Les secrets du rouge cochenille

Isabelle Morand

Il existe au moins deux endroits sur la planète où les cochenilles sont traitées avec les plus grands égards. Au Mexique et sur l’île de Lanzarote, aux Canaries, on élève des Dactylopius coccus. On en extrait un colorant carmin utilisé pour teindre les vêtements ou des aliments. 

Le destin lié des cochenilles, des Opuntia et des Aztèques

Les opuntias, et notamment le figuier de Barbarie, sont les plantes-hôtes de la cochenille Dactylopius coccus. La culture de l’un et l’élevage de l’autre permettaient aux Aztèques et aux Mayas de teindre leurs vêtements et leur linge de maison de différentes nuances de rouge. C’est également une sorte de butin de guerre. Quand Moctezuma 1er, empereur de l’Empire aztèque au XVIe siècle, conquiert l’un après l’autre des territoires et des villes, il exige la livraison annuelle de centaines de couvertures teintes en carmin, et de sacs prêts de poudre de cochenille. 

L’empire aztèque disparait en 1522, deux ans après la mort de son dernier chef, Moctezuma II. Les conquistadors d’Hernan Cortès ont achevé leur sale boulot. À eux les richesses aztèques, parmi lesquelles nos fameuses Dactylopius coccus. Les cochenilles continuent d’être élevées sur place et l’on exporte le carmin. D’autres prennent le bateau, direction les îles Canaries où les élevages intensifs se mettent en place à partir de 1835. Des champs entiers sont consacrés à la culture des Ficus opuntia-indica sur les raquettes desquelles s’agglutinent des millions de petites bêtes blanches. 

champ de figuier de Barbarie ©pwmotion
champ de figuier de Barbarie ©pwmotion

Portrait de la bête femelle 

Pourquoi seulement de la femelle ? Parce que les mâles n’ont pas grand-chose à voir dans l’histoire à part assurer la reproduction. Ils restent accrochés au cactus, ne fichent rien du tout à part attendre les papattes croisées et leur maturité sexuelle. Quand ils l’atteignent, ils fertilisent les femelles et zou, fini, terminé… la mort les attend. 

Dactylopius coccus
Nymphes de cochenille ©Víctor Suárez Naranjo

Côté femelles, c’est tout autre chose : ça bosse, ça bosse. Je résume : elles aussi sont accrochées aux cladodes. Quand le mâle a assuré son job de reproducteur, elles se mettent à grossir, donnent naissance à une nymphe qui produit un pigment rouge. Il s’agit en fait d’un acide carminique qui permet à la nymphe de tenir les prédateurs à distance. Autre astuce pour se protéger : les nymphes accrochées aux cactus semblent couvertes de farine ou de sucre glace. Il s’agit d’une substance produite pour éviter le froid ou les grosses chaleurs (ce qui est plutôt le cas au Mexique et aux îles Canaries). 

L’élevage aujourd’hui des Dactylopius coccus à Lanzarote

Vous verrez beaucoup de champs à l’abandon, la faute aux colorants artificiels évidemment . Mais vers Mala et surtout à Guatiza (à côté du Jardin de cactus), de nombreuses parcelles sont encore cultivées. Et l’on continue à fabriquer du colorant rouge carmin naturel. Il existe aussi un petit musée où tout le procédé de fabrication est très bien expliqué. 

Les cochenilles femelles adultes sont décrochées des cladodes en gratouillant à l’aide d’une espèce de cuillère-louche. On laisse ensuite les cochenilles sécher pendant deux à trois semaines, puis on les stocke dans des sacs avant de les broyer. Puis l’acide carminique obtenu est chauffé dans de l’eau, et le tout est filtré. Enfin, la couleur est fixée par ajout de sulfate de fer ou de sulfate d’aluminium. L’utilisation de gouttes de citron ou de vinaigre permet d’obtenir des nuances plus ou moins pâles.

Les utilisations de ce colorant 100% naturel

-Cosmétique

-Colorant pour boisson et aliments.

-Teinture pour vêtements et linge de maison.

Bon à savoir : il existe une AOP “Cochinilla de Canarias” (enregistrée en février 2016 auprès de la Commission Européenne).

Le fameux colorant E120

Les étiquettes de nombreux produits mentionnent la présence d’E120. Quelque part, vous dégustez de la cochenille en mangeant des yaourts aromatisés colorés, des charcuteries, des produits transformés de toutes sortes, des sirops, des pâtisseries, des chewing-gums… L’acide carminique est en effet un des colorants naturels les plus utilisés. 

Kermes vermilio
Planche de 1715 ©wikimediacommons

La cochenille du chêne kermès

Une autre espèce de cochenille, Kermes vermilio, a été utilisée dans un lointain passé en Europe pour les mêmes propriétés. Là encore ce sont les femelles qui étaient séchées puis broyées pour obtenir du rouge écarlate. Tous les pays du bassin méditerranéen la cultivaient et en faisaient usage et elle a fait la richesse des drapiers de Montpellier. Les Égyptiens de l’Antiquité y avait déjà recours et la présence de son pigment a été découverte dans des peintures de grottes rupestres. Son élevage a décliné à partir du moment où Dactylopius coccus est arrivée en Europe et s’est éteint avec la mise au point des colorants de synthèse.

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