Philippe Grandcolas nous a parlé de biodiversité dernièrement. Aujourd’hui, l’écologue se penche sur le jardin et les jardiniers. Car qui mieux que les jardinières et les jardiniers peut contribuer à la biodiversité dans un grand nombre de ses dimensions. Les jardins sont nombreux, créent des corridors et permettent de réduire la pression des humains sur la biodiversité tout en participant à la préservation du climat.
La France compte dix millions de jardins privés sur un million d’hectares environ, soit quatre fois la surface des réserves naturelles en métropole ! D’après les chiffres de France Agrimer, 21,6 millions de foyers en France possèdent un jardin ou une terrasse. Ajoutons les plantes d’intérieur, on pourrait penser que le végétal est présent dans presque tous les foyers de l’Hexagone. C’est plus que les animaux domestiques que l’on retrouve dans un foyer sur deux.
Philippe Grandcolas parle de cette biodiversité à développer dans nos jardins.
Philippe Grandcolas : Compte-tenu du nombre de Français qui ont des jardins, on sait qu’ils gèrent de fait une quantité d’espaces naturels non négligeable et pour lesquels il y a pas de contraintes économiques. Je veux dire par là qu’un jardinier n’a pas besoin que son jardin soit rentable à la manière de la production agricole ou maraîchère. Il dispose d’une plus grande liberté.
HF : Que dois faire le jardinier pour favoriser la biodiversité ?
P. Grandcolas : C’est très simple. Quelle que soit la taille de sa parcelle, il est important d’augmenter la diversité de structure et la diversité des espèces présentes avec des variétés locales, c’est-à-dire éviter d’introduire des espèces ornementales exotiques qu’elles soient végétales ou animales. Parce que ça comporte des risques. Les espèces exotiques s’échappent et posent des problèmes divers et variés. Car elles ne sont pas insérées naturellement dans les écosystèmes locaux et le temps qu’elles s’y installent, elles créent des déséquilibres. Sur le temps long et dans des écosystèmes robustes, ce n’est pas si grave. Mais actuellement, la crise qu’affrontent les écosystèmes ne leur permet pas de faire face.
L’idée, c’est que dans un jardin, on essaye d’avoir la plus grande diversité possible à tout point de vue. Des plantes nourricières, fleuries et de toutes les hauteurs. Donc des arbres, des buissons, des espaces herbacés avec le plus d’espèces possibles.
HF : Y a t-il des gestes à éviter ou à recommander ?
P. Grandcolas : En général, je recommanderai la gestion la moins brutale possible. C’est à dire que si on a un espace herbacé, évidemment, il faut s’abstenir de le tondre toutes les semaines parce qu’on trouve que l’herbe est un peu trop haute. Parce que quand on fait ça, on stresse les plantes en question, on va sélectionner sans s’en rendre compte. Et au lieu d’avoir une pelouse dans laquelle il y a une dizaine d’espèces végétales minimum, il ne restera que deux ou trois espèces qu’il va falloir arroser sans arrêt parce que sinon elle va dépