Sandra Lavorel, scientifique, femme et médaillée

Sandra Lavorel, lauréate de la médaille d’or du CNRS 2023
©Hubert RAGUET / CNRS Images

Sandra Lavorel est ingénieure agronome, docteure en écologie et sciences de l’évolution, et directrice de recherche au CNRS. Elle vient de se voir décerner une médaille d’or pour son travail au sein du laboratoire d’écologie alpine de l’Université Grenoble-Alpes. À l’heure où l’on s’interroge sur la faible présence des femmes au sein des communautés scientifiques et où l’écologie subit des assauts répétés, cette médaille est une vraie reconnaissance. 

Les femmes représentent moins de 30 % des effectifs des chercheurs en France. Lorsque l’une d’entre elles est médaillée par le CNRS et qui plus est, pour un travail fondamental sur l’écologie fonctionnelle, on applaudit des deux mains !

Un domaine bien spécifique : l’écologie fonctionnelle

C’est un domaine de l’écologie qui concerne très particulièrement les humains. Car, en écologie, si on s’intéresse aux écosystèmes seuls, sans les humains, tout est assez simple. Un écosystème, c’est un ensemble d’interactions entre vivant et non-vivant, entre matières et fluides, mus par des énergies, qui tentent de trouver un équilibre. Cet ensemble est dynamique, c’est-à-dire que le point d’équilibre est constamment remis en jeu par un des multiples éléments de l’équation du vivant. Mais sans l’humain, ça se débrouille !

Cette nouvelle médaillée n’a pas choisi la facilité

La pagaille vient de l’humain et de ses désirs, devenus insatiables. L’écologie fonctionnelle s’attaque donc à une difficulté terrible : découvrir où sont les compromis entre les besoins de l’écosystème pour lui-même et ceux des humains que cet écosystème peut contribuer à satisfaire.

Sandra Lavorel, médaillée d’or du CNRS 2023, au col du Lautaret, dans les Alpes. Spécialiste du fonctionnement et de la dynamique des écosystèmes
Sandra Lavorel, lauréate de la médaille d’or du CNRS 2023, au col du Lautaret, dans les Alpes. Spécialiste du fonctionnement et de la dynamique des écosystèmes. ©Hubert RAGUET / CNRS Images

« Lorsqu’on parle de pollinisation, c’est facile. Des pollinisateurs diversifiés sont utiles, et même indispensables tant aux humains qu’à l’écosystème. Mais ce n’est plus le cas lorsque les humains pratiquent l’agriculture intensive, car là les besoins sont antagoniques. L’écologie fonctionnelle étudie alors les compromis possibles. »

Sandra Lavorel est pionnière dans la définition et l’analyse des services qu’ils rendent aux sociétés humaines. Elle a ainsi montré que l’altération de la biodiversité et des écosystèmes due aux changements globaux, comme le changement climatique, mais aussi à l’usage des sols a des impacts sociétaux et économiques quantifiables.
Sandra Lavorel est pionnière dans la définition et l’analyse des services qu’ils rendent aux sociétés humaines. Elle a ainsi montré que l’altération de la biodiversité et des écosystèmes due aux changements globaux, comme le changement climatique, mais aussi à l’usage des sols a des impacts sociétaux et économiques quantifiables. ©Hubert RAGUET / CNRS Images

L’écologie fonctionnelle, un autre regard

“Quand on travaille du point de vue fonctionnel, on efface un peu la notion d’espèce. On s’intéresse à la vie, à des caractéristiques, par exemple la taille d’une graine ou la teneur en azote d’une feuille, aux relations entre les individus qui sont présents dans un écosystème. Et, ça s’applique très bien à la diversité génétique des plantes cultivées.”

C’est donc un regard très particulier que celui de l’écologie fonctionnelle. Il cherche ce qui , au sein des intérêts, convergents, divergents, voire antagonistes, qui existent entre les humains et les écosystèmes qu’ils habitent, peut faire compromis. Peut-être d’ailleurs, le plus difficile est-il de permettre aux humains de mieux connaître leurs propres intérêts.

La diversité, c’est la vie !

La diversité des formes du vivant est un gage de résistance et de résilience face aux évènements climatiques dont les amplitudes sont fortes. Toutes les recherches sont concordantes.

