Jonk est photographe. Il a commencé la photo à 11 ans alors qu’il partait en voyage linguistique. Jonk est militant écologique. À 7 ans, un ours blanc a changé son rapport au vivant. Il vient de publier Naturalia II, son dernier livre-témoignage. Et pour cela, il a créé sa propre maison d’édition.
Nous l’avons rentré dans un café du 10e arrondissement de Paris.
Raconte-nous l’ours blanc…
J’étais petit, 7 ans peut-être, je suis tombé sur un documentaire à la télé, sur la fonte des glaces. Un malheureux ours tentait désespérément de trouver un bout de banquise ou s’installer.
Ça m’a terriblement touché et à partir de cet instant, la nécessité de prendre soin de la planète s’est installée comme une évidence.
Je faisais la guerre à mes parents pour qu’ils éteignent les lumières ou coupent l’eau pendant le brossage des dents. Je peux dire que je les ai éduqués à l’écologie du quotidien.
Pourquoi Jonk ?
Jonk, c’est mon nom d’artiste, mais je ne l’ai pas inventé pour la photo.
L’histoire a commencé parce que je suivais des graffeurs. Je faisais des photos d’art urbain, de graffitis. Et puis, à un moment, j’ai eu envie de prendre une bombe de peinture et de peindre. Il me fallait un blaze, cette signature que se crée chaque graffeur. Mon prénom est Jonathan, mais mes amis m’appellent jonquille depuis toujours. Je sais, c’est étrange. Donc naturellement, j’ai pensé à Jonq. Mais graphiquement, le K est une plus jolie lettre.
Et voilà comment Jonk est né à sa vie d’artiste !
Tu photographies des lieux abandonnés repris par la nature
Pourquoi ?
Je les ai découverts avec les graffeurs. Ils ont besoin d’être tranquilles pour peindre et cherchent des murs disponibles pour de grandes fresques. Comme il s’agit d’un art éphémère, les lieux abandonnés leur conviennent bien.
J’ai donc commencé à photographier les artistes dans ces décors, puis je suis tombé sous le charme. J’ai donc fait des images des lieux vides.
J’en ai visité beaucoup et je me suis aperçu que j’étais très touché par ceux dans lesquels le végétal a une présence. Selon la durée de l’abandon, il est timide ou luxuriant.
Le végétal raconte une histoire nouvelle.
Que veux-tu dire par nouvelle histoire ?
J’ai vu près de 2000 lieux en 15 ans environ. Des maisons, des églises, des châteaux, des bâtiments industriels… J’ai constaté le génie, la puissance, l’ingéniosité, la volonté, l’inventivité des humains.
Tous ces édifices avaient été abandonnés, oubliés, délaissés depuis 10 ou 50 ans et là le vivant reprend le pouvoir.
Les peintures s’effritent, le métal rouille, les vitres se brisent. Et les ronces, le lierre, les fougères se glissent par les interstices. C’est pour moi le premier marqueur du passage du temps.Les premières plantes que je vois apparaître sont souvent ces trois-là.
La semaine dernière, j’étais en Italie pour faire des photos et je suis rentré avec les bars déchiquetés par les ronces.
Pour que sortent les arbres et les arbustes, il faut que du temps passe encore et que l’effacement soit plus radical. Les sols se craquèlent, les toitures s’effondrent et alors, les gros végétaux savent se frayer un chemin. Lentement, il efface le bâti.
C’est magnifique ! Ça pose également la question du sens de tout cela, de la place des humains à l’échelle du vivant
Qu’arriverait-il si les humains venaient à disparaitre ?
Quoi que nous ayons construit, quel qu’ait été l’ego ou l’ambition des bâtisseurs, la nature reviendrait et reprendrait tout.
Elle en a le temps et la puissance. Ça convie à une certaine humilité qui n’est pas nécessairement le propre de l’homme. Et c’est ce message que j’espère lisible dans mes photos et dans les livres qui les rassemblent.
Te penses-tu pessimiste ?
Je ne suis pas du tout pessimiste. Je montre ces images de lieux abandonnés pour faire prendre conscience des enjeux aux gens .
Et moins qu’un acte d’artiste, c’est un acte citoyen. Moi, je suis photographe, mais je suis aussi une personne sensible à l’écologie. Je faisais ces photos avant que ça devienne mon métier, c’est une passion, un engagement.
Et oui, il faut le faire parce qu’on ne peut pas attendre que ce soit le voisin, parce que ça ne sera peut-être jamais fait. Ça pourrait être le travail des politiques d’alerter, de faire réfléchir, mais… ils ne le font pas vraiment. J’ai un message, ça peut être assimilé à de la politique, mais moi je me contente d’alerter sur la situation écologique avec mes photos. Je suis un militant écologique.
