine de ce délitement des liens. Alors nous, bien sûr, on ne va pas tout régler, mais on va offrir des moyens à ceux qui le peuvent et le veulent pour recréer ce lien manquant. Nous encourageons les relations interculturelles, intergénérationnelles, quelles que soient les fragilités et les origines. Toute la société en fait !
De l’action et de l’engagement,
c’est de la politique réelle, de terrain…
Des terrains improductifs
Gaïa vient chercher des terrains inutilisés ou bien des espaces verts simplement coupés, taillés ou tondus ; ce sont des espaces en tous les cas improductifs. L’association passe un accord d’usage avec le propriétaire. Puis un travail commun avec l’ensemble des acteurs locaux est conçu pour créer les planches de culture et leur utilisation. Chaque fois, l’îlot de rencontres est différent. Chaque fois, le travail de la terre est abordé de façon singulière. Le type de lien dépend vraiment du tissu social environnant.
“Cette diversité se révèle particulièrement intéressante pour nous, car le projet est toujours nouveau même si le protocole d’inclusion de toutes les parties prenantes est toujours le même. C’est ce qui nous permet d’envisager un essaimage sur le territoire national.“
Genèse d’un projet
À l’origine, à la toute fin du Covid, il y a Urban Chrysalide. On commençait alors tout juste à pouvoir de nouveau se rencontrer en réel. Urban Chrysalide réunit alors des personnes disposées à réfléchir à une ville plus accueillante, plus durable et plus agréable à vivre. Le groupe va se définir comme un DoTank, par comparaison à un Think Tank. Il s’agit d’agir, pas dans dix ans, mais là tout de suite et pour maintenant. Ces citoyens motivés s’engagent pour tenter de créer un monde plus juste et plus solidaire.
“J’ai alors eu, dans ce cadre de réflexion collective avec pour but l’action, une idée : pourquoi ne pas répertorier les terrains inutilisés pour en faire un bien commun ? Le concept, c’est le partage de la terre qui peut être mis en œuvre immédiatement. On a d’abord fait appel aux propriétaires privés. On ne comptait pas tellement sur les institutions. Pour nous, il était important d’arriver au raisonnement suivant : oui je suis propriétaire d’un terrain que j’ai acheté, mais au fond, la terre appartient à tout le monde. En retrouvant l’usage de ces terres, nous voulions contribuer à reconstruire un peu de justice alimentaire.”
Changement de braquet
“Chemin faisant, Laure nous ayant rejoints, nous nous sommes aperçus que le cœur du sujet n’était pas la justice alimentaire. La création de lien social, en amont, était le vrai sujet. La terre et le travail de production de fruits et de légumes en étaient plutôt le levier. L’objectif n’était pas de produire, mais de permettre à des gens très fragilisés de se reconstruire en sortant de l’isolement. Et quoi de mieux que de mettre les mains dans la terre, ensemble !”
De l’idée à l’action, c’est maintenant !
Un groupe de personnes présentes dans Urban Chrysalide a dit banco, on y va ! Et Gaïa a vu le jour dans la foulée. Tout s’est déroulé simplement dans un enthousiasme partagé “qui est devenu une aventure humaine formidable, car nous partagions des valeurs et un but commun.“
Faire la preuve que Gaïa est un bien-pensé
“Monter l’association a été facile. Mais derrière, il a fallu aller voir les propriétaires de terrains et leur faire la preuve que le concept allait fonctionner. Le premier à tenter l’aventure a été un particulier qui nous a offert son jardin. Nous avons donc signé avec lui une convention de mise à disposition. C’était assez confortable parce que la parcelle, outre une magnifique vue sur la Saône, avait un accès différencié de l’habitation. Nous commençons notre deuxième saison chez lui avec un public fragile qui souffre de maladie mentale.“
Ados ou adultes, ils sont encadrés par les associations qui les accompagnent. Ils viennent jardiner chaque semaine. Leur lien à l’alimentation est souvent très abimé par des séjours en foyers ou hospitaliers et des prises de médicaments. Autour de la production du potager, les animateurs peuvent reprendre les notions de base de l’alimentation. Pourquoi mange-t-on ? Que doit-on manger ? Comment cuisiner les fruits et les légumes ? Les associations qui travaillent au jardin ont des cuisines partagées. Ce sont donc elles qui utilisent la production potagère pour transmettre un savoir cuisiner.
Et puis certains jours, les élèves d’une école voisine viennent les rejoindre. On est totalement dans la rencontre de l’autre, aussi différent soit-il.
Ce qui s’est avéré un peu complexe pour mixer les groupes sans déranger les propriétaires, c’est le planning. Mais finalement, l’équipe s’en est sortie !
Les résultats sont là !
“De manière très concrète, nous avons observé les résultats sur les personnes concernées. Alors que le premier plan de culture, élaboré avec elles, était essentiellement centré sur les pommes de terre, les tomates et les petits fruits rouges, le second est très différent. Ils ont envie de côtes de blette, d’une variété de courges,… Leur curiosité s’est ouverte tant en ce qui concerne ce qu’ils font pousser que ce qu’ils vont cuisiner et déguster.”
