Bruno Veyrat a posé ses valises dans le hameau de Foury, dans le Tarn-et-Garonne. Au bout d’un étroit chemin encadré par les traditionnels murets des causses, il veille sur son jardin naturel, sauvage et tout doux. La parole est à ce jardinier aussi actif que contemplatif. Nous aimons Bruno et son univers.
De la Savoie au Tarn-et-Garonne
Je suis venu en vacances voilà trente ans déjà dans cette région, et je m’y suis senti tout de suite comme chez moi. La vie, les années ont passé, j’ai décidé de chercher une maison ici pour m’y installer définitivement. On est loin de mes Alpes natales que j’aime toujours autant, mais ma vie est ici aujourd’hui.
Un coup de cœur
Je suis tombé sous le charme de cette maison isolée. Les anciens propriétaires avaient des chevaux qui paissaient alors dans ce grand espace d’environ 7000 m2 où se trouvent ma maison, une grande grange, un ancien poulailler et des abris à cochons. J’ai aussi un champ d’un hectare derrière la maison. Côté végétation, il y avait juste un frêne, un très gros laurier-sauce, un murier et une viorne boule-de-neige qui a succombé après un épisode de sécheresse. Le terrain est légèrement en pente et se termine par mon potager.
Les sauvages sont toujours les bienvenues !
Oui, j’ai planté beaucoup et je plante encore, mais j’aime les plantes sauvages et les laisse s’installer pour les observer. Quand au printemps, le cerfeuil sauvage (Anthriscus sylvestris) forme des nuages blancs autour ou au-dessus des iris mauves, je suis ravi !
Chaque année me réserve des surprises : du lin, des bromes (Bromus), des fétuques élevées (Festuca arundinacea), des mauves, des carottes sauvages, du plantain. Les orchidées sauvages sont aussi de plus plus présentes. L’orchis-bouc (Himantoglossum hircinum) était là avant moi, mais elle a été rejointe par l’orchis pyramidal (Anacamptis pyramidalis).
Je suis fasciné par l’architecture des plantes sauvages, donc je laisse s’installer du salsifis des prés (Tragopogon pratensis) qui fleurit jaune ou violacé. Quant aux chardons, je n’arrive pas à les supprimer, je les trouve trop beaux ! C’est une flore que je ne connaissais pas…
Des iris un peu partout
Quand je suis arrivé, les iris ne fleurissaient pas, car plantés à l’ombre. Déplacés au soleil, ils se sont mis à fleurir, et à former de bonnes grosses touffes. J’ai découvert des floraisons mauves, violettes, blanches. J’ai aussi de beaux iris bleus prélevés dans le haut du jardin de mes parents en Savoie. Un tout petit bout de rhizome qui s’est plu ici et qui me fait penser à ma famille.
La cavalcade du grand mélinet
Au printemps, le grand mélinet (Cerinthe major ‘Purpurascens’) pousse dans les grands massifs devant l’ancien abri à cochons. Je ne connaissais pas cette plante avant qu’une jardinière m’en donne des graines. Je les ai semées à l’automne, ce qui n’est pas bien malin, mais, par chance, cet hiver, il n’a pas fait très froid et elles ont germé au printemps. Depuis, cette plante accompagne tous mes printemps. J’aime la couleur violet – bleu métallique des fleurs autant que les bourdons adorent les butiner dès qu’ils sortent de leur hibernation. Même si j’ai horreur d’enlever des plantes, j’ai été obligé de faire du ménage, il y en avait trop !
Plus de tondeuse !
Les anciens propriétaires m’ont laissé un tracteur de pelouse que j’ai utilisé quelques fois avant de le remiser définitivement. Je ne supporte pas l’idée de hacher menu les sauterelles, les épeires et toute cette vie qui grouille sous les roues de la tondeuse. Et puis quel intérêt de tout tailler façon gazon anglais ? J’ai vite constaté que j’empruntais toujours les mêmes chemins donc c’est complètement inutile de tondre partout. Maintenant, je fauche des chemins ou je tonds à l’hélicoïdale à hauteur réglable. Le reste demeure enherbé et pousse comme il veut tout en préservant la biodiversité et l’observer depuis mes sentiers. Cela me permet aussi de voir ce que pourrait être le jardin sans aucune intervention humaine.
Mon jardin en pyjama…
Chaque matin, avant de partir à son travail (je suis auxiliaire de vie scolaire) je suis le même rituel : je bois un verre d’eau, je m’habille et je vais faire un tour dans le jardin. Idem le week-end, mais comme je suis un peu rêveur, il arrive souvent qu’à 11 h, je réalise être toujours en pyjama dans le jardin avec des genoux tout terreux, car je me suis mis à jardiner…
Je peux être distrait par tout et n’importe quoi. Souvent, je pars dans la grange chercher un sécateur et je reviens avec un arrosoir ou un autre outil. Sur le chemin, je croise des cailloux à transporter ailleurs, mais le blaireau a déterré des plantes… Bref, pas de programme, je prends les choses comme elles viennent et sans culpabiliser une seule minute…
L’eau, un bien tellement précieux
Dans la région, la pluie peut être rare en été, voire totalement absente. Une année, il a plu seulement 15 mm entre juin et novembre. J’ai fait installer derrière la grange une citerne souple de 50 m3 qui récupère les eaux de pluie. Et au quotidien, je récupère toute l’eau possible, car je trouve absurde de prélever l’eau dans le milieu naturel et de la rejeter bêtement. Je récupère l’eau de la machine à laver, l’eau de la vaisselle. J’ai acheté une grosse poubelle, je l’installe dans la douche, je me lave dedans et cette eau repart au jardin.