Et oui, il faut le faire parce qu’on ne peut pas attendre que ce soit le voisin, parce que ça ne sera peut-être jamais fait. Ça pourrait être le travail des politiques d’alerter, de faire réfléchir, mais… ils ne le font pas vraiment. J’ai un message, ça peut être assimilé à de la politique, mais moi je me contente d’alerter sur la situation écologique avec mes photos. Je suis un militant écologique.
Quels sont tes plus fameux souvenirs
Le cosmodrome de Baïkonour au Kazakstan. C’est un site actif où il y a des lancements très réguliers de fusées. Et il y a une partie abandonnée : un hangar avec deux navettes spatiales et un autre avec une fusée.
Avec deux Polonais et un Américain, nous avons monté une expédition pour infiltrer le cosmodrome pendant trois jours. Nous avons marché 20 km dans la steppe kazakh, de nuit, avec 20 kg de matériel sur le dos. Il fallait être discret, ne pas se faire repérer parce que bien sûr, il est impossible de s’y rendre officiellement. C’était vraiment une expédition folle.
Et puis, dans le faisceau des lampes torches sont apparues deux navettes spatiales, c’est fantastique !
Et donc j’ai fait un livre pour raconter ce périple dans le détail et présenter toutes les photos des navettes, de la fusée.
Sur la couverture Naturalia II, il y a un hangar avec volume gigantesque, et une voûte de tôle. On sent dans ce bâtiment, par ses dimensions, un triomphe de l’activité industrielle florissante. Désormais, les arbres dépassent du toit éventré et la végétation est partout. Il faut dire qu’on est sous les tropiques. Le climat est chaud et humide. Tout pousse à une incroyable vitesse. En trente ans, cet entrepôt a été recolonisé par le végétal. Un lieu met plus ou moins longtemps à être repris pas la nature. Ça dépend de l’humidité, de la chaleur, des matériaux. Dans les contrées très froides, c’est lent. Et puis le bois s’abime plus vite que le béton.
Petite frayeur
Dans ce hangar, à Taïwan, j’ai eu la peur de ma vie. Comme je suis toujours là incognito et que je fais attention à ne pas faire de mauvaises rencontres, je suis toujours un peu tendu. Souvent je joue au chat et à la souris avec des gardiens. Souvent, c’est moi qui gagne, mais pas toujours. Ce jour-là, j’ai entendu de grands coups donnés sur le métal. J’ai aussitôt pensé que ce n’était pas bon pour moi. Mais ce n’était qu’une grande famille de singes qui traversait l’entrepôt sautant d’une poutre à l’autre sur le toit.
T’arrive-t-il de faire des rencontres dans les lieux abandonnés ?
Parfois, il peut y avoir des photographes, des curieux, des voleurs de métaux, des tagueurs, des grapheurs, des gardiens, mais souvent, il n’y a absolument personne. J’ai même croisé un shooting de modèles nus.
Une fois, dans une ancienne base militaire soviétique en Biélorussie, j’ai rencontré un gardien qui habitait là. Il ne parlait pas anglais et je ne parle pas russe. Pour me raconter l’histoire du lieu, il m’a montré des documents et des objets. Il m’a aussi donné un disque vinyle. C’est souvent difficile de connaitre l’histoire de ces lieux lorsqu’ils n’appartiennent ni à l’histoire ni à une actualité médiatisée. Tchernobyl, c’est facile, mais une base militaire au fin fond de la Biélorussie, c’est plus compliqué.
Les voleurs de métaux pourraient se montrer agressifs, mais on s’ignore. Je les laisse voler leur métal et ils me laissent faire mes photos. On ne se parle pas, chacun fait ce qu’il veut. Je n’ai jamais subi de violence, mais je fais attention, car je connais es gens à qui c’est arrivé. Je laisse toujours mon itinéraire à quelqu’un et je donne des nouvelles tous les jours.
Un arbre avait poussé
Il y a Tchernobyl où je suis retourné plusieurs fois à différentes saisons. Sur l’axe principal, il y a un arrêt de bus, mais plus de bus. La ville de Pripyat est désertée, mais il y a 2000 personnes qui travaillent-là tous les jours. Donc, les axes sont très utilisés.
Dans cet arrêt de bus abandonné, un arbre avait poussé. J’ai observé sa croissance. J’adorais voir cet arbre avec ou sans feuilles, selon l’époque. On passe nécessairement devant en venant du checkpoint principal. Et, la dernière fois, il avait disparu, il avait été rasé. Il a dû déranger quelqu’un. Ça m’a brisé le cœur.
Y a t-il des animaux ?
Il y a souvent des animaux dans ces friches. J’ai eu la chance, car c’est rare m’a-t-on dit, d’apercevoir quatre ou cinq chevaux de Przewalski à Tchernobyl.
