La Belgique est le pays des arbres à clous, loin devant la France. Selon une ancienne croyance populaire, un clou frotté contre une gencive douloureuse ou appliqué sur une peau infectée permettait d’extirper le mal si, et seulement si, on allait ensuite ficher le clou dans un arbre dédié. La croyance n’est pas morte puisque l’on voit aussi encore des arbres où sont accrochés des vêtements, des béquilles, etc… Les ultimes rites du paganisme ?
Les arbres à clous en Belgique
Si vous passez par le plat pays, prévoyez au moins une visite à l’un de ces vénérables arbres au tronc farci de trous. Du Hainaut à la province de Liège, de Namur au Brabant, on en dénombre plus d’une cinquantaine. Un nombre en baisse… Même les arbres finissent par mourir.
Le tilleul de Soleilmont, à Gilly
Pour le voir, il vous faudra aller non à Gilly, mais au Musée de la Vie Wallonne, à Liège. Ce tilleul aux 70 000 clous (oui, 70 000 !) a été victime d’une tempête en 1922, mais son tronc est visible au Musée. Dans le passé, les croyants l’avaient voué à Saint-Cloud, le petit-fils de Clovis, réputé pour sa piété et l’aide qu’il apportait aux pauvres. Avant sa chute, le tilleul se trouvait à l’entrée du monastère de Soleilmont. Le clou, surnom du furoncle, et les clous plantés avaient donné aux sœurs d’un couvent tout proche l’idée de commercialiser une pommade “miraculeuse” contre la furonculose…
Le chêne Saint-Antoine, à Herchies (commune de Jurbise)
De nos jours encore, il n’est pas rare de voir un visiteur accrocher un linge souillé, un pansement et même des chaussettes sur l’un des clous plantés dans l’arbre depuis… on ne sait pas quand. Une chapelle a été édifiée juste à ses pieds pendant le XIXe siècle. Selon Guy Brunin, un passionné d’histoire de la région, le propriétaire des lieux n’a jamais réussi à abattre l’arbre, car, à chaque tentative de coupe, il se retrouvait avec de gros furoncles très douloureux sur le séant ! Certains visiteurs observaient même des guérisons express en venant juste faire une petite visite au vénérable chêne. Le principal n’est-il pas d’y croire, après tout… Le chêne Saint-Antoine a été classé en 1985.
Le robinier de la chapelle de l’Arcompuch, à Stambruges
Son âge est estimé à quelque 150 ans. Il est sans aucun doute plus âgé que la chapelle à ses pieds. Le petit édifice aurait été construit, selon la légende, après la découverte d’une statuette de la Vierge à la base de l’arbre. Pour les prières ou les vœux, vous avez donc le choix entre la chapelle qui abrite la fameuse statuette ou l’arbre et ses “décos” de toutes sortes liées fortement aux maladies infantiles.
Le “Quesne pouilleux”, au Havré
Il est couvert de remerciements pour le remercier d’une guérison. Des ex-votos qui tiennent grâce à des clous. Et des chapelets aussi…
Le tilleul du Coftice, à 3 km de Herve.
On devrait plutôt dire le nouveau tilleul, planté en 1947. Car l’ancien, dont la présence était signalée dès le Moyen-Âge, a été victime de son succès en 1941. Il était tellement “métallisé” qu’il a suffi d’un coup de foudre pour l’envoyer ad patres. Le rituel du clou était ici un peu plus sophistiqué… À la grande époque de ce tilleul (le vieux), autant vous dire que de souffrir d’une carie ou d’un abcès, c’était endurer l’horreur. Pour guérir, certains allaient jusqu’à récupérer un clou sur un cercueil déterré avant de toucher la ou les dents malades puis de courir enfoncer le métal dans le tronc de l’arbre. Avouez que, désormais, vous irez volontiers et sans grogner chez le dentiste !
Le tilleul des Floxhes, à Anthisnes et le tilleul de Han-sur-Lesse.
Même combat que le tilleul du Coftice. Ces tilleuls sont “spécialisés” dans les maux de gencives, les caries et autres joyeusetés dentaires.
Les arbres à clous en France
On joue très petits bras comparé à nos amis belges. Mais nous on avons aussi quelques uns, de ces arbres à clous !
Les arbres à loques de Saint-Claude, à Sénarpont, dans la Somme.
C’est ici, non loin de la chapelle Saint-Claude qu’une épidémie de peste noire s’arrête miraculeusement en 1499, épargnant la commune. Le même phénomène se reproduit en 1638 lors d’une autre épidémie de peste. Et comme en 1918, la grippe espagnole passe à côté de Senarpont, le lieu devient carrément magique. Tellement attirant que la statuette de Saint-Claude est volée en 1968. Le mauvais sort s’acharne. En 1980, les 3 ormes, malades, sont abattus. Leurs restes et les loques sont incendiés quelques années plus tard. En 1994, 3 jeunes arbres sont replantés. Deux d’entre eux sont incendiés en 2010… Il n’empêche, les arbres à loques de Sénarpont attirent toujours autant de croyants et les loques sont aujourd’hui accrochées un peu partout autour du lieu originel. Une œuvre collective en pleine forêt.
Le chêne aux clous du Pâtisseau, à Bonnœuvre, en Loire-Atlantique.
Dans la forêt de Saint-Mars-la-Jaille, trône un chêne rouvre ou chêne sessile (Quercus petraea). Cet arbre impressionnant serait le seul et unique rescapé d’un groupe de chênes de la même espèce abattus au début du XVIIIe siècle. Il est planté de centaines de clous, les plus “performants” étant, à l’image des tilleuls du Coftice, en Belgique, ceux utilisés pour clouer les cercueils. Le rituel à observer est, en revanche, un peu différent : le rite doit s’observer seul, de nuit ; il faut frotter les clous contre la partie malade du corps, puis tourner 7 fois autour du chêne, s’adresser à l’arbre en une silencieuse prière avant de clouer la face la moins touchée par le soleil (tu parles si c’est pratique la nuit). Enfin, comme en quittant le mur des Lamentations à Jérusalem, partir à reculons en saluant l’arbre…