Le jardin éco-poétique de Camille They, à Saint-Ouen

Une enfance tunisienne lui a donné le goût du jardin et de longues années dans le pays de Caux celui de la pratique du jardinage… Installée en Seine Saint-Denis, Camille They est la créatrice d’un jardin éco-poétique et elle intervient sur différents espaces nature à Saint-Ouen.

Hortus Focus : D’où te vient cet amour du jardin ?

Camille They : J’ai grandi en Tunisie entourée de beauté et d’harmonie, et de jardins. Ma mère avait un très beau jardin à Sidi Bou Said, et des amis à Hammamet avaient un jardin extraordinaire. Je pense que j’ai été imprégnée très tôt par l’amour des lieux, l’amour des plantes, la beauté des jardins. Plus tard, je me suis mariée, nous avons eu des enfants. Dans les années 80, nous avons emménagé dans un manoir du Pays de Caux, et c’est là que je suis devenue littéralement dingue de plantes et de jardins. J’ai découvert la relation sensible avec un lieu et l’amour du végétal. Mais je n’y connaissais pas grand-chose en fait ! J’ai fait un jardin au feeling, avec des erreurs. Normal, quand on ne sait rien !

C’est également à cette période-là que j’ai décidé de devenir créatrice de jardins après avoir travaillé dans de nombreux domaines dans la presse, la pub, la télé, les costumes. Je n’ai pas repris d’études, car c’est en faisant qu’on apprend à faire. Je dis toujours que mon diplôme se nomme “SLTC – Sur Le Tas de la Créativité“. Je pense que le jardin est un mode d’expression à part entière et à la portée de bon nombre de gens.

Où as-tu créé des jardins ?

Le premier, c’était en Normandie pour une maison d’hôtes (“La Maison de Sophie”). Puis j’en ai créé en Charente, d’autres en Normandie, puis j’ai conçu des terrasses à Paris et à Bruxelles.

Quand et comment t’es-tu installée à Saint-Ouen ?

Nous avons dû vendre le manoir. Je suis arrivée à Saint-Ouen en 2009 pour réhabiliter, à la demande de l’office des HLM, une cour toute proche du marché aux Puces. Je me suis installée dans le vieux Saint-Ouen, dans un atelier, avec un bout de terrain en friche pour lequel n’existait aucun projet. Je n’ai rien fait pendant deux ou trois ans. Je me suis contentée d’observer. Je n’arrivais pas à démarrer ; je ne parvenais pas à me projeter dans ce “paysage emprunté”, entouré d’immeubles.

Paco Medina

Comment le jardin éco-poétique est-il né ?

Un jour, j’ai décidé de peindre le mur du jardin en rouge, j’étais alors dans ma période chinoise ! J’avais déjà fait quelques installations type “jardin de la tranquillité” ou “jardin du ciel” dans des fêtes des plantes, notamment au château Saint-Jean de Beauregard. Puis, il a fallu élaguer tous les arbres à l’intérieur de la cour. C’était une friche d’acacias. C’est beau l’acacia, il est très résistant à la pollution en milieu urbain, mais il envahit tout ! Il ne faut pas l’éradiquer, il faut le gérer. Exactement comme le lierre qui crapahute partout. J’aime beaucoup cet aspect un peu sauvage qu’apporte le lierre en ville, mais il ne faut pas le laisser cavaler partout. Il doit être maîtrisé.

Pourquoi parles-tu d’un jardin éco-poétique ?

C’est  un concept que j’ai découvert en faisant ce jardin à Saint-Ouen. Je me suis tournée tout naturellement vers l’écologie en milieu urbain pour ne pas utiliser de produits chimiques. Comme le dit Pierre Rahbi, le jardin est un “état de conscience”, c’est-à-dire qu’il faut prendre conscience de l’environnement dans lequel on vit si on veut éviter de cochonner toute la planète.

Quant à la poésie, je baigne dedans depuis mon enfance. Dans ce jardin comme dans la vie, je suis en permanence accompagnée par Charles Baudelaire, Gaston Bachelard, Léo Ferré…  Pour Baudelaire, la poésie est le creuset de la beauté. Bachelard, lui, est un philosophe de la matière. Il a écrit des ouvrages magnifiques sur la rêverie.

J’aime beaucoup parler de la poétique des lieux. Il s’agit de tout ce qui relève du sensible lié à l’exploration d’un lieu. Pour sublimer la beauté d’un lieu, il faut s’y immerger, l’observer, créer une relation sensible avec ce lieu pour parvenir à lui donner une identité propre. Il faut y jouer avec la lumière, élément fondamental qui sculpte les végétaux, les fait changer de minute en minute. Un jardin est en perpétuel mouvement, en éternelle transformation.