Ce qu’on appelle résilience d’un système, c’est sa capacité à de reconstruire et à poursuivre sa trajectoire de vie malgré les assauts du froid, du chaud, des sécheresses, des inondations ou des maladies. C’est un fait biologique et systémique validé tant pour les humains que pour les non-humains, la vie sait se défendre et se développer lorsqu’elle peut s’appuyer sur des formes multiples. Sandra Lavorel : “La variabilité interannuelle, de moins en moins prévisible, est un vrai danger pour les grandes cultures monospécifiques, sans diversité génétique, installée dans des sols appauvris.”

Sandra Lavorel, scientifique, médaille d'or du CNRS
Sandra Lavorel, lauréate de la médaille d’or du CNRS 2023, au col du Lautaret, dans les Alpes françaises. UMR5553 Laboratoire d'Écologie Alpine ©Hubert RAGUET / CNRS Images

La sobriété est fonctionnelle

À la question, comment doit-on mieux habiter le monde pour préserver les humains, la scientifique répond par la reconnexion à la nature. On ne cesse de le répéter, nos civilisations, dites de progrès, ont perdu le lien au vivant. “Et c’est difficile dans nos sociétés occidentales alors que c’est une clé majeure. Il nous faut réapprendre à apprécier la nature pour elle-même puis pour nous. C’est ce qui nous amènera naturellement au changement indispensable.” Et pour répondre aux inquiets devant un retour en arrière, “il ne s’agit absolument pas de retourner à l’âge des cavernes avec une torche à la main. Précisément, nous avons fait de grands progrès dans la compréhension scientifique du monde, des écosystèmes et du climat. Il faut impérativement se servir de ce travail réalisé par les scientifiques pour changer intelligemment nos modes de consommation, nos systèmes financiers et économiques.

La sobriété n'est pas un renoncement au bonheur, mais un bonheur plus proche du monde.

Jardin du Lautaret
Jardin du Lautaret ©I.Morand

Paysages et climat

Sandra Lavorel travaille sur les pentes du Lautaret. La scientifique, médaillée d’or, y mène des recherches sur la réaction des plantes et des sols avec 2/4/6 °C de réchauffement des températures. Parce que le climat influe sur l’évolution des paysages, ce qui l’intéresse c’est l’interaction entre l’un et les autres. La biodiversité est impactée par le climat, mais l’inverse est vrai également. 

En effet, un travail sur la séquestration du carbone, qui est facilitée par les écosystèmes de montagne lorsqu’ils sont très diversifiés, montre un appauvrissement récent. La faible pression pastorale, le travail du sol, le mouvement des espèces modifient la qualité du carbone. Or ce carbone reste stocké moins longtemps que précédemment. “Ce n’est pas une bonne nouvelle pour le climat !

Carbone et qualité

Le carbone présente des formes biochimiques diverses dans le sol. Il y a des molécules qui se dégradent plus ou moins vite. Donc il existe des carbones dont les formes de dégradation sont très lentes et restent emprisonnées dans la matrice du sol et d’autres qui se dégradent un peu plus vite.

Des espèces végétales en mouvement

Dans les Alpes, Sandra Lavorel et son équipe observent certaines espèces qui remontent depuis des altitudes moyennes vers des attitudes plus élevées. Et puis, dans certaines zones spécifiques, qui retiennent la neige tard en saison, les botanistes commencent à noter des changements avec une colonisation par une flore moins spécialisée suite au réchauffement.

Expérimentation à +2 °C

“Nous faisons une expérimentation sur le réchauffement à plus deux degrés, dont nous observons les effets. Par exemple, la précocité de la pousse et de la floraison des espèces végétales est extrêmement claire. La production est légèrement supérieure, de 10 à 20% en moyenne, et c’est encore davantage si on simule une année plus humide par rapport à une année sèche. Nous nous intéressons beaucoup aussi aux micro-organismes du sol. Et nous travaillons en réseau avec des collègues en France, en Europe et dans le monde pour pouvoir faire des comparaisons intéressantes.”

Grâce à ce travail, et à toutes les recherches en cours dans le monde, la FAO, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, peut affirmer que l’avenir de l’agriculture et d’une alimentation saine et accessible pour tous repose sur des pratiques agroécologiques. Redonner la vie aux sols, cesser de les imbiber de produits chimiques n’est pas une utopie, mais une nécessité. Il est donc urgent de retrouver de la biodiversité pour notre propre santé !

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