Et si vous tondiez plus tard, moins souvent ? Et si vous arrêtiez carrément de tondre systématiquement tout partout dans votre jardin ? Tondre tard, tondre en partie ou ne plus tondre du tout n’a que des avantages. Le point avec Eric Lenoir, auteur du Petit traité et du Grand traité du jardin punk.
Hortus Focus : une pelouse coupée régulièrement, c’est nul, inutile ?
Éric Lenoir : Ça dépend de la destination de la pelouse ! Une pelouse à Versailles, dans un jardin-musée, ça peut avoir du sens. Et quand on a un petit jardin, quand on a besoin de poser une terrasse, une table, des choses sans avoir de l’herbe jusqu’au genou, la tonte peut être nécessaire. Au Flérial, dans mon jardin de l’Yonne, j’ai utilisé la tondeuse pour tracer des allées et pouvoir circuler dans mon jardin. Il m’arrive encore de passer la tondeuse dans ces chemins, même si je privilégie le fauchage.
À mon avis, ce qu’il faut bannir, c’est la tonte systématique des endroits où l’herbe pousse. Cela n’a pas d’utilité la plupart du temps. Et je ne parle même pas des gens qui continuent de tondre leur pelouse jaunie pendant l’été. Je pense qu’ils devraient consulter rapidement leur toubib…
Si on arrête de tondre,
que se passe-t-il ?
Une pelouse non tondue peut paraître bizarre au début, peu esthétique, pas très riche en biodiversité. Quand elle va prendre un peu de hauteur, vous allez voir réapparaître des fleurs que vous ne pouviez pas voir évidemment jusque là.
En été, l’effet de captation de l’air sera très important. Les grandes herbes font office de filets à rosée, elles empêchent les rayons du soleil de frapper le sol. Il y aura plus de champignons dans le sol, et la capacité de ce même sol à ne pas trop s’évaporer sera accrue.
Que peut-on observer dans des herbes non tondues ?
Dans une pelouse non tondue, on risque de voir apparaître des plantes qu’on n’espère pas voir et même des plantes qu’on n’a pas du tout envie d’avoir. Dans une prairie non tondue, les plantes pionnières comme les bouleaux, les saules, les ronces peuvent s’implanter facilement. On peut les arracher ou les faucher. On peut aussi voir des plantes qu’on n’aime pas tout simplement. Dans ce cas-là, enlevez-les. Ou oubliez que vous ne les aimez pas, et prenez le temps de les observer.
Pourquoi recommandes-tu de creuser des sillons dans une prairie ?
Semer des fleurs ornementales pour faire une jolie prairie fleurie, ce n’est pas très intéressant pour les abeilles domestiques ou les pollinisateurs locaux. Il vaut mieux creuser des sillons, retourner un peu la terre pour permettre à de vieilles graines de remonter et de germer. Vous verrez alors revenir à la vie de nombreuses espèces végétales prisées par la petite faune et les espèces locales pollinisatrices.
Tu parles beaucoup de grandes prairies, de grands espaces. Et si on a qu’un petit jardin, on fait quoi ?
Dans un petit jardin, il faut se poser une seule question : « Qu’est-ce je peux concéder à la nature ? ». Observez, regardez, voyez ce dont vous avez vraiment besoin ? Un endroit pour poser une table, des chaises ? Vous n’avez sans doute pas besoin de couper l’herbe partout même dans un petit espace. Des coins non tondus sont autant d’oasis pour les insectes et les oiseaux. Ils y trouveront à manger et à boire.
La petite osmie, par exemple, cette petite abeille de rien du tout et pourtant bien plus utile à la pollinisation qu’une abeille domestique, y trouvera peut-être la fleur dont le nectar l’intéresse et dont la tonte l’aurait privée.
Peut-on installer des plantes vivaces dans une prairie ?
Oui, évidemment, rien n’empêche la plantation de plantes ornementales vivaces. On peut avoir de grandes marguerites, des salicaires, des fleurs de coucou… N’oubliez pas non plus le plantain qui, d’accord, fait de grosses rosaces au sol, mais intéresse de nombreuses espèces. De plus, il est comestible.
Quels animaux reviennent-ils dans de l’herbe non tondue ?
Tout dépend de la région dans laquelle on vit. Dans le Sud, dans un grand terrain, on peut voir la perdrix bartavelle. Dans le Nord viendront peut-être à nouveau se promener des perdrix grises. Les rousseroles effarvattes, les chardonnerets et de nombreux autres oiseaux adorent venir s’y balader, picorer les graines (surtout en hiver). Les papillons viennent y butiner.
On va aussi pouvoir y rencontrer des reptiles. Cela ne plaît pas à tout le monde, mais les orvets, les couleuvres sont précieux dans la chaîne alimentaire. Ils vont pouvoir trouver dans cette herbe non tondue le gîte et le couvert, contribuer à l’équilibre naturel du jardin.
Cette année, dans mon jardin, j’ai vu une vipère. L’an dernier, j’en avais tué une justement en passant la tondeuse, j’en étais malade. Les vipères participent à la régulation des populations de lézards, de musaraignes, de mulots et de campagnols. C’est vrai qu’une vipère peut mordre et qu’il s’agit d’un serpent venimeux, mais elle n’aime pas la proximité des humains et préfèrera toujours fuir leur présence.
Souvent, les gens imaginent que laisser une zone libre dans un jardin amène forcément à l’installation de la « vermine » pourchassée, éradiquer depuis des décennies, voire des siècles. La réalité, c’est que plus on a de biodiversité dans un jardin, moins on a de « vermine ». Le retour potentiel de « vilaines bestioles » est encore ancré dans notre inconscient collectif. À chacun de dédiaboliser ce retour. Quand on ne tond plus, les problèmes de pucerons sur les rosiers s’éloignent. Ils servent de gros casse-dalles aux syrphes, aux coccinelles, aux forficules. Essayez de ne tondre que l’indispensable et vous verrez toute cette vie revenir dans votre jardin.
“Le Grand traité du jardin punk” et “Le Petit traité du jardin punk”, de Éric Lenoir, éditions Terre Vivante.