Une deuxième vie pour le bois : faites tourner !

Benjamin Buisson
©Benjamin Buisson

Benjamin Buisson est tourneur sur bois, spécialisé dans le tournage du bois vert. Installé en Isère à La Tour-du-Pin, il a commencé par s’essayer sur du bois destiné au chauffage. Et même s’il a diversifié ses approvisionnements, la récup’ reste un art à part entière.

Je suis un adepte de la deuxième chance. J’ai eu une deuxième chance dans ma vie et je donne au bois une deuxième vie. C’est pour ça que j’ai appelé ma société « L’Esprit du Phénix ».

HF : une deuxième vie ?

Je suis un ancien militaire. J’ai ensuite été charpentier pendant 15 ans. Je commençais à fatiguer quand j’ai vu un reportage dans la petite lucarne. On y voyait un tourneur sur bois ramasser un morceau et le transformer en bol. J’ai trouvé ça magique. Et je suis tombé amoureux de ce métier-là. C’était il y a deux ans.

Pièce de bois en train d'être tournée
©Benjamin Buisson
Benjamin Buisson, tourneur
Benjamin Buisson ©Isabelle Vauconsant

HF : vous vous êtes formé en deux ans ?

J’ai suivi une initiation de quelques jours. Ensuite, j’ai bossé. J’ai tourné des pièces dans mon atelier. J’ai appris tout seul, en regardant des photos et en essayant de copier, cinq heures par jour, pendant deux ans. Je vais être honnête. Je n’avais même pas l’impression de travailler. C’était plutôt comme une addiction, quelque chose qu’on n’arrive pas à arrêter.

Ça se passe devant les yeux : les copeaux tombent à toute vitesse et quand on enlève de la matière, ils s’envolent et c’est fascinant. L’émergence de la forme, c’est féérique. Mais attention, lorsqu’on a trop enlevé, pas de retour en arrière !

HF : Pour une deuxième vie, a-t-on besoin de conseils ?

Bien sûr, j’ai un mentor que je peux appeler quand je veux au téléphone. Et puis, plus récemment, comme je me suis donné pour mission d’apprendre une nouvelle technique chaque année, j’ai rencontré quelqu’un qui me guide et m’aide à progresser.

HF : Une deuxième vie, c’est bien. Mais, comment a réagi votre entourage quand vous avez décidé de changer de métier ?

Ma compagne ne voulait plus que je monte sur les toits, mais j’étais charpentier. Et puis mon dos tirait un peu et j’avais dû prendre du repos. Chez elle, il y avait une grande grange de 400 m2 et j’ai vu ce reportage. Ça a été le déclic, mais je doutais de réussir à apprendre ce métier. Elle m’a poussé, soutenu et c’est très important. Et puis, mon père et ma belle-mère nous ont aussi encouragés.

Sans eux, je n’en serais pas là, ce serait devenu un loisir peut-être, un petit tour de temps en temps ! Nous travaillons tous les deux chez nous, elle dans son élevage de chiens, comme agricultrice, et moi bientôt comme artisan : il faut trois ans d’activité.

saladiers en bois
©Benjamin Buisson
production de bois tourné
©Benjamin Buisson

HF : Qu’est-ce qui vous a semblé le plus surprenant ?

Peut-être est-ce de découvrir qu’alors que je croyais connaitre le bois, j’avais tout à apprendre !

Il a fallu que j’apprenne à reconnaître les essences, à respecter le sens de la fibre du bois, le fil comme on l’appelle, et les temps de séchage qui sont très importants. Le bois peut éclater s’il sèche trop vite.

HF : Comment trouvez-vous le bois ?

Je me fournis chez un exploitant agricole qui vend du bois de chauffage. Il a quelques parcelles de terrain qui ne sont pas exploitées depuis 50 ou 60 ans. Grâce à cela, j’arrive à trouver de très gros troncs de sorbiers ou de pommiers. C’est une vraie chance. La récup’ aussi est très importante.

HF : Travaillez-vous toutes les essences ?

