Un métier : chimiste. Une passion : la tomate. Une quête : résoudre les mystères de la tomate bleue. Rencontre avec José Antoine, à la connaissance et la curiosité insatiables !
Hortus Focus : de quand date votre passion pour la tomate ?
José Antoine : voilà 45 ans, chez moi, en Belgique, j’ai commencé à cultiver quelques tomates sur le rebord de mes fenêtres. J’ai rapidement envahi toute la maison et mon épouse m’a dit “Stop, ça suffit !”. Alors j’ai acheté une petite serre, puis une grande et ainsi de suite. Aujourd’hui, je cultive 325 variétés de tomates dans 6 tunnels et un sous-toit de 50 m2.
Mais pourquoi ce fruit vous passionne-t-il autant ?
J.A. : Mon métier de chimiste m’a amené à m’intéresser à la composition de la tomate. Ce fruit contient du lycopène, du bêtacarotène et d’autres composés beaucoup plus complexes. Ce sont eux qui donnent à la tomate sa couleur, jaune rouge ou blanche. Une tomate rouge contient beaucoup de bêtacarotène et un peu de lycopène. Mais une tomate est plus rouge aussi en fonction de la couleur de sa peau et comment elle laisse passer la lumière par rapport à la chair.
Et les tomates vertes alors ?
J.A. : C’est une tomate qui ne contient pas de lycopène, pas de bêtacarotène, mais beaucoup de chlorophylle.
Racontez-nous vos expériences de greffage…
J.A. : J’ai étudié ‘Petit Moineau’, une toute petite tomate rouge bien sucrée, insignifiante, mais qui devient un “monstre” si on la laisse pousser. Je m’en suis servi comme porte-greffe, mais j’ai abandonné assez vite, les résultats n’étaient pas satisfaisants. Après, j’ai greffé une tomate sur une pomme de terre puisqu’ils appartiennent à la même famille. Ça marche, on obtient à la fois des pommes de terre et des tomates. Là, je me suis intéressé aux fleurs des pommes de terre. Elles donnent des mini-tomates, on pourrait les appeler des “pommates” ! J’ai laissé mûrir ces petites billes qui contiennent chacune au moins 250 graines ! C’est un constat qui peut avoir des suites économiques et écologiques. Avec 100 graines de pommes de terre, on peut ensemencer un hectare. Combien faut-il de camions pour planter un hectare de tubercules ? Certains pays comme l’Inde et la Chine commencent à se lancer dans la production de pommes de terre à partir de graines.
Puis, vous vous êtes intéressé à la tomate bleue. Pourquoi ?
J.A. : Il existe dans les montagnes péruviennes une tomate qui bleuit au soleil. La raison est très simple : tous les végétaux réagissent aux ultra-violets en produisant des anthocyanes (du grec ancien, Anthos – fleur- et cyan – bleu foncé) pour se protéger du stress, de la lumière, du froid. Regardez les fleurs de montagne, elles sont souvent bleues. Cette tomate a été prélevée, récoltée. On s’est rendu compte qu’elle n’avait aucune saveur, mais un gène bleu. Un professeur américain est arrivé à “capturer” ce gène bleu et l’a introduit dans une tomate qu’on a appelée OSU (comme Oregon Student University, lieu de travail de ce professeur et de ses étudiants). Les étudiants ont cultivé la tomate, ont obtenu des graines qu’ils ont revendues dans le monde entier. Quand on pense que tout ceci devait rester secret…
Qu’avez-vous fait de ces graines ?
J.A. : En 2009, j’ai commencé les semis des graines envoyées par les étudiants. Sur les 12 graines, j’ai obtenu seulement 4 plants. Ce n’est pas facile de recréer les conditions dans lesquelles elles germent au Pérou ! J’ai semé au soleil, à l’ombre et à la mi-ombre et j’ai comparé. Chez moi aussi, plus le plant est au soleil, plus les tomates bleuissent.
Et elles avaient quel goût ces tomates ?
J.A. : Acide, fade, vraiment dégoûtant et sans aucun intérêt !
La suite, la suite, la suite !!
J.A. : J’ai distribué 99 tomates un peu partout en attribuant à chacune un numéro, charge à chacun de les semer et de livrer des informations précieuses sur les tomates récoltées. J’ai semé moi-même des graines de tomates bleues en mélange avec d’autres variétés. J’ai récolté des tomates avec de nombreuses longes (les cavités où se trouvent les graines). Et plus elles avaient de longes, plus elles avaient du goût. Même constat chez les testeurs et je ne comprenais pas pourquoi. Jusqu’au jour où le testeur alsacien qui avait semé la tomate N°56 m’a envoyé 33 graines récoltées. Sur 32, j’ai obtenu des tomates rouges. La 33ème graine a produit un fruit… jaune et bleu ! Après enquête, il s’est avéré qu’elle avait été semée à côté d’une tomate de type ananas. J’ai donc obtenu une ananas bleue en 2011. Et la quête a continué avec la collaboration des testeurs. Avec le temps, nous avons obtenu des tomates bleues de plus en plus goûteuses !
Il reste que, pour vous, cette tomate bleue est dangereuse pour les autres ?
J.A. : Oui, car le pollen de la tomate bleue est dix fois plus léger que le pollen des autres tomates. Quand le vent la porte, elle peut voyager sur 5 m. Les bourdons qui adorent les fleurs de tomates sont aussi de redoutables vecteurs. Je me suis rendu compte que le potentiel de la tomate bleue est énorme pour aider à créer de nouvelles variétés. Mais chaque médaille a son revers et dans ce cas précis, si la tomate bleue peut transmettre son pollen à une variété ancienne, elle pollue les variétés anciennes. Si on laisse faire, dans 20 ans, il n’existera plus que des tomates Schtroumpf ! Donc, j’ai prévenu tous les semeurs. Le pollen doit être mis sous surveillance.
Comment faire alors pour continuer d’étudier cette tomate sans faire de dégâts ?
J.A. : J’ai installé une seule variété dans un tunnel dont je ferme l’entrée et la sortie avec des filets anti-insectes. À l’intérieur, une trentaine de plants et une mini-ruche à bourdons. Je me suis aperçu que, quand on met des bourdons dans une serre où il y a beaucoup de fleurs, ils sont vraiment heureux. Dès le lever du jour, ils sortent et ils butinent du matin au soir. Ils ne s’arrêtent qu’au-dessus de 29°C. Quand ils vont sur les fleurs, on dirait qu’ils détectent qu’elles sont bonnes à polliniser. J’étais très étonné de constater qu’après dix jours de travail des bourdons, j’avais de futures tomates à foison. Et ainsi, je récolte les tomates et les graines sans risque de pollution des autres variétés.
Trouvera-t-on un jour vos découvertes dans le commerce ?
J.A. : Oui, sans doute, parce qu’au fur et à mesure des générations, la variété se stabilise. Mais jusque là, il faut cultiver sous serre, observer, sélectionner. Je vais finir par obtenir une tomate ananas bleue très stable.
Merci à Bruno Fournier, Les Tomatophiles, qui a permis cette rencontre avec José Antoine.