Petites histoires sur la carotte

Carottes
Stephen Ausmus

Vraisemblablement originaire de l’actuel Afghanistan, la carotte n’a pas toujours été dans le peloton de tête des légumes consommés en France. Les racines étaient alors toutes maigrelettes, fibreuses, au goût aigrelet. Il a fallu attendre des hybridations hollandaises à la période de la Renaissance pour que ce légume racine trouve une place de choix dans son assiette.

La grande vadrouille de la carotte 

Daucus carota est une sauvage ! De nos jours encore, on trouve en Afghanistan des colonies de carottes sauvages à racines colorées ou blanches, les ancêtres de nos carottes. Malgré le peu d’intérêt culinaire de ses racines d’alors, la carotte part en voyage. Certaines partent vers l’ouest, finissent par arriver en Europe et en Afrique via le Moyen-Orient. D’autres prennent le chemin de l’est, et de l’Asie.

Comme les climats y sont moins rudes et les terres plus riches que dans son Afghanistan natal, la carotte en profite. Ses racines grossissent, sa saveur aigrelette s’adoucit. Elle n’est pas encore pour autant ce légume sucré tant apprécié des bébés (et des plus grands). Elle aurait en revanche été cultivée pour son feuillage comestible (je vous conseille d’essayer ses fanes en pesto, c’est délicieux!).

Un légume pour les pauvres

Même si elle commence à être cultivée un peu partout entre le VIe et le Xe siècle, la carotte n’est pas encore une super star. Sa racine blanche, violette, jaunasse, rouge en fait la compagne du panais. Ces deux racines peu onéreuses sont très consommées par les pauvres (les pommes de terre ne sont pas encore arrivées en France). Elles sont en revanche présentes sur la table royale sous Louis XIV. La Quintinie en fait cultiver plusieurs sortes dans le Potager du roi, à Versailles dont des rouges qui ont l’inconvénient de “tacher le bouillon”. On sert alors plutôt des carottes jaunes moins fibreuses et dont le goût s’est bien adouci.

©Povareshka
©Povareshka

Quand la carotte passe à l’orange

Sous la Renaissance, les Hollandais s’activent pour faire naître des carottes un peu plus sexys et goûteuses. Qu’on se le dise ! Sans eux, la carotte orange n’existerait pas… À force de croiser des carottes blanches et des carottes rouges, ils font naître des carottes orange, bien sucrées. Les premières auraient été obtenues dans les années 1620, aux alentours d’Utrecht. ‘Longue Orange’ est la première carotte orange, bien charnue, à être baptisée.

Toutes les variétés modernes, courtes, longues, plus ou moins trapues, en grelot sont des descendantes de ‘Longue Orange’. Au XVIIIe, les obtenteurs se concentrent sur des variétés à récolter en primeurs, que les maraîchers font pousser sous serre. 

Mais pourquoi orange ?

L’Histoire raconte que les obtenteurs hollandais ont ainsi voulu montrer leur attachement à la Maison royale d’Orange, fondée en 1544 par Guillaume de Nassau. L’hypothèse tient la route et nous autres, Français, y sommes un peu pour quelque chose ! La principauté d’Orange est une ancienne principauté souveraine, située dans l’actuel Vaucluse. Pendant le grand bazar des guerres de religion, Guillaume d’Orange prend la tête des protestants français contre les troupes du roi d’Espagne, Philippe II, super catho. Je vous passe la Saint-Barthélemy, les massacres ici et là, car on s’éloigne trop de la carotte…

Les expressions à base de… carottes

  • Les bœufs-carottes : le surnom donné aux inspecteurs de la police des polices. Deux origines au choix. Celle de Claude Zidi dans “Les Ripoux” : on laisse mijoter le suspect comme on le ferait avec un bon bœuf aux carottes. Celle de André Larue (“Les Flics”) : un coupable débusqué par la police des polices se retrouverait à la rue, sans même avoir les moyens de s’offrir un bœuf aux carottes. J’aime mieux celle de Zidi.
  • La carotte ou le bâton : expression apparue au XXe siècle, en référence aux ânes récompensés par une carotte s’ils avancent ou un coup de bâton s’ils font leur tête… de mule.
  • La carotte rend aimable : le légume souvent donné comme friandises aux équidés, notamment aux ânes qui avancent quand on leur montre une carotte. Elle les rend donc aimables.

Une citation pour terminer ? 

Le gouvernement manipule l’électorat comme si c’était un âne. Une carotte devant et un coup de pied dans le derrière. La carotte c’est l’apartheid, le dogme, la grande abstraction. Le coup de pied c’est simplement la peur. Le péril noir, le péril rouge, quel que soit le nom que voulez lui donner.

“Une saison blanche et sèche”, de André Brink.

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