Mon potager un peu particulier…
J’ai la chance d’avoir un grand potager dans le bas du jardin où la terre est riche et récupère l’eau de la pente. Je plante beaucoup de légumes, car j’aime planter et consommer mes productions. Mais comme j’aime aussi donner des légumes à des amis, faire plaisir, je ne parviens pas à être autonome ! Je suis un très mauvais potagériste en fait. Je trouve les artichauts tellement beaux que je ne parviens pas à les récolter pour les manger (rires). Je les laisse fleurir, et ne le regrette pas quand je peux y voir des cétoines s’en régaler. Chaque année, je prends une résolution : bon, allez, coupe-les et mange, et puis non leurs fleurs sont trop belles…
Je parviens quand même à cultiver et consommer des tomates, des carottes de couleur, des courges… Une année, j’ai planté des cucurbitacées dans un tas de crottin laissé par les anciens propriétaires. Elles ont été à la fête ! Je les regardais grimper dans des arbustes. J’ai eu des guirlandes de potimarrons, de courgettes longues de Nice. C’était intéressant de regarder leur comportement et de profiter de leurs couleurs.
Des liens affectifs avec mes plantes
Chaque plante ou presque fait naître des souvenirs, liés à des personnes ou des moments de ma vie. Dans le jardin, il y a un agave que j’ai rapporté minuscule de Grèce. Un autre vient de graines récoltées dans un jardin à Nice.
Un buis vient d’une branche cassée et que j’ai ramassée sur le roc des Bœufs, lors d’une randonnée dans les Bauges. L’Agave americana ‘Aureomarginata’ planté côté sud, je l’ai trouvé jetée dans un coin du parc de l’hôpital psychiatrique du Puy-au-Velay où j’allais souvent me promener. À l’époque, j’habitais un appartement au Puy, j’avais envahi le palier, le patio avec les plantes au grand bonheur des locataires…
J’aime les plantes depuis mon enfance
Petit, en balade avec mes parents ou en visite chez leurs amis, je glanais des trucs. J’avais toujours des graines, des bouts de plantes dans les poches. Les premières plantes que j’ai installées en douce dans le jardin : des cactus raquettes sans épine (Opuntia inermis), et des haricots semés dans les pots de géraniums et de pélargoniums de ma mère… Elle ne comprenait pas d’où cela pouvait venir puisque je ne disais rien.
Puis, vers 8-10 ans, j’ai commencé à récolter des plantes dans la nature. C’est en me promenant que j’ai découvert émerveillé le feuillage tacheté d’une orchidée (Orchis mascula). Je ne savais pas à l’époque qu’il ne fallait pas la prélever et la transplanter. En plus, je l’ai installé à l’ombre et au sec donc j’ai signé malgré moi son arrêt de mort…
Les années passant, ma passion pour le jardin et la nature s’est renforcée. J’ai investi le jardin familial. Ma mère me disait tout le temps : « Mais où vas-tu installer ça ? Il n’y a plus de place ! ». On avait du mal à se comprendre, car pour moi, de la place, il y en avait partout, et pour toutes les plantes…
La passion des agaves
J’ai toujours été fasciné par ces plantes. Je suis heureux d’avoir pu les installer dans mon jardin. Elles poussent le long de la maison, côté sud. Le sol sablonneux et sec leur convient parfaitement.
A. americana ‘Aureomarginata’ a pris de belles proportions, il m’arrive au niveau du nez et je fais 1,8 m. J’ai aussi un A. striata qui, à ma grande surprise, a fleuri en 2020. J’ai vu pousser et s’épanouir une espèce de lance avec des bractées un peu ondulées façon serpent vers le ciel. Il s’est dressé à 3 m ! Malheureusement, il n’a pas produit de graines… A. bracteosa, l’agave pieuvre, lui, n’a pas d’épines ; ses feuilles sont jaune-vert et souples.
L’amour des phlomis
Cette plante, je l’ai vue pour la première fois dans le jardin de la mère d’un ami à Amiens. J’ai tout de suite aimé le feuillage gris-vert, gris-bleu, vert-bleuté ou vert-doré. Le feuillage doré du P. lycia passe au tout doré en été. Celui du P. grandiflora lui devient quasi blanc quand il fait très chaud, on a envie de croquer dedans, on dirait du sucre ! J’en ai planté une douzaine d’espèces à fleurs jaunes, ou rose irisé de gris.
Ce sont des plantes formidables qui se débrouillent toutes seules ; elles peuvent rester plusieurs mois sans arrosage. Je ne coupe pas les inflorescences, les moineaux s’en nourrissent.