Jean Cotelle (1646-1708) fut miniaturiste, décorateur et « peintre du Roy » à Versailles. Lors de la construction du Grand Trianon, il réalisa pour Louis XIV le décor d’une galerie donnant sur les jardins avec comme thème les bosquets. Celle-ci a été restaurée.
Nous avons rencontré Béatrice Sarrazin, conservatrice du parimoine et Coralie Beaune, jardinière à Versailles.
Hortus Focus à Béatrice Sarrazin : Jean Cotelle n’est pas très connu, pourquoi cette exposition?
Béatrice Sarrazin : Cette exposition est née de la restauration des peintures. Les peintures de la galerie Cotelle nécessitaient des soins conservatoires ; je m’y suis donc intéressée puis en travaillant sur le sujet, j’ai commencé à imaginer quelque chose sur « Cotelle et les jardins ». Je me suis aperçue qu’il était intéressant de ressusciter cet artiste qui avait eu une carrière comme peintre du roi.
Qui était ce peintre ? Était-il reconnu à l’époque ?
Jean Cotelle était tout à fait reconnu. C’est un peintre qui est né dans un milieu cultivé (son père était peintre ornemaniste). Il se forme chez le portraitiste Claude Lefèvre, va à Rome cinq ans et reçoit dès son retour des commandes prestigieuses de Louis XIV pour des miniatures qui ornent les représentations de ses campagnes. Il travaille aussi pour Monsieur, le frère du Roi, à Saint-Cloud (pour le décor du cabinet des bijoux). Et pour Notre-Dame de Paris. Tout cela avant même de recevoir la commande fort prestigieuse du Grand Trianon, la galerie dite des Cotelle, qu’il orne de 21 tableaux!
Pour honorer une telle commande, fallait-il être spécialiste de la peinture de paysage ou de jardins ?
C’est toute la question! En fait, cette exposition veut révéler des secrets. Pour partie, elle a réussi à le faire mais certaines zones sont restées dans l’ombre. Pourquoi le Roi fait-il appel à Cotelle ? C’est une grande question. Il est miniaturiste, il a su peindre les Noces de Cana pour Notre-Dame mais il n’est pas peintre de paysage si ce n’est de ce paysage de forme particulière qui est celui, par exemple, des portraits de maisons royales avec leur domaine, une tradition bien française.
Dans la galerie, figurent les tableaux de deux autres peintres, Etienne Allegrain et Pierre-Denis Martin. En quoi Cotelle se distingue-t-il d’eux ?
Il s’en distingue à plus d’un titre. Tout d’abord parce qu’il est miniaturiste et que sa manière de peindre les personnages qui habitent ces bosquets est bien celle d’un miniaturiste dans les formats. Il s’en distingue aussi parce que ce sont les seules représentations de bosquets agrémentées de figures mythologiques, que nous connaissons. Il n’y a pas d’ « avant » et il n’y a pas d’ « après Cotelle ». Alors que les deux autres peintres animent les bosquets de personnages vêtus à la mode du temps, Cotelle, lui, choisit le mode littéraire et mythologique.
Qu’apportent ces tableaux pour la connaissance des jardins de Versailles ?
Ils donnent une image documentaire et topographique des bosquets, parfois légèrement déformée parce que ce sont de grands formats verticaux et que les perspectives sont un peu biaisées. Mais dans le détail, ils sont un vrai livre de documentation. Vous retrouvez les petits pots bleus du bosquet de l’Etoile. Toutes les sculptures y sont précisément décrites, par exemple tout le dispositif précieux du faux arbre en fer pour le bosquet du Marais ou les cygnes qui sont aussi entre illusion et vérité. Pour nous, ce sont des éléments très intéressants sur des bosquets disparus comme ceux du Labyrinthe, du Théâtre d’eau etc. Les amateurs des jardins et des bosquets de Versailles connaissent Cotelle.
Quel est le rôle des jardins dans la vie du roi ?
Ils avaient une valeur symbolique et affective. Louis XIV, on le sait, aimait tout autant son jardin que son palais, s’y promenait tous les jours à heure presque fixe même quand il est devenu malade et vieillissant. La Palatine en parle, dit combien il aimait s’y promener et que certains même renonçaient à le suivre tellement cela prenait de la place dans son quotidien. Louis XIV y faisait des haltes, il les appréciait et les utilisait telle la salle du Conseil ou le théâtre. Les jardins étaient des lieux animés. C’était des sortes de salons extérieurs, le prolongement du château. Ce qui est merveilleux dans la galerie des Cotelle, c’est que ce sont les jardins qui entrent dans le palais. Tout est lumière, de plain-pied, et les bosquets racontent l’histoire que l’on a vue dans les jardins.
Louis XIV aimait venir au Trianon ?
Trianon est devenue une de ses maisons de plaisance. Elle s’est construite en 1687, très vite décorée par des peintres qui ne sont pas, pour partie, les mêmes qu’au château et qui font partie d’une génération plus sensible à la douceur, au plaisir, au charme et à une peinture un peu galante. Peu de gens étaient introduits ici et pour le roi, c’était un havre de paix.
Coralie Beaune, cette année, vous avez planté les parterres en vous inspirant de Cotelle. Saviez-vous quelles plantes y figuraient à l’époque ?
Coralie Beaune : On en a une vague idée mais en fait, on ne sait pas à quel point ce qu’il a représenté a été fantasmé ou pas. Quand on est peintre, on a souvent tendance à embellir la réalité et à mettre sa patte personnelle. Nous avons des inventaires d’achats de plantes de l’époque mais ils n’indiquent pas forcément ce qui était planté véritablement.
Comment avez-vous procédé pour cette plantation ?
Nous avons pris comme point de départ le tableau de Jean Cotelle intitulé Les parterres du Trianon de marbre avec Zéphyr et Flore endormie (en photo, en haut de l’article). En fait, nous nous sommes surtout inspirés de la miniature à la gouache sur le même sujet qui est plus détaillée et nous avons voulu en restituer l’ambiance.
Il y a des fleurs roses, blanches et surtout bleues. On reconnaît par exemple des delphiniums : nous en avons planté 1200. De même, nous avons planté 4 types de sauges : la Salvia guaranitica avec une feuille gaufrée et d’une couleur bleu noir ou bleu violacé ; Salvia uliginosa, la sauge des marais qui fleurit bleu ciel pendant six mois et est très aromatique ; la S. farinacea qui est violet foncé et fleurit pendant toute la saison ; la S. patens ‘Blue Angel’ qui a une floraison d’un bleu électrique surprenant.
Nous avons aussi des Statice (des annuelles), ces fleurs séchées qui restent de la même couleur pendant des dizaines d’années ; je les aime vraiment, j’ai un lien affectif avec elles en plus du fait qu’elles restent jusqu’à fin octobre sans problème dans les massifs et prennent des proportions complètement folles ! On en a produit 5300.
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