Dans les Caraïbes, des iguanes gigantesques me sont presque tombés sur la tête.
Au Japon, je me suis fait attaquer par les chauves-souris.
Et puis, il y a les araignées de toutes tailles. À Taïwan, les giant hors spiders jaunes sont parfois presque aussi grosses qu’une tête.
Le plus fréquent, c’est le bétail, chèvres, moutons, vaches. Dans le Caucase, ces bâtiments abandonnés sont utilisés pour mettre les animaux à l’abri.
J’ai aussi l’occasion de voir des animaux comme les faisans, les cerfs, les chevreuils.
Retournes-tu plusieurs fois au même endroit ?
Rarement, car je vais souvent très loin. Mais parfois dans les lieux proches de Paris. Je pense à une ancienne prison à une heure de Paris. J’y suis allé il y a presque une fois par an pendant 5 ou 6 ans.
C’est incroyable, notamment la petite maison des gardiens est totalement envahie par le lierre. Il y a un endroit où il est entré par une fenêtre, il a traversé la pièce au sol et remonte de l’autre côté, ce qui n’était pas le cas il y a 1 an ou 2.
Tchernobyl
Ton travail a-t-il évolué lui aussi ?
Oui, bien entendu. Techniquement, j’ai fait des progrès. Et, au fur et à mesure, je ne regarde plus tout à fait les mêmes choses et pas de la même façon. Au début, je voulais mettre tout le volume dans le cadre.
Aujourd’hui, la lumière, les lignes m’intéressent davantage. Par ailleurs, je resserre plus souvent mes cadres. Je zoome sur des détails, je rentre dans le sujet en m’en approchant. J’ai photographié une auto-tamponneuse à Tchernobyl dans laquelle a poussé un arbuste. J’ai fait des photos de ce manège à chacun de mes séjours et ce n’est qu’à la quatrième visite que j’ai zoomé sur cette auto. Et je suis très content de cette photo.
As-tu des projets et comment les finances-tu ?
Je vends mes photos et mes livres sur ma boutique en ligne. On peut me demander celle que l’on veut, mais j’en pousse deux par mois sur mon compte Instagram @jonjonkkkk.
Mes photos se vendent aussi grâce aux expositions. J’ai eu la chance d’être exposé à Londres, New York, cinq fois en Chine…
En juin, j’ai organisé la première édition du festival Gravity dont l’objectif est d’éveiller la conscience du public sur la situation écologique actuelle.
Je viens de monter JonkÉditions pour éditer la série que je vais poursuivre des Naturalia et pas que…
Et je vais bientôt ouvrir une galerie. Des projets j’en ai plus que je ne peux en réaliser !
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Quelle est ta formation de départ ?
À l’origine, je suis ingénieur en mécanique, mais je n’ai jamais travaillé dans ce secteur. Je suis parti en Équateur pour mon stage de fin d’études dans une entreprise de production de café. Là, j’ai rencontré 3 traders qui m’ont expliqué leur métier et ça m’a intéressé. J’ai passé deux diplômes de finances et j’ai bossé dans la finance pendant 10 ans. J’ai été passionné par ce métier. Depuis 3 ans, je suis photographe professionnel et ça m’a aidé à démarrer mon métier d’artiste. Ma formation et cette expérience m’ont donné une capacité à organiser et gérer que n’ont pas tous les artistes et ça m’aide.
Mais, je suis plutôt un artiste, je suis heureux de pouvoir l’être tous les jours.
Combien as-tu publié de livres ?
J’ai publié 6 livres et j’ai édité le dernier avec la maison d’édition que j’ai fondée pour celui-là et les suivants.
Mon premier, Naturalia portait déjà sur les lieux abandonnés repris par la nature et recensait 3 ans de photos.
Le deuxième, Spomeniks, rassemblait mes clichés des monuments commémoratifs de la seconde guerre mondiale dans les Balkans. Ce sont des monuments à l’architecture folle en Croatie, en Serbie. J’ai fait deux voyages en ex-Yougoslavie pour ce livre.
Le troisième, Wastelands, traitait du graffiti dans les lieux abandonnés.
Le quatrième, c’était à Baïkonur. En 2018, j’ai infiltré de cosmodrome de Baïkonur pour en photographier les parties abandonnées.
Le cinquième, Goodbye Lénine, porte sur les vestiges soviétiques en Europe de l’Est. J’ai parcouru les pays baltes, la Biélorussie, la Moldavie, l’Ukraine et j’ai photographié des reliques de l’URSS, des bases militaires, des écoles.
Et le dernier, Naturalia II vient de sortir donc, 3 ans après le premier. À suivre…