Nous sommes à la Cité maraîchère, dans le quartier Marcel Cachin à Romainville [93]. Depuis 2007, la ville a engagé une véritable transformation de cet espace suite à la signature d’une convention entre la Ville, l’État, l’ANRU, la Région Île-de-France et le département de la Seine-Saint-Denis. Dans le respect des principes du développement durable, il était nécessaire de désenclaver le quartier, d’y remettre de la mixité sociale et bien entendu d’améliorer le cadre de vie.
« Ce projet a été initié par Corinne Valls, mairesse de la ville de 2001 à 2014. L’idée fondatrice était la création d’un lieu multiple qui permette aux habitants de créer un lien à la nature. Il s’agissait de mettre à leur disposition une alimentation saine, durable, en circuit court à des prix abordables pour tous. »
Outre une médiathèque, des Maisons pour les jeunes et les moins jeunes, un centre de santé, un groupe scolaire et un centre sportif, on y trouve la Cité Maraîchère.
Yuna Conan dirige la Cité Maraîchère de Romainville. C’est une serre expérimentale d’agriculture urbaine, d’animation sociale et de promotion d’une alimentation durable.
En agriculture urbaine, on innove
Le projet a mis un certain temps à se dessiner, car il était complètement expérimental sur le plan de l’agriculture urbaine.
Deux serres de 3 et 6 étages permettent une culture hors-sol, en bacs, en lumière et ventilation naturelles, sans chauffage.
Une équipe
Matthieu Lorenzo est chef de culture et il tire peu à peu les conclusions des premiers mois de fonctionnement. La production repose sur une organisation avec 4 maraîchers en chantier d’insertion encadrés par Matthieu. Chacun d’entre eux a eu un parcours qui l’a éloigné de l’emploi pendant un moment et est donc arrivé à la Cité Maraichère, bénéficiaire d’un RSA. Le chantier d’insertion leur permet d’apprendre un métier et de l’exercer sur deux années au maximum. Il leur laisse également le temps nécessaire à des formations professionnelles et donc à un retour à l’emploi plus facile.
« J’ai la chance d’avoir une équipe très dynamique. Comme je suis arrivé après eux, ce sont eux qui m’ont intégré ! »
Une culture hors-sol
« Nous cultivons dans des bacs d’une profondeur de 30 cm, dans un substrat spécialement conçu pour nous. Nous mélangeons du lombricompost, des résidus de culture, des champignons. Tous les légumes et fruits du potager peuvent pousser ici, sauf les pommes de terre faute de profondeur.
Pendant l’été, nous avons produit des tomates, aubergines, poivrons, concombres…
Puis à l’automne, les carottes, radis, navets, choux, oignons, et beaucoup de légumes-feuilles… ont suivi.»
Toutes les cultures sont faites dans des bacs en aluminium.
Comme un souffle
« L’aération de la Cité Maraîchère se fait naturellement. Tout est automatisé. Nous réglons des seuils de température, des seuils de vent pour optimiser la température dans la serre. Et donc, toutes les fenêtres qu’on voit autour de nous et les ouvrants de la verrière bougent automatiquement.
Ils s’ouvrent ou se ferment en fonction des paramètres de réglage et de la température extérieure. En cas de très forte chaleur, des ombrières se déploient, mais cet été, elles n’ont pas été utiles ! »
Une utilisation parcimonieuse des ressources
Les bacs sont alignés le long d’allées éclairées en lumière naturelle. Un réseau de goutte-à-goutte réglé grâce à des électrovannes en fonction de l’étage et de la culture sur la parcelle permet un apport calculé et une bonne économie d’eau. Nos réservoirs de récupération d’eau de pluie sont soumis à des tests bactériologiques et devraient couvrir un tiers des besoins en arrosage.
Les ravageurs
Côté intrants, à la Cité Maraîchère, leur utilisation est réduite et exclusivement composée de produits autorisés pour l’agriculture biologique.
« Nous n’avons pas la certification AB puisqu’on fait de la culture hors sol. Mais on suit tous les principes de l’agriculture biologique. Donc, si on doit lutter contre les ravageurs comme les pucerons ou les acariens, on utilise des produits respectueux de l’environnement. Nous préparons des solutions de savon noir et d’huile essentielle d’orange par exemple. Cela demande beaucoup plus de manipulation, mais ça marche ! »
Pendant l’été, une attaque massive de pucerons sur les aubergines a exigé de l’équipe des cinq jardiniers un lavage manuel feuille après feuille avec la solution de savon noir.
Avec ses 700 m2 de surface cultivée, la production est le plus souvent achetée par les habitants du quartier. Toutefois, il arrive que les pics de production ne correspondent pas aux pics de consommation.
