Pratiquant la photographie argentique depuis une vingtaine d’années, Veronica Mecchia nous charme par la beauté et la force de ses images où elle se met en scène au sein de la nature. Un panthéisme joyeux qui revêt parfois un caractère sacré. Prière, imploration ? Dans ses paysages, l’homme a désormais une place particulière, questionnant le monde et invitant à l’introspection. Entretien.
Hortus Focus : quelle place la nature occupe-t-elle dans ta vie?
Veronica Mecchia : la nature a toujours été présente chez moi. Depuis l’enfance. Tous les étés, nous allions dans la région de Trente d’où venait ma mère, dans le village de Prade, à côté de Castello Tesino. Avec ma sœur, nous passions notre journée à jouer dans les champs ou dans la nature sauvage, complètement librement. Il y avait des chèvres, des vaches, dans le village. Nous faisions aussi de grandes promenades dans la forêt avec mon père. On cueillait des myrtilles tout en faisant attention aux vipères…
Venant de la ville, je découvrais la Nature avec un grand N, dans toute sa splendeur. J’ai eu la chance aussi, enfant, de profiter à Milan d’un très grand jardin partagé avec des arbres. J’adorais les paulownias et j’y faisais des petits bouquets de marguerites.
Quand et comment as-tu introduit la nature dans ta photographie?
Pour les paysages, ça a commencé par des photos prises du train vers 1997. En Lombardie, notamment où lors d’un grand voyage, j’ai traversé tout le pays de Milan à la Sicile. Certains paysages me procuraient de grandes émotions qu’il fallait que j’immortalise. La fenêtre agissait comme un filtre entre l’homme et la nature. C’est peut-être là que s’est illustré pour la première fois, chez moi, le lien de l’être humain avec elle.
Ensuite, la Sicile a pris presque toute la place…
J’ai adopté cette région pour passer l’été parce que sa nature est très sauvage et sa lumière, très forte, est magnifique. Je m’y sens bien. C’est là, je pense, que j’ai développé un lien presque charnel avec la nature, avec ses plantes magnifiques : de très grands cactus, de très vieux eucalyptus. Je me rends souvent dans les monts Iblei où le paysage descend jusqu’à la mer. Il me fait vraiment rêver et quand je m’y trouve, je ressens intensément que je fais partie de la nature. J’ai fait aussi beaucoup de photos dans la réserve de Vendicari, à côté de Noto. On y entre à pied, comme dans un temple d’où le titre de ma série « La Nature est un temple » en hommage à Baudelaire.
Tu penses à son poème Correspondances, n’est-ce pas…
C’est cela. « La Nature est un temple où de vivants piliers/ Laissent parfois sortir de confuses paroles/ L’homme y passe à travers des forêts de symboles/ Qui l’observent avec des regards familiers »
Dans cette réserve naturelle, il y a cette notion d’une nature préservée. Et aussi sacrée. Au delà de me ressourcer et d’entretenir un rapport physique avec elle, j’entretiens un lien de plus en plus spirituel avec la nature. Quand je suis à son contact, je sens que je fais partie d’un tout, que nous sommes tous des êtres vivants et que nous ne faisons qu’un.
Dans tes photos, tu te mets en scène habillée ou nue. Quel sens donnes-tu à cela?
À mesure que progressait mon travail, j’ai eu de plus en plus besoin d’introduire un élément humain et d’entrer moi-même dans le cadre de mes photos. Pour habiter le paysage, dialoguer avec les plantes… Moi : parce que je vis la chose comme une petite performance même si je suis toute seule quand je prends la photo. Après avoir étudié le cadrage, je mets le retardateur et en très peu de temps (10 secondes), je rentre dans le champ sans que rien ne soit vraiment prémédité. Ce moment est très fort pour moi. J’y vis vraiment l’instant présent, il est comme un moment de méditation, de pleine conscience.
Qu’apporte le fait que tu travailles en argentique?
Cela fait que je ne découvre l’image que beaucoup plus tard, un ou deux mois après, quand je suis rentrée. Parfois je suis très surprise comme si quelqu’un d’autre avait pris la photo. Elle me donne l’impression d’une œuvre chorale à laquelle toute la nature a participé. Quand je fais la photo, je suis entourée d’animaux, de lézards, de fourmis, de cigales qui font beaucoup de bruit… C’est comme s’ils avaient tous participé. Cela augmente encore ma gratitude envers cette nature très belle, généreuse, vivante. La nudité dans la nature, c’est aussi comme un retour aux origines, comme une naissance.
Ta dernière exposition à la Sorbonne, l’été dernier, où pour la première fois tu as exposé de grands formats, s’intitulait Terra…
L’idée de la commissaire était de mettre l’accent sur le lien que j’entretiens avec la terre mère. Cette terre féconde, qui nous nourrit et que l’on oublie et martyrise de plus est plus. Donc, si je peux, je suis heureuse de transmette cette notion d’émerveillement, de gratitude et de respect. Si on entretient un lien spirituel avec la nature, si on fait corps avec elle, alors pourquoi la blesser, la détruire, ne pas la respecter? Quand on entre dans une église ou dans un temple, ce n’est pas pour le détruire. La nature est notre temple, mais on l’a oublié.
Les fleurs ont une place particulière dans ta photographie?
Depuis presque vingt ans, je les associe à la notion de vanité dans une série, Vanitas, que je poursuis toujours. Les fleurs sont un des éléments les plus éphémères de la nature. Et une fois qu’elles sont coupées, dans un bouquet, elles durent encore moins. Elles meurent devant nos yeux. Comme dans les tableaux de natures mortes, je les ai associées à une bougie qui se consume, à une guitare renversée (symbole de mort à l’époque baroque), à un miroir évocateur d’un autre monde.
Je les ai associées aussi au corps humain, car il y a quelques années j’avais un rapport assez douloureux au côté transitoire et éphémère de la vie. Grâce à la photographie et aux philosophies orientales, j’ai dompté ma peur. Et je célèbre avec joie aujourd’hui la notion d’impermanence.