Je ne suis pas malheureuse de vivre en ville. Quand je descends dans mon jardin éco-poétique, je suis ailleurs. J’ai réussi à créer un micro-espace qui fait voyager mon imaginaire. Notamment grâce à des œuvres, car des artistes se sont aussi exprimés dans ce jardin.

Raconte-nous l’histoire du colibri…

Je raconte toujours aux enfants, et aux grands aussi, l’histoire du colibri. La forêt amazonienne est la proie d’un feu gigantesque. Un petit colibri vole jusqu’à la rivière, stocke de l’eau dans son bec et repart vers l’incendie pour déposer cette goutte d’eau sur les flammes. Un de ses amis de la forêt lui dit : “Mais tu es complètement idiot ! Tu crois pouvoir éteindre cet incendie ?”. Réponse de l’oiseau : “Si chacun fait sa part, on peut y arriver.” Moi, j’essaye de faire prendre conscience aux gens de l’écologie doit être un acte créatif, pas un truc chiant ! Il faut s’adapter aux changements actuels de l’environnement, de la nature et les urbains, plus que les autres.

Jardin en trou de serrure (Keyhole Garden)

Le jardin éco-poétique a-t-il fait des petits ?

Oui, ce jardin en a initié d’autres à Saint-Ouen, car si je l’entretiens, il est ouvert aux visites. On y organise des portes ouvertes et des évènements plusieurs fois dans l’année. Je suis intervenue dans la transformation d’un square originellement sans aucun intérêt. Il existe notamment le jardin du 54, non loin du mien sur lequel ont travaillé en 2014 la direction des espaces culturels de la municipalité, des habitants du quartier, des bénévoles d’associations, des élèves du lycée Blanqui. C’est un jardin dont la construction est due à la collaboration de nombreuses personnes.

De l’autre côté de Jardin éco-poétique, se trouve le jardin du 16 bis. On a créé qui s’appelle le Jardin de la Tranquillité. Il n’est pas toujours très tranquille, mais bon… Ce jardin partagé est ouvert à tous, tout le temps, nous y cultivons des fruits et des légumes tout en mariant l’utile et le beau, pour moi c’est important.

Le 16 bis est classé Oasis Nature, car nous faisons partie de l’association Humanité et biodiversité présidée par Hubert Reeves. Il faut respecter une charte écologique très précise. Pas de produit chimique évidemment, utilisation de broyat, recyclage des éléments du jardin sur les allées, les massifs, etc.

Voilà deux ans, on y a créé un Keyhole Garden, un jardin en forme de trou de serrure, qu’on trouve beaucoup en permaculture. Ce type de jardin surélevé a été expérimenté par Pierre Rahbi en Afrique. Des pierres (ou des parpaings décorés comme chez nous en milieu urbain) sont assemblés pour former un jardin surélevé. Au milieu de ce Keyhole Garden, on trouve un compost dans lequel nous jetons une partie de nos déchets.

Saint-Ouen fait également partie du Mouvement des Incroyables comestibles ?

Nous avons effectivement initié le mouvement des Incroyables comestibles à Saint-Ouen. Nous avons installé des Pallox dans lesquels ont été cultivées des plantes vivrières. Nous avons choisi de cultiver en bacs, car Saint-Ouen a été une cité industrielle et nous ne connaissons pas l’état de pollution des terrains. On n’est jamais trop prudents !

Les enfants viennent-ils souvent dans ces jardins ?

Oui. J’ai un fan-club de gamins qui viennent planter, apprendre la nature. Ils adorent semer des carottes, des radis, les voir pousser, les récolter, les manger. Ils se connectent ou se reconnectent à la nature très facilement.

Tu es présidente de Via Paysage. Quels sont les buts de cette association ?

C’est en fait une association réseau qui ambitionne de favoriser l’échange solidaire et coopératif entre membres issus de différents métiers, ainsi que le développement de projets collectifs et expérimentaux. En vous inscrivant, vous aurez à disposition des infos économiques, techniques ou commerciales pour construire vos projets.

Pour en savoir plus, c’est ICI !

Ce poème de Baudelaire qui accompagne Camille…

L’invitation au voyage

Mon enfant, ma sœur

Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal (1857)

Charles Baudelaire

Charles Baudelaire

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