C’est un lieu unique. Le Domaine du Rayol, dans le Var, est un écrin pour les plantes de toutes les régions du monde au climat méditerranéen. Dans les années 90, le paysagiste Gilles Clément est chargé de son réaménagement. Il y met en œuvre son concept du jardin en mouvement. Et depuis, toute l’équipe marche dans ses pas.
Hortus Focus : pouvez-nous tout d’abord nous rappeler ce qu’est le jardin en mouvement ?
Lenny Basso (guide-animateur) : les paysages sont des êtres vivants, ils changent constamment. Le jardinier au lieu d’intervenir sans cesse, se fait observateur, laisse se développer les espèces, les valorise. Il ne va pas chercher à transformer le paysage, mais à l’accompagner. C’est un peu la logique du « Pourquoi pas ? » dans un jardin. Une plante arrive spontanément et on va observer pour voir si elle apporte une plus-value, un mieux, avant d’intervenir (ou pas).
Comment est né le Jardin des Méditerranées ?
Les caractéristiques du climat méditerranéen, ce sont des étés chauds et secs, des hivers doux et relativement pluvieux. Au fil des voyages, des expéditions, les botanistes ont retrouvé ces deux grandes caractéristiques un peu partout dans le monde : la pointe sud-africaine, certaines côtes chiliennes, les îles Canaries, du Sud-ouest australien… Quand Gilles Clément reçoit pour mission de repenser le domaine du Rayol dans les années 90, il a proposé une sorte d’index des Méditerranées du monde. Une invitation au voyage, un lieu immersif, émotionnel, invitant les visiteurs à prendre le temps de se perdre dans le jardin. L’idée ce n’est pas d’avoir une collection d’étiquettes fichées un peu partout, mais une volonté : emporter les visiteurs à la découverte de jardins naturels méditerranéens.
Gilles Clément continue-t-il d’intervenir au Rayol ?
Oui, il est attaché au suivi de ce jardin planétaire et évolutif. Il vient au moins une fois par an pour suivre son évolution. Et nous nous référons à lui quand nous devons prendre une décision importante. Si, par exemple, un vieil arbre nous cause du souci, car il peut être malade ou simplement vieillissant, doit-on l’abattre ou le laisser sur pied pour favoriser l’apparition à son pied d’autres plantes ? Nous prenons donc les décisions en concertation avec Gilles Clément. On n’est pas dans une gestion protocolaire, mais plus dans l’idée que les jardiniers de l’association sont vraiment là pour exprimer leur façon de travailler.
J’imagine que le réaménagement se s’est pas fait le temps d’un claquement de doigts !
Le Domaine du Rayol a été racheté en 1989 par le Conservatoire du Littoral et il est géré depuis par l’Association du Domaine du Rayol. Nous en sommes les gestionnaires. Le projet initial de Gilles Clément, c’était un jardin australien. Mais, rapidement, on s’est posé la question de réaliser un jardin qui comprendrait des plantes de toutes les régions méditerranéennes du monde. Après, il a fallu attendre et beaucoup observer. Il faut en effet plusieurs années pour voir si certaines espèces s’installent bien, si des plantes locales se développent. Le paysage peut-être alors altéré ou revalorisé, il évolue de toute façon.
Avez-vous un exemple d’évolution ?
Non loin de l’entrée du jardin se trouvent des plantes originaires des îles Canaries. Les plantes ont d’abord été installées d’un seul côté du chemin emprunté par les visiteurs. Or, certaines d’entre elles sont des vagabondes. Elles se ressèment spontanément et ont «sauté » le chemin jusqu’au pied de cyprès. Les jardiniers ont décidé de les laisser pousser dans l’ombre du conifère. Forcément, elles ont adopté un aspect un peu différent que celles qui poussent au soleil, mais elles se sont débrouillées pour se développer vers des zones plus lumineuses et la haie de cyprès a fini par… disparaître ! Nous n’avons rien initié, nous avons accompagné leur déplacement notamment en plaçant des roches pour limiter la propagation d’herbes un peu trop gênantes pour elle. Donc, de l’autre côté du chemin, on a aujourd’hui des petits dragonniers des Canaries (Dracaena draco), des aeoniums, des échiums, des euphorbes…
Le sol est-il un facteur très important ?
Ici, la terre est un peu acide et c’est ce qui nous permet d’avoir ce jardin des Méditerranées. Un large spectre de plantes peut se développer. Si on était sur un sol calcaire façon garrigue, ce serait beaucoup plus compliqué. D’ailleurs, la plupart des plantes, notamment les Australiennes comme les mimosas, ne le supporteraient pas ! Si on a autant de mimosas ici, c’est qu’ils ont trouvé le sol adapté à leur implantation et leur développement.
Certaines plantes ont-elles tout de même du mal à s’adapter ?
Bien entendu et il faut parfois les aider, car la concurrence – végétale ou animale – n’est pas la même que dans leur milieu naturel. Il faut parfois faire du désherbage à la main pour les aider à bien s’implanter.
Êtes-vous obligés d’arroser ?
Oui, car les plantes ont besoin d’eau à la plantation et après leur plantation. Mais on fait en sorte d’accompagner leur acclimatation et d’intervenir de moins en moins ensuite. Si vous visitez le jardin en été, vous verrez les plantes des Canaries toutes sèches. C’est normal, elles sont en repos estival. Dès les premières pluies d’automne, elles repartent de plus belle. Pour nous, c’est une réussite, on n’a pas besoin d’intervenir. Il faut connaître les plantes, les observer et se servir de l’intelligence des lieux.
Pourquoi avoir choisi de conserver la grande pergola en béton ?
Elle a une longue histoire et c’est un peu la colonne vertébrale du jardin. Les anciens propriétaires aiment venir y boire le thé ou se rafraîchir. Elle offre aussi la plus grande perspective du jardin. Gilles Clément a souhaité la conserver et a fait aménager l’escalier qui permet d’y parvenir par le haut du jardin. Cette perspective est limitée sur ses deux côtés par de la végétation, des cyprès notamment. C’est une volonté. Pour que le regard des visiteurs ne parte pas vers la mer, mais soit dirigé vers la partie néo-zélandaise du jardin.
Le jardin descend jusqu’au rivage. C’est un autre univers ?
C’est surtout un milieu plus fragile, très représentatif de la côte et du maquis. On y trouve des pins, de la barbe de Jupiter (Anthyllis barba-jolis) une espèce protégée. Les deux contribuent à maintenir le sol. Les branches des pins adoptent des formes parfois curieuses. Les arbres s’adaptent au vent qui charrie des embruns, ils apprennent à s’en protéger et c’est fabuleux d’observer ce phénomène. La barbe de Jupiter, elle, a un feuillage duveteux, gris argenté, bleuté, idéal pour faire face aux conditions de bord de mer et à un fort ensoleillement.
Domaine du Rayol, le Jardin des Méditerranées
Avenue Jacques Chirac, 83820 Rayol-Canadel-sur-Mer. Tél : 04 98 04 44 00.