La bambouseraie en Cévennes est un site unique en Europe ! Déambuler entre des bambous géants, quoi de plus dépaysant et apaisant ? Un lieu engagé, de plus, dans une démarche zéro phyto. Interview de Muriel Nègre, propriétaire du parc, et Rodolphe Bourdin, directeur technique.
Hortus Focus. Un peu d’histoire d’abord ? Qui a créé la bambouseraie des Cévennes et pourquoi ?
Muriel Nègre. C’est un enfant du pays, Eugène Mazel, passionné d’horticulture qui a installé les premières plantes en 1856. Il est mort ruiné. En 1902, Gaston Nègre a acquis le domaine. Puis mon père, Gaston, a repris la Bambouseraie. J’ai commencé à y travailler en 1976, j’en assure seule la direction depuis 2004. J’ai souhaité à cette date l’ouvrir sur les arts, à travers des expositions et des soirées musicales, l’été.
Quels sont les principaux espaces du parc ?
Muriel Nègre. Tout est structuré autour des bambous, le parc en comprend 200 espèces. Taillé en haie, le bambou japonais (Semiarundinaria makinoï) a permis la formation d’un labyrinthe très apprécié des enfants. Les bambous poussent aussi au pied des séquoias plantés par Eugène Mazel et qui sont, sans doute, les plus âgés de France. Ils bordent notre village laotien. Ils constituent à eux seuls une forêt. Et, à l’ouest de la Ferme, poussent les bambous géants, ceux qui sont capables de grandir de 1 mètre en 24 h.
Comment entretenez-vous le domaine ?
Rodolphe Bourdin. Le travail, ici, est différent en fonction des saisons. Pendant la période d’ouverture, l’entretien est évidemment quotidien. L’hiver est consacré aux gros travaux sur nos 2 hectares. Il faut éliminer les bambous morts, penchés, fendus, cassés. Des élagueurs interviennent sur les grands arbres. On vérifie les haubanages. Il faut aussi nettoyer le canal à ciel ouvert qui court sur 1,5 km à travers le domaine… Les semaines avant l’ouverture, c’est comme préparer un TGV qui va rouler sans discontinuer pendant six mois et demi !
Que faites-vous de tous ces déchets ?
Rodolphe Bourdin. Depuis de nombreuses années, nous travaillons sur la récupération et de recyclage de nos déchets. Chez nous, le mot d’ordre c’est Zéro exportation de matière organique. Les feuilles, les branches sont broyées et réutilisées en paillage, en couvre-sol. Cela dynamise la vie du sol et conserve l’humidité. Mais nous conservons aussi des tronçons pour en donner à des écoles, des artistes, des associations… Et nous mettons aussi des pieds en vente dans notre boutique.
Comment empêchez-vous les bambous de cavaler partout ?
Muriel Nègre. On les laisse se mélanger dans certains coins seulement. Ailleurs, dans le parc, le piétinement des allées est l’ennemi des turions (ndlr : les bourgeons enterrés qui donnent naissance à de nouvelles pousses) et nous avons également quelques tranchées à ciel ouvert pour contrer le tempérament conquérant de nombreuses espèces. On coupe les turions, on passe la tondeuse aussi…
Vous avez mis en place une démarche zéro produits phytosanitaires. Où en êtes-vous ?
Rodolphe Bourdin. En 2014, nous sommes effectivement passés de la lutte raisonnée au zéro phyto. Nous avons commencé par travailler avec une entomologiste. Édith Muhlberger a observé les insectes, les auxiliaires, les ravageurs du domaine et nous sommes passés à l’action en installant plus de 400 nichoirs à insectes, fabriqués avec les matériaux disponibles sur le site, nos chûtes de bambous…
Quels types de nichoirs avez-vous installé dans la Bambouseraie en Cévennes ?
Rodolphe Bourdin. Pour limiter les populations de cicadelles de bambous (ndlr : ces insectes piquent les feuilles, ponctionnent la sève), nous avons fabriqué des nichoirs à chrysopes dans des tronçons de bambous fourrés de paille ou de gaine de bambou. C’est très efficace. Nous avons également installé des nichoirs de fagots de bois à moelle pour accueillir et protéger les cavernicoles comme les abeilles solitaires et les syrphes. Les résultats sont bons. Nous allons continuer à placer des nichoirs partout dans le parc. Pour les coccinelles, on laisse des zones moins entretenues et des plantes hautes comme des sureaux et des arbres de Judée.
Que faites-vous pour les oiseaux ?
Rodolphe Bourdin. Nous avons procédé à un inventaire ornithologique et, avec la LPO, installé des nichoirs aux meilleurs endroits. Et maintenant nous passons à l’inventaire mycologique. Pour en savoir plus sur leur interaction avec les auxiliaires.
Buis, palmiers… Comment travaillez-vous sur ces plantes sous la menace de la pyrale pour l’un et du charançon pour l’autre ?
Rodolphe Bourdin. Les buis font l’objet d’un contrôle renforcé et les pièges à phéromones sont d’une grande utilité. Nous avons perdu un ou deux palmiers sur 300 mais le traitement à l’aide de nématodes s’est avéré très efficace.
Muriel Nègre. Quand des plantes arrivent de l’étranger, elles sont mises en quarantaine pour repérer d’éventuels champignons et parasites.
Aucun “regret” de vous être engagés dans une telle démarche ?
Rodolphe Bourdin. Non, bien sûr ! Il faut juste se dire que la lutte bio prend du temps. Il faut être patient, bien cibler ses actions. Si nous pouvons le faire à la dimension du parc, chacun peut le faire chez soi et contribuer à l’amélioration de son cadre vie… et à la vie tout simplement.
Muriel Nègre. Je suis une admiratrice de la nature, j’adore communiquer sur la préservation de l’environnement. Il faut enclencher des actions pour renverser le cours des choses, inverser le temps. Je continue de croire à l’effet papillon…
La Bambouseraie en Cévennes, à Anduze, est ouverte tous les jours du 1er mars au 15 novembre.