Le constat, c’est avant tout le plaisir d’être ensemble pour faire pousser, cuisiner puis goûter. Et Maylis, animatrice maraîchère, donne tout à la fois des techniques et beaucoup d’attention à chacun.
De chercheuse à maraîchère
Maylis Le Noc était biologiste et travaillait en Guyane depuis 7 ans. Tenue de rentrer en France, elle se reconvertit au maraîchage. À titre personnel, elle était déjà engagée auprès de l’association « Territoires zéro chômeur longue durée » sur les publics très éloignés de l’emploi qu’elle tentait d’aider via le maraîchage. Elle s’est ainsi découvert une fibre sociale qui lui permet aujourd’hui de remplir le double rôle de maraîchère et de travailleuse sociale.
“Nous chez Gaïa, on ne fait rien. On met à disposition et c’est le public accueilli qui œuvre. Mais pour que cela soit fructueux, il faut un cadre et un guide. En l’occurrence la guide, c’est Maylis qui sait à la fois travailler en bio, en permaculture et à partir de semences anciennes et paysannes – ce à quoi nous tenons beaucoup. Son rôle est de transmettre son savoir tout en laissant les expériences, y compris vouées à l’échec, être conduites. Elle sensibilise au quotidien aux enjeux de transition agricole, de biodiversité, de qualité alimentaire, de variété alimentaire,...”
Plus libre et sur la voie publique
“La recherche d’un second terrain moins contraint en accès libre nous a été proposé par un bailleur social, la Sacvl. Ils gèrent une résidence dans le 5e arrondissement de Lyon. La zone est enclavée, refermée sur elle-même et s’isole du reste de la cité. Des espaces verts inutilisés existent. Ils nous ont donc demandé de les animer.”
Ils ne voyaient absolument pas l’intérêt de cultiver un jardin. On a passé plus de 6 mois à animer des réunions avec eux, la Mairie, la MJC, le bailleur, le centre social… On a suscité leur intérêt pour co-construire avec nous. Ils ont choisi l’emplacement le plus adéquat, les jours d’ouverture, le règlement, les modes de travail…
Quand le lien se tisse, Gaïa est là
Et peu à peu, parce qu’on tissait du lien, ils ont adhéré à l’idée. Malgré les péripéties liées à la zone protégée de la Basilique de Fourvière, avec l’aide des architectes de Bâtiments de France, on a pu ouvrir cette année. Depuis, on accueille des groupes du quartier. On travaille avec la MJC, l’école maternelle, les riverains.
“On s’est fait jeter comme jamais”
“On est arrivé avec le bailleur en réunion publique. Quand on a présenté le projet, on s’est fait jeter comme jamais.
On était des étrangers. On n’était pas des leurs. Et on ne répondait pas du tout à leurs vraies attentes.
Leurs problèmes à eux étaient des fenêtres sans double vitrage et donc d’isolement thermique ou d’entretien des parties communes. “
Lutter contre l’isolement, ce n’est pas simple !
Même s’il reste beaucoup à faire, le maillage est bien démarré. Le plus difficile reste d’aller vers les personnes les plus isolées. Ce sont le plus souvent des personnes âgées, des familles monoparentales, des personnes seules et fragilisées par la vie. Bien sûr, on regrette que le centre social ait fermé, mais on s’appuie sur la MJC. Les enfants sont une bonne entrée en matière, mais aussi les voisins à qui on peut demander un coup de main pour aborder une personne très retirée.
Aussi surprenant que cela soit, ce genre de projet sert aussi de média à tous les conflits larvés. Notre présence permettait l’expression de toutes les rancœurs et les dysfonctionnements relationnels. Mais une fois que c’est fait, de nouvelles façons de vivre ensemble émergent. Ainsi, dans ce cas précis, une nouvelle association de locataires a vu le jour. De ce fait, ils se sont intéressés encore davantage au projet de Gaïa et voilà qu’ils sont demandeurs d’ateliers culinaires pour les enfants. Et signe important, depuis le début, nous n’avons jamais eu à déplorer une quelconque détérioration !
On est dans le temps long, il ne faut surtout pas être pressé !
Les humains, c’est comme la nature, ils ont besoin de temps pour créer du lien.
En cours et à venir
L’Arche, association qui accueille des personnes souffrant de handicap mental, souhaite ouvrir son jardin à l’extérieur. Les enfants de l’école voisine dans le 3e arrondissement de Lyon vont venir jardiner et partager des moments. Ainsi, le jardin sera utilisé à la fois pour des activités thérapeutiques destinées aux patients, mais aussi pour mettre les mains dans la terre et découvrir que la différence n’est pas un problème quand on se connait.
Un EHPAD sera aussi l’occasion d’atelier de jardin et de cuisine dans les mois à venir.