L’arboretum Marcel Kroënlein par Michèle Ramin

L’Arboretum Marcel Kroënlein, situé à Roure dans les Alpes-Maritimes, est constitué d’une collection de feuillus et de conifères des Alpes et d’autres montagnes du monde. Il est le seul arboretum de montagne dédié à l’art. Ce qui en fait un site remarquable au croisement de l’expérience scientifique et artistique.

Un arboretum d’altitude

HF : Quelle est l’origine de l’arboretum ?

Michèle Ramin : En 1987, je rencontre sur le lieu même qui allait devenir « Le Site » Marcel Kroënlein, à l’époque directeur du jardin exotique de Monaco. Je lui confie mon désir de mettre en valeur la beauté et les richesses naturelles de cet endroit. Il me conseille alors de créer un arboretum dont il a été le conservateur jusqu’à sa disparition en 1994. Je lui ai succédé durant plus de 30 ans. Aujourd’hui, c’est Jean Mus, célèbre architecte de paysage qui préside.

Quelle est sa particularité ?

Par 44°6’ latitude Nord & 7°5’ longitude Est, l’arboretum surplombe la Vallée de la Tinée, en lisière du parc National du Mercantour. Nous sommes à 1h30 de Nice et à 3h de Gênes. L’arboretum s’étend sur 20 hectares entre 1280 m et 1800 m d’altitude. Il rassemble les arbres de l’étage montagnard, sur une pelouse préalpine étagée, originelle, n’ayant subi aucune action anthropique.

Arboretum du Roure • Michèle Ramin
Arboretum du Roure • Michèle Ramin

Parmi tous les départements français, les Alpes-Maritimes bénéficient d’une des flores les plus variées et de tous les étages de végétation, de la mer à la montagne. C’est un véritable carrefour biogéographique. Le lieu offre de nombreux biotopes et microclimats qui permettent à d’abondantes espèces végétales méditerraneo-alpines de se côtoyer.

Arboretum du Roure • mer de nuages
Arboretum du Roure • mer de nuages de l'arboretum • @Niky

Des collections remarquables
et une diversité de missions en relation
avec les enjeux écologiques

HF : Quelles sont ses collections ?

Michèle Ramin : Les feuillus et les conifères des montagnes du monde, dont les arbres rares et en voie de disparition. Nous avons dédié en hommage à Marcel Kroënlein l’aire des succulentes de montagne, ces « sempervivum » qui signifient « qui ne meurent jamais ».

Dans la zone xérophile, les essences existantes sont mises en valeur. Dans la zone riche, centrale, les arbres d’altitude ont été introduits. Nous faisons également fructifier une collection de rosiers, représentant 24 espèces sur les 28 que la France recèle, des fruitiers anciens, des pommiers, des poiriers et des pruniers plus un potager d’altitude expérimental en permaculture.

L’espace étagé avec une pente régulière vers un sommet à 1850 mètres d’altitude est dévolu en partie à une forêt en libre évolution pour les générations futures, sous notre regard attentif et bienveillant.

Arboretum du Roure • Grands mélèzes et pergola du potager
Arboretum du Roure • Grands mélèzes et pergola du potager ©arboretum

HF : Quelles sont ses missions ?

Michèle Ramin : L’arboretum a pour mission la sensibilisation à la préservation de l’environnement et la protection du patrimoine arboré des Alpes-Maritimes. Il est aussi un lieu de protection et d’observation des arbres des montagnes du monde. C’est un lieu expérimental qui rassemble les espèces rares, disparues ou menacées d’extinction dans leurs pays d’origine suite aux catastrophes climatiques.

Nous protégeons, entretenons, développons les 20 hectares de montagne protégés par un bail emphytéotique de 99 ans. Et nous rassemblons au fil des ans le patrimoine arborescent de montagne tout en protégeant sa biodiversité.

HF : Pouvez-vous détailler ?

