Il en a marre, Frédéric Stutz qui aménage et entretient au quotidien des jardins en Alsace (Les jardins d’Edwige). Il en a marre des cailloux et du plastique, des jardins tout pleins de galets, de pelouse artificielles. Marre de voir le vivant céder la place à des espaces morts ou quasi morts. Nous relayons son coup de gueule, deux ans après celui du pépiniériste breton, Didier Fogaras (Crea’Paysage). Bref, en deux ans, rien n’a changé… Et, pour Frédéric, ce ne sont pas les cours dispensés dans la plupart des centres de formation ou autres écoles qui vont changer la donne !
Un constat désespérant
“Vendre des cailloux et du plastique, c’est évidemment plus simple que de vendre du végétal et de la vie. Une tendance qui contribue au déclin de la biodiversité et de la vie du sol.”
Des cailloux et des plantes misérables
“Il y a quelques années, j’ai vu apparaître autour de chez moi des aménagements presque sans vie, fait de gabions, de cailloux de différentes couleurs sur toile horticole, le tout agrémenté de quelques misérables plantes, souvent des topiaires, et qui n’avaient surtout pas leur place dans ce milieu. Je me suis dit « c’est un effet de mode, ça passera rapidement ». Mais non, la mode est toujours là…
Le végétal, dernière roue du carrosse
“Malheureusement, j’ai vu parallèlement le niveau scolaire dans le domaine du paysage devenir de plus en plus catastrophique, jusqu’à mettre le végétal presque en dernière place.
Cette foutue tendance existe déjà depuis plusieurs années et, comme certains se sont mis à leur compte sans avoir appris correctement la vie du sol, les végétaux, la protection des plantes et toute la vie qui existe dans un jardin, pas étonnant que ces nouvelles entreprises s’orientent vers la simplicité du minéral.
Ainsi, au fur et à mesure, j’ai vu des pépiniéristes mettre la clé sous la porte et, en même temps, des vendeurs de minéral surgir à tous les coins de rue.
Même les grossistes en bâtiment ont développé leur gamme pour les paysagistes. Ils proposent des gazons synthétiques de toutes les couleurs, et les décors en plastique qui vont avec.”
Même plus envie de faire de la formation…
“L’idée de finir ma carrière en tant que formateur dans un CFA (Centre de formation d’apprentis) m’a traversé l’esprit, mais un ancien formateur m’en a dissuadé. Il m’a dit que je ne tiendrai pas longtemps avant d’être totalement dégoûté.
Je ne critique pas ces gens qui se donne du mal à transmettre des connaissances, mais les profs avec lesquels j’ai pu échanger le disent eux-mêmes : “L’enseignement, c’est devenu du grand n’importe quoi.”
Le premier ingrédient de nos projets doit être le vivant. Nous sommes être acteurs du changement pour un retour à des créations plus respectueuses de l’environnement. On en est parfois très, très loin, avec des aménagements stériles en réponse à des clients qui ne veulent pas – trop – de plantes… pour ne pas avoir à entretenir !
Cette situation me dépasse. Les gens sont de plus en plus inquiets du déclin de la biodiversité, mais ils préfèrent de l’artificiel sans entretien autour de leur maison.
J’arrête de prendre des apprentis !
“Je ne souhaite plus accueillir d’apprentis, tant qu’il n’y a pas eu de vraie réforme de l’Éducation nationale. Le programme plus qu’allégé qu’on enseigne actuellement aux jeunes montre bien l’incompétence et la simplicité de proposer du tout minéral dans les jardins.
Les entreprises qui proposent encore des réalisations de jardin dignes de ce nom sont de plus en plus rares. Une grande partie des professionnels du paysage ne savent même plus ce qu’est une plante et tapissent le moindre m² de bâche en plastique et de cailloux venus de l’autre bout du monde.
Sans parler des autres aberrations comme les gazons synthétiques et les tailles d’arbres en porte manteaux, et j’en passe, car la liste est malheureusement bien trop longue.
Non, je ne suis pas un illuminé !
“J’ai une vision environnementale du métier et ma lutte est quotidienne pour essayer de laisser un semblant de nature à mes enfants.
Malheureusement, je passe auprès de certains de mes confrères pour un illuminé, surtout quand je critique les produits et les techniques néfastes à notre planète.
J’espère que la filière du paysage, l’UNEP pour ne pas la citer (Union Nationale des Entreprises du Paysage) va enfin décider de vraiment travailler avec le vivant. Mais il sera sans doute un peu tard par rapport à ce qui restera de vivant sur cette Terre…”