Surnommée Paulette ou Chouchoute les bons jours, l’emmerdeuse ou la casse-…. les mauvais, ma passiflore rustique n’en fait qu’à sa tête. Vous allez grogner si je vous dis qu’elle est trop généreuse. Tant pis, j’assume !
Paix à l’âme de ‘Impératrice Eugénie’
Je ne compte plus mes erreurs au jardin (enfin, si, maintenant ça va un peu mieux). Du genre, j’achète sans regarder les étiquettes. Ce qui s’est produit un jour d’envie de passiflore, de ces fleurs à la beauté stupéfiante, complexe et éphémère. Vazy donc que je t’achète le premier pot qui me passe devant les yeux et sous la paluche. Le nom de la variété me fait rêver à lui seul : ‘Impératrice Eugénie’, tout un programme. Et encore, ma plante ne décline pas l’état civil au grand complet de l’épouse de Napoléon III : María Eugenia Ignacia Agustina de Palafox y Kirkpatrick, 19e comtesse de Teba, dite Eugénie de Montijo (faisons simple).
‘Impératrice Eugénie’ s’est donc retrouvée fissa dans mon jardin de banlieue où elle est morte quelques mois plus tard (la vraie Eugénie est décédée, elle, en 1920). Horreur et désespoir ! Même pas besoin d’enterrement en grande pompe. Toute mourrute, vous dis-je ! Et c’est à ce moment-là que, dépitée, je fondis sur ma boite à étiquettes, chromos, notes etc… pour découvrir que sans cache-nez ni bottes fourrées, ni véranda, j’avais précipité ‘Impératrice Eugénie’ vers une agonie rapide. J’aurais mérité d’être traduite en justice devant une cour d’assises pour végétaux.
Et la passiflore bleue monta sur le trône !
Je suis donc partie en chasse de la remplaçante de ‘Impératrice Eugénie’. Après avoir épluché les livres, cassé les oreilles aux copains-copines, épluché les sites, j’ai donc acheté Passiflora caerulea, autrement dit la passiflore bleue, qui tient – 15°C, sans bonnet ni poncho.
À l’occasion de mes recherches, soit dit en passant, j’ai découvert que les missionnaires espagnols, jamais en mal d’imagination pour embobiner les “sauvages”, utilisaient la passiflore (à ses pétales défendants) pour enseigner l’histoire du Christ. Voilà ce que cela donnait à l’époque :
- Les dix pétales symbolisent dix des douze apôtres (ah, ah, ah, ah, Judas éliminé d’office et qui d’autre ? )
- Les trois stigmates représentent les 3 clous qui fixèrent Jésus à la croix.
- Les cinq anthères représentent les 5 plaies sur le corps du Christ.
- Les filaments en cercle symbolisent la couronne d’épines.
- Je vous ai gardé le meilleur pour la fin ! Tadaaaaammmm : les vrilles de la plante symbolisent les fouets de la flagellation. Si, si… Pensez-y quand vous regarderez les fleurs de votre passiflore, rustique ou non.
Fleur du Christ ou pas fleur du Christ, Paulette a été plantée au pied d’un mur, les racines protégées par une petite avancée d’escalier, derrière un fouillis-fouchtra d’érigerons, juste à côté de feu le frémotodendron arraché parce que ses feuilles gratouillaient toute la maisonnée. Ça, c’était en automne. Je l’ai laissé tout l’hiver papoter avec ses nouveaux amis, s’installer tranquillement.
Madame prend ses aises
Dès le premier printemps, Paulette a montré qu’elle se plaisait chez moi. Dès le premier été, elle a commencé à me casser les pieds et ça ne s’arrange pas. C’est même pire chaque année. Et quand j’oublie, pendant deux ou trois semaines, d’aller la voir pour stopper sa progression, c’est l’enfer. Et là, Paulette n’est plus Paulette mais Passiflora caerulea, la belle emmerdeuse. Je l’ai retrouvée partout, jusqu’à 4 à 5 m de sa souche. Elle colonise les fenêtres, crapahute dans les rosiers, s’insinue dans mes sauges ‘Hot Lips’ à plusieurs mètres, tente d’assassiner mon jasmin auquel je chante “Résiste, prouve que tu exiiiiiiiiistes !” tout en arrachant des tiges de l’envahisseuse. Elle réussit à s’insinuer dans mon gros pépère de miscanthus et l’effrontée, cette année, a même osé partir à l’abordage du chitalpa. Argh !
À chaque passage, j’enlève des mètres de tiges et au moins une dizaine de semis spontanés !!! Je crois qu’elle est parvenue à passer chez les voisins. J’attends avec impatience l’hiver pour aller la débusquer dans le fouillis. Cette année, j’ai essayé de la dompter, installé un treillage sur le zinc qui protège le muret de la terrasse en me disant “Tiens, je vais la distraire, elle va grimper, elle ira moins sur les côtés…” Tu parles, elle est partout !
Il reste que malgré son côté Alexandre le conquérant, ma passiflore bleue, je l’aime. Non, je l’adore. Chaque fleur m’émeut, me surprend quand elle s’apprête à naître, quand elle livre sa beauté, quand elle meurt. En fait, j’ai beau râler, je ne pourrai plus m’en passer…