L’association « Alerte des Médecins sur Les Pesticides » se présente avec un objectif : la protection de la santé face à l’utilisation des produits pesticides et des polluants chimiques. Pierre-Michel Périnaud en est l’un des fondateurs et l’un des promoteurs des ordonnances vertes. Ces ordonnances sont expérimentées auprès des futures mamans par la ville de Strasbourg et on y pense à Mouans-Sartoux.
Unique en France, ce dispositif prescrit par des professionnels de santé (les médecins généralistes, les médecins gynécologues et les sages-femmes) permet à des femmes d’être sensibilisées à la question des perturbateurs endocriniens et de récupérer chaque semaine, un panier de légumes bio et locaux gratuit pendant 7 mois.
Au sein du cabinet
Pierre-Michel Périnaud est médecin généraliste. Nous sommes au début du nouveau siècle. Dans son cabinet limousin, une région très agricole, le nombre de patients qui franchissent sa porte pour des maux liés à un cancer augmente massivement. Il contacte ses collègues aux alentours pour savoir s’ils font le même constat. Ils le font, mais ne sont pas plus avancés que lui sur ce qui est à l’origine de ce qu’on n’appelle pas encore une épidémie.
La méthode scientifique
“J’ai commencé à m’intéresser à différentes choses en lien avec les pathologies de mes patients : les perturbateurs endocriniens, les produits dangereux utilisés par les agriculteurs. Dans cette région de polyculture, l’usage des intrants est massif à cette époque. Des riverains limousins s’en inquiétaient depuis quelques années. Les conséquences des épandages parfois très près des habitations (jusqu’à quarante fois par an), sur leur santé et celle de leurs enfants, étaient négligées. Et moi, mon problème, comme médecin, c’était de ne pas pouvoir nommer la cause des maladies que je constatais dans mon cabinet. Je sais que la santé et ses dégradations ont des causes multifactorielles. Elles sont d’ailleurs utilisées par nos adversaires pour se dédouaner de leur responsabilité. Mais, il nous fallait tout de même des explications plausibles.”
Avec quelques médecins tout aussi inquiets, Pierre-Michel rassemble des éléments d’argumentation scientifique : Observation. Hypothèse. Expérience. Résultat. Interprétation. Conclusion.
Aux côtés des familles
“Avec les familles, nous avons essayé d’expliquer ce que nous savions du rôle des pesticides. Nous les avons aidées à rencontrer la préfecture, qui nous a éconduits. Nous étions trop peu nombreux pour intéresser qui que ce soit.” Ils ont donc lancé un appel, “écrit sur un coin de table”. Puis, ils ont décidé de travailler pour faire de la prévention auprès des agriculteurs, de leurs familles et des consommateurs.
Un succès innatendu
L’appel fait mouche. 80 médecins le signent rien qu’autour de Limoges, puis d’autres, venus de presque tous les départements. Nous étions alors en 2013. Les autorités ignorent délibérément les données scientifiques qui montrent que la dispersion des produits au-delà des parcelles traitées est réelle, et qu’un lien est établi avec certaines pathologies. Une expertise de l’INSERM montre, chez l’enfant dont la mère a été exposée aux pesticides à proximité de cultures ou encore lors d’un usage domestique, un lien – qualifié de fort – avec :
- les leucémies,
- les tumeurs cérébrales,
- les malformations congénitales,
- les troubles du neuro-développement.
Pour les pesticides, on considère alors que le groupe le plus à risque est celui des agriculteurs et de leurs familles. Mais côté perturbateurs endocriniens, c’est la population générale qui est concernée directement. Car, l’effet toxique ne dépend pas de la dose, mais du moment d’exposition (la grossesse et la période périnatale sont particulièrement à risque). Ajoutons les effets cocktails dont on ne sait rien, mais dont on se doute qu’ils ne peuvent être bénéfiques, et le risque s’accroît.
Un risque accru pendant la grossesse
“Les études de cohortes mères-enfants ont permis de caractériser les liens entre l’exposition professionnelle ou environnementale (c’est-à-dire en population générale) des mères pendant la grossesse et les troubles du développement neuropsychologique et moteur de l’enfant. Il est difficile de pointer des substances actives en particulier, mais certaines familles chimiques de pesticides sont impliquées, avec un niveau de présomption fort, notamment les insecticides organophosphorés et les pyréthrinoïdes, dont l’usage a augmenté en substitution aux insecticides organophosphorés.
Le lien entre les organophosphorés et l’altération des capacités motrices, cognitives et des fonctions sensorielles de l’enfant est confirmé et les nouvelles études sur les pyréthrinoïdes mettent en évidence un lien entre l’exposition pendant la grossesse et l’augmentation des troubles du comportement de type internalisé, tels que l’anxiété chez les enfants. […].
De plus, comme le montrent les études récentes d’expologie, ces insecticides, qui ont été à la fois utilisés en agriculture, mais également dans les sphères domestiques, induisent une contamination fréquente des environnements intérieurs.” peut-on lire dans le rapport de l’INSERM (lien en bas de page)
Pesticides -> études -> ordonnances vertes
L’INSERM avait montré le lien fort entre l’usage des pesticides et les cancers. Mais ce n’était pas tout, des liens avaient aussi été identifiés pour d’autres pathologies ou événements de santé avec une présomption moyenne. C’est le cas notamment pour la maladie d’Alzheimer, les troubles anxio-dépressifs, certains cancers (leucémies, système nerveux central, vessie, rein, sarcomes des tissus mous), l’asthme et les sifflements respiratoires, et les pathologies thyroïdiennes.
Les médecins ont réfléchi à la situation des générations à venir, dont l’exposition commençait dès la gestation.
Protéger les mères et les enfants avec des ordonnances vertes
Les médecins ont conçu ces ordonnances vertes afin d’anticiper les effets délétères de la consommation de produits agrochimiques. Produits plus ou moins transformés, cultivés dans des sols nourris aux intrants et contenants des métaux lourds, comme le cadmium ou des résidus de pesticides.
Une ordonnance verte a deux objectifs :
- Permettre une alimentation sans pesticides aux futures mères, car l’exposition aux pesticides est majoritairement et de très loin alimentaire.
- Assurer une sensibilisation auprès des futurs parents pour éviter l’utilisation de certains produits ou ustensiles pouvant contenir des perturbateurs endocriniens.
On devrait faire mieux
Les ordonnances vertes pour les femmes enceintes, c’est bien ! Mais le militant de longue date qu’est Pierre-Michel Périnaud aimerait que ce soit étendu au couple parental. Et, pour anticiper d’autres problèmes de santé, il imagine que cela pourrait concerner la population générale. Par cela il rejoint l’ensemble des expérimentations autour de la Sécurité sociale de l’Alimentation. Cette idée, proche de la Sécurité sociale de la santé, fait du chemin aujourd’hui dans les esprits, y compris au Sénat ou à l’Assemblée nationale. Elle constitue aujourd’hui une option systémique intéressante pour une transition agricole et alimentaire saine.
Car, si le système actuel, qui gaspille 30% de ce qui est produit, contraint à la fois les agriculteurs et les consommateurs, il faut inventer un nouveau modèle qui encourage chacun à des pratiques meilleures pour la santé comme pour le plaisir.