Michèle Ramin : Notre mission a trois piliers : écologie, climat et biodiversité. La lutte contre les effets du changement climatique, la protection environnementale et l’écologie sont prioritaires. Depuis plus de 30 ans, le climat était déjà un vrai sujet. À l’époque, les scientifiques le nommaient « Études et observation de changements avérés sur les espèces arborescentes ». De ce long travail a résulté la découverte des qualités de certains arbres autochtones auxquels nous apportons un soin particulier, car ils seront la ressource de demain. En effet, dès la fin des années 90 et afin de lutter contre les calamités climatiques (tempêtes, ouragans, pluies torrentielles, inondations, perte des sols, milliers d’arbres déracinés, incendies gigantesques) l’arboretum recueille, introduit, rassemble, protège, sème et redonne aux pays l’ayant perdu, une partie de leur patrimoine végétal et les arbres adaptés au climat de demain.

Lycée de la Montagne
Lycée de la Montagne ©arboretum

HF : Donnez-nous un exemple !

Michèle Ramin : Le Wollemia nobilis, que l’on croyait disparu depuis l’ère secondaire, a été retrouvé dans les gorges d’Australie et ses graines trans­mises à divers conservatoires. Aujourd’hui quelques sujets se développent sur l’arboretum et leurs graines sont collectées pour le futur. Même histoire pour le Cyprès de Duprez (Cupressus dupreziana) ou Cyprès du Tassili, arbre remarquable pour sa résistance au climat hyperaride.

Une étude anthracologique réalisée par le Dr Thinon, Anthracologue, (recherche de charbons végétaux microscopiques) est en cours, elle nous permettra de déterminer les arbres qui poussaient sur ce territoire il y a 1000 ans ou 500 ans.

L’anthracologie est la science des charbons de bois.
Elle détermine les essences d’arbres dont ils proviennent.
Ces données fournissent des informations sur les végétaux présents à une époque donnée
et sur leur évolution au fil des siècles.

Nous menons également des actions pédagogiques, culturelles, environnementales et sociales. Cela conduit  certaines personnes, le lieu s’y prêtant, à prendre conscience de leurs propres ressources.

Un arboretum lié à l’art

HF : Comment s’est développée la relation à l’art ?

Michèle Ramin : En 1990, j’ai évoqué à Marcel Kroënlein mon souhait de faire intervenir des artistes dans le respect de la nature.  Les œuvres offraient une autre dimension au site. J’ai contacté des artistes de l’école de Nice. Ben a répondu le premier par cette expression « Pas de vie sans arbre ». Nous avons accueilli également Arman, César, Cartier. Puis Jean-Michel Folon, Jean Marais, Ousmane Sow, Adami, Slobodan, Michel Lis et Sosno. Shiryu Katayama. Koshun Nishigaïto & Doken Kouno calligraphes sont venus donner des cours de calligraphie depuis le Japon jusqu’à l’arboretum. Des maîtres d’art sont devenus les ambassadeurs à chaque exposition. Certains ont offert à l’arboretum les droits de leurs œuvres sur des cartes de collection et papiers précieux, signées, au bénéfice des arbres. Ces cartes postales originales sont remises aux visiteurs en guise de ticket d’entrée.

Anthropolithe de Louis Dollé • Arboretum du Roure
Anthropolithe de Louis Dollé • ©Arboretum du Roure

HF : Pouvez-vous évoquer l’exposition itinérante « no-made » ?

Michèle Ramin : En 2003, sur les conseils d’un ami libraire à Monaco, j’ai rencontré Denis Gibelin, président d’un collectif d’artistes dans le sud-est de la France. Il m’a présenté son exposition à Cap d’Ail sur la Côte d’Azur. Je l’ai invité à créer une passerelle entre « Mer & Montagne », richesse des Alpes-Maritimes, et à venir travailler sur le site avec d’autres artistes. Les artistes régionaux puis internationaux ont été sensibles au projet proposé.

inflorescence de mélèze
inflorescence de mélèze • ©Arboretum du Roure

HF : Pourquoi ce nom ?

Michèle Ramin : Le nom « no-made » a été choisi en référence à Marcel Duchamp. IL évoque ce qui n’est pas fini, les œuvres étant confiées aux éléments naturels. Les artistes ont accepté que leurs œuvres soient re-sculptées par la nature. En 2024, la forêt de pins sylvestres a subi plusieurs tempêtes, les plus vieux arbres ont été déracinés et ont fait tomber quelques œuvres. On a informé les artistes que certaines de leurs œuvres devaient être restaurées. Celles qui n’ont pas survécu ont été démontées, cette période correspond à la prise de conscience des artistes de l’importance de ne plus utiliser des ressources finies.

