Léonard Nguyen Van Thé est jardinier, paysagiste, poète et mène une démarche à la fois collective, militante et personnelle pour laquelle il voue une passion pour la botanique.
Quel est ton parcours et comment as-tu développé ton attitude de jardinier, paysagiste et poète ?
Dès l’âge de 10 ans, les plantes me passionnaient déjà. Mon père et mes deux grands-pères m’ont transmis ce goût. Mon grand-père paternel, entre sculpteur et architecte, avait d’abord conçu son jardin avant d’y construire sa maison. Il voulait un jardin breton, original.
Pendant les vacances, je l’aidais à tailler, à ajouter des fleurs et à récolter les graines. Je me souviens des fruits, des mirabelles, des raisins, et des murs en pierres sèches. Tous les Vietnamiens que je rencontre en France jardinent d’une manière particulière. Ils suivent le soleil et bricolent avec équilibre, un peu comme dans les jardins japonais.

À 15 ans, j’ai commencé à jardiner sérieusement. Je menais des ateliers au centre d’animation Clavel, dans un jardin en pleine terre. J’y avais découvert des dalles en pierre, que j’ai transformées en petites parcelles.
Je suis entré à l’école du Breuil jusqu’au BEP et au bac pro. J’ai beaucoup aimé son arboretum. C’était un espace d’apprentissage comme un immense livre ouvert, car tous les noms des plantes sont étiquetés.
Ensuite, je me suis intéressé à l’amélioration des plantes et aux technologies des semences dans un lycée agricole de l’Oise. Je voulais sélectionner des melons de Cavaillon et faire des . Finalement, je suis revenu aux plantes, car elles me permettaient de retrouver les jardins sans être contraint par les lois de la production alimentaire.

Quel est ton engagement vis-à-vis de la place des plantes en milieu urbain ?
Enfant à Cogolin, dans le Var, je déplaçais des cactus et me baladais avec des noyaux de mangue dans ma poche. Grâce à la chaleur de mon corps, je les faisais germer. Ma mère les retrouvait et les replantait. J’ai créé mon premier jardin chez mon grand-père maternel. J’ai creusé un coin de la cour, remanié le compost et la rocaille. En creusant, je cherchais des traces du passé, ce qui donne aux lieux leur poésie.
Chez ma mère, à Paris, j’ai cassé deux places de parking pour jardiner. Avec le compost que je fabriquais, j’ai commencé à cultiver. J’ai rencontré Gaby Bonnefille, fondateur du mouvement de guérilla gardening à Paris. Je l’ai suivi dans cette aventure. Les arbres ont grandi, et j’ai créé des prototypes de jardins avec du lino.
Ces jardins ont marqué un tournant entre art et jardinage. Une compagnie de théâtre y est même intervenue. J’ai ensuite créé d’autres jardins pour établir des continuités végétales. J’utilisais du fil de fer et des plaques de lino, comme des chenilles géantes. J’ai aussi cultivé des plantes dans des téléviseurs, des ordinateurs, des toilettes. Dans des bouteilles transparentes, je faisais germer des noyaux d’abricot. Un abricotier avait poussé dans la cour, et j’ai récupéré ses noyaux pour créer de petits abricotiers que j’offrais avec du lombricompost.
De plus, quand je suis intervenu à la Ferme du bonheur, j’ai démarré sans demander l’autorisation à personne. J’aide actuellement Roger Des Près sur le champ de la Garde.
Tu mènes des projets à la frontière entre l’art et la création de jardins. Quelles expériences ont été fondatrices de ces projets ?
Selon moi, la botanique et l’art sont très proches. Je sais reconnaître les œuvres d’un artiste de la même manière que je sais reconnaître les plantes d’une même famille.
Tu cultives à la fois une passion pour la botanique et pour la création de structures métalliques, de murs en pierres sèches. Comment définis-tu l’art du jardin ?
À la Ferme du Bonheur, le dimanche durant quelques heures, j’ai commencé à construire des murs en pierre sèche. Roger Des Près était assez admiratif et respectueux de cette technique. Il parlait un peu de la notion esthétique du beau et du caillou et de comment les gens mettent les cailloux de côté quand ils jardinent d’un côté les déchets et les pierres de l’autre.

Par ailleurs, lorsque je travaillais avec l’atelier d’architecture autogérée, Constantin Petcou m’avait dit qu’il faudrait travailler sur une espèce de gabion avec des matériaux recyclés et réemployés. Je trouvais ça assez bizarre d’enfermer des pierres dans des cages. Je me suis dit que cela pouvait être tellement beau si on pouvait les faire tenir sans cage. Ce qui m’a amené à travailler la technique de la pierre sèche, cette technique qui ne nécessite pas d’eau, pas de mortier, simplement le fait de pouvoir l’agencer. Cette méthode est finalement assez proche du jardin.
J’ai donné des stages des formations régulièrement. Après j’étais identifié par un réseau de spécialistes de la pierre sèche.
Récemment, tu as œuvré à l’aménagement du jardin du musée Soufi. Avec quelles plantes et quels mobiliers ?
Au départ, la directrice m’a demandé de planter des roses de Damas. Sauf que ces roses ne fleurissent qu’au printemps. J’ai alors planté des rosiers de Portland, des hybrides de première génération de Damas qui sentent bon.
Mes missions étaient découpées entre un diagnostic du jardin et de la conception paysagère. Ces jardins sont composés à la fois d’un jardin sur les senteurs, d’un jardin sur les plantes médicinales, d’un jardin sur les plantes d’Iran. J’ai collaboré avec Mortaza, chercheur, archéologue, qui s’intéresse énormément à la botanique du toucher, qui aimerait développer, depuis quelques années, une manière de reconnaître les plantes par le toucher.
Comment l’as-tu conçu ?
Je m’intéresse à la crypto toponymie, c’est-à-dire essayer de trouver dans des lieux, ce qui se cacherait derrière le nom. À partir de chaque plante, j’aime raconter une histoire.
Dans ce jardin du musée Soufi, je ne voulais rien jeter et j’ai fabriqué des bancs en matériaux de réemploi. J’ai également réalisé un grand mur en pierres sèches avec des motifs carrés. J’ai aussi refait cette forme en négatif et j’ai jardiné toutes les parties qui étaient aux abords de la bibliothèque souterraine. Ce qui m’a permis de faire apparaître des jardins en pleine terre.
Il y avait des rosiers en place qui étaient très mal en point. Je les ai nourris par amendement. J’ai apporté beaucoup de compost et ils se sont mis à refleurir.
Comment cultives-tu une pratique liée aux rencontres et aux collaborations ?
J’aime bien la co-création, la coédition. Je trouve ça plus stimulant. Souvent, je jongle avec l’univers associatif, militant et une pratique de création beaucoup plus personnelle.
Quels projets développes-tu en ce moment ?
Depuis 5, 6 ans, je donne des cours de jardinage, de greffe, de bouturage à des architectes pour des cours privés, notamment en travaillant au sein de l’agence Edouard François. Je diversifie mes activités pour compenser ce que je ne peux pas faire à certaines saisons.