De préférence, tout ce qui est autour de chez moi. J’aime tout particulièrement le noyer noir d’Amérique. J’en ai trouvé quinze à la date d’aujourd’hui, parce que c’est une essence rare en France. C’est un noyer très tendre. Mais tous les bois sont agréables quand on tourne en bois vert . Et, c’est plus facile qu’en bois sec.

 

pièce de bois tournée
©Benjamin Buisson

HF : Comment avez-vous appris à choisir ?

L’agriculteur qui me vend certains bois m’a donné des astuces.

On a discuté de la manière dont il faisait sécher ses bois parce qu’ils n’étaient pas fendus. Or, il sèche depuis des années. Il m’a appris la coupe en vieille lune, lorsque la sève ne monte plus. C’est en Lune descendante que la période est la plus propice quand la Lune encourage l’eau à rester dans le sol. Quand le bois va commencer à sécher, il y a moins de pression dans la fibre.

De fil en aiguille, je me suis rendu compte qu’il avait des essences intéressantes ; et certaines utilisables en alimentaire.

pièce de bois
©Benjamin Buisson
saladier en bois tourné
©Benjamin Buisson

HF : Pourquoi vos objets sont-ils souvent destinés à la cuisine ?

Ce que je préfère tourner, ce sont les saladiers. Et plus ils sont gros, plus j’aime ça. Trouver les arrondis ou les courbes surtout, qui vont aller avec le veinage final, c’est là qu’est l’intérêt. Mais bien sûr un saladier, on y met des produits alimentaires. Un arrêté, qui devrait être bientôt modifié, régit les bois utilisables.

Cet arrêté, pris après avis du Conseil supérieur d’hygiène publique de France et de l’Académie nationale de médecine, donne une liste de  bois (essences) dont l’emploi est autorisé pour la fabrication des instruments de mesure et des récipients mesure qui sont en contact direct avec des denrées alimentaires. Il semble qu’il y ait des incohérences à remettre à plat. Pour les solides alimentaires : le noyer, le hêtre, l’orme et le peuplier sont autorisés. Et pour tout type d’aliments : le charme, le châtaignier, le frêne, le robinier et le chêne qui pourtant contient des tanins très actifs. Mais les fruitiers n’y figurent pas contre toute attente !

HF : Comment creusez-vous les vases ?

Depuis janvier dernier, j’ai découvert la technique pour creuser derrière une ouverture resserrée. Je peux donc faire des vases. J’ai acquis un outil spécial. Puis, j’ai dû apprendre à l’utiliser et ce n’est pas simple. On appelle ça du creusage à l’aveugle, c’est une technique qui repose sur les qualités artistiques plus que sur la technique pure. Il faut imaginer la cavité et la forme sans la voir.

pièce de bois tournée
©Benjamin Buisson
vase en bois tourné
©Benjamin Buisson

HF : Comment réagit le public face à cet artisanat qui est à la fois moderne et sans âge !

Très souvent, les personnes qui passent me disent que c’est très beau. Ça me conforte dans mes choix.

Quand ils découvrent que ce sont des objets du quotidien, ils sont plus contents encore. Ce sont des objets de service résistants, qui ne cassent pas comme la porcelaine ou la céramique, qui ont une âme double (la mienne et celle de l’arbre) et un design unique puisque je ne fais pas de séries.

Après, ça a un certain coût. Il faut compter 20 € pour un bol. Donc, tout le monde ne va pas s’offrir six bols à mettre dans sa cuisine. Mais, on est dans le domaine du plaisir, du cadeau, de ce luxe quotidien accessible. C’est aussi pour cela que je tourne de petites pièces moins coûteuses. Et puis, je propose des objets purement décoratifs. Et j’ai des idées à revendre !

Ce qui compte pour moi, dans cette deuxième vie, c’est d’émouvoir les gens.

Tous les soirs, quand j’éteins l’atelier, je vais dîner et je me demande déjà quel morceau de bois je vais couper le lendemain …

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