Parfois ça marche et parfois non
Si la construction s’avère efficace dans les étages supérieurs, c’est un peu plus difficile pour les deux premiers de la grande serre. Le manque de lumière ne permet pas d’obtenir une production satisfaisante.
Il fallait essayer
C’est donc à une possible reconversion de ces étages en élevage d’insectes que réfléchit l’équipe en place. Le sous-sol, consacré à une champignonnière est un vrai succès.
Par ailleurs, et afin de faire face aux fluctuations de la production face à la consommation, des déshydrateurs pour les légumes et les champignons pourraient être prochainement installés. Et bien entendu, des ateliers de conservation y seraient associés pour travailler sur le thème du gaspillage alimentaire.
Un coût important
« C’est un projet très polémique parce qu’il a coûté très cher. Le chantier a duré longtemps. C’est un projet de démonstration agricole et social. Il n’a pas pour but de servir de modèle en tant que tel. C’est une sorte de tiers lieu municipal. » Yuna Conan
Mais…
L’objectif de cette Cité Maraichère n’est pas financier, et c’est suffisamment rare pour être souligné. Il est expérimental et social et doit donc se maintenir à l’équilibre.
Il offre des légumes et des fruits bien cultivés à un prix déterminé en fonction du quotient familial, des ateliers pédagogiques pour les grands et les petits, des opérations de sensibilisation, des espaces de socialité.
Le coût réel du kilo de tomates n’est pas compétitif, mais la production est économe en énergie puisqu’il n’y a aucun éclairage artificiel.
Cet été était un peu bizarre !
« L’été peu ensoleillé de cette année ne nous a pas aidé. Mais comparé à des maraîchers qui font du plein champ, on avait quand même de l’avance sur les récoltes. » précise Matthieu.
Ça se passe à la Cité Maraîchère
Des activités culturelles s’y déroulent. Ainsi, Éric Lenoir a pu y présenter un travail documentaire sur la nature après la catastrophe réalisé à Tchernobyl.
Le café-cantine permet une restauration à base de produits bio, locaux, et de saison. Son exploitation a été confiée à trois jeunes femmes engagées tant au titre de leur métier qu’à titre personnel. Leur entreprise, Cheffes, rassemble Léa Letellier, Lauranne Sambar et Hawa Touré qui nous explique comment chaque matin, le menu est composé en fonction de la récolte. Avec une formule entrée/plat/dessert à 13€, les clients sont convaincus.
Les ateliers
Du côté des animations
L’équipe est également composée de 8 personnes en éco-animation qui reçoivent donc les groupes scolaires et périscolaires avec pour mission de les éveiller à une relation au vivant. Ils sont aussi chargés de former l’équipe en insertion dans la situation de travail.
Toutes les écoles de Romainville participent aux ateliers pédagogiques et « les retours sont vraiment enthousiasmants ! Le samedi, pour les petits de 5 à 10 ans, l’atelier maraîchage fait le plein. »noteYuna Conan
À l’extérieur, un compost partagé a été installé ainsi qu’une table végétale pour que les habitants puissent s’approprier cet espace même quand la cité est fermée.
Cheffes !
« Nous avons ouvert le café-cantine en octobre 2021, après 8 mois de démarrage et des ateliers dans les espaces extérieurs. En septembre les scolaires et les périscolaires sont arrivés et le samedi était le jour du grand public.
Il a fallu créer l’équipe qui est entièrement gérée par la ville, y compris le chantier d’insertion, ce qui n’est pas fréquent. Nous sommes rattachés à l’agence communale de la transition écologique et solidaire. Pour le moment, l’insertion ne concerne que le maraîchage, mais d’autres postes en insertion vont être créés à l’avenir. » Yuna Conan
Toutes les écoles de Romainville
viennent découvrir le vivant
à la Cité Maraîchère.
La boutique solidaire
La vente ouverte aux familles a été un succès inattendu pour l’équipe qui l’avait annoncé assez discrètement par crainte de ne pas avoir de récoltes. « Il y a eu du monde tout de suite et tous les samedis, on avait peine à fournir ! C’est une contribution active à la politique sociale de la ville dont nous sommes très fiers. » Yuna Conan
La champignonnière située au sous-sol a une super production et un succès qui ne se dément pas.
Des projets ?
« Nous aimerions trouver d’autres espaces, d’autres bacs dans la ville de Romainville. Cela nous permettrait d’animer d’autres lieux et de montrer de la culture en plein air. Il faut qu’on réaffecte les bacs des étages qui manquent un peu de lumière. Matthieu pense à de l’élevage d’insectes, mais aussi à d’autres types de plantations. Nous avons une chance, c’est d’être dans une logique d’investissement et non de rentabilité, d’être un élément de politique sociale. »
Yuna Conan