Une trentaine d’œuvres font actuellement partie de la Collection permanente de l’arboretum.

HF : Y a t-il une suite à ce projet ?

Michèle Ramin : Désormais, les artistes invités répondent à l’appel à projet annuel lancé par Denis Gibelin ou font des résidences de création à l’arboretum. Leurs œuvres sont toujours peaufinées par la nature.

Le Prince Albert II de Monaco soutient ce projet. Il nous accorde son haut patronage et sa présence effective lors des vernissages chaque premier week-end d’octobre. Le prétexte « art & science » favorise la venue de visiteurs.

En 2024, la nouvelle orientation artistique est menée au titre « du territoire partagé à la non-intervention ».

Dans la carpothèque, sont exposées les créations d’artistes no-made tels que Anne-Sophie Viallon, Magali Benso, Florent Testa. Toutes les autres œuvres sont en extérieur.

Arboretum du Roure • Autour du Chalet de l'arbre & Land'art
Arboretum du Roure • Autour du Chalet de l'arbre & Land'art ©arboretum

Des actions de développement pour l’avenir

HF : Quelles sont les perspectives pour l’arboretum ?

Michèle Ramin : Pour les 30 ans de l’arboretum, le docteur Sandoz, président du Comité scientifique* nous a fait la surprise d’une lecture originale des éléments majeurs du monde à partir d’une coupe de mélèze âgé de deux siècles : Le Dendrochronoscope. Il est abrité dans Le chalet de l’arbre.

Un autre chalet accueille :

  • La Xylothèque, don d’échantillons de bois d’un ébéniste, M. Brelaz, représentant 40 années de travail.
  • La carpothèque conserve les fruits de résineux du plus petit au plus gros cône que Marcel Kroënlein avait préservé. Un tronc de balsa se révèle également très intéressant. De même que des coupes d’arbres rares provenant de la collection d’un Muséum d’Histoire Naturelle.

HF : Quel est le peuplement de l’arboretum ?

Michèle Ramin : L’Arboretum de Roure est constitué à majorité d’un peuplement forestier mixte de Mélèzes (Larix decidua) et de Pins sylvestre (Pinus sylvestris). Le site est inclus dans la ZNIEFF de type 2 « Forêt de la Fraccia-Montagne de l’Estrop ». Il est situé à proximité du site Natura 2000 du Massif du Lauvet d’Ilonse et des Quatre Cantons – Dôme du Barrot – Gorges du Cians.

Par son rôle de conservatoire des arbres de montagne, l’arboretum assure non seulement la préservation des nombreux arbres, mais également la préservation de la forêt subnaturelle présente sur le site. Les arbres du monde entier y ont été plantés à des fins de recherches scientifiques. Cet habitat forestier accueille de nombreuses espèces patrimoniales qui jouent un rôle non négligeable dans le maintien et le fonctionnement de l’écosystème forestier montagnard.

HF : Comment est piloté l’arboretum ?

Michèle Ramin : L’Arboretum de Roure est composé d’un comité scientifique* de 12 éminents docteurs en sciences et spécialistes des sciences naturelles. Ils œuvrent aussi bien à la protection des espèces introduites qu’à l’observation des essences autochtones. Leurs travaux seront une réponse aux problèmes climatiques avec « les arbres de demain ».

Notre structure loi 1901 reconnue d’intérêt général, a le soutien de 420 adhérents. Elle bénéficie des labels nationaux « Jardin Remarquable », « Qualité Tourisme » & « Mercantour écotourisme ». Nous développons cet arboretum de l’étage montagnard au travers d’activités pédagogiques, culturelles, scientifiques, sociales, touristiques et artistiques. Et nous sommes fiers d’être le seul arboretum d’altitude européen lié à l’art.

HF : L’Arboretum de Roure a-t-il la mission de refuge planétaire des arbres du futur ?

Michèle Ramin : Compte tenu de l’impermanence de notre nature humaine, je prépare la transmission du devenir, vers une structure exceptionnelle, de l’Arboretum Marcel Kroënlein dont la valeur, au-delà de son patrimoine naturel et sensible, s’élève à 2 millions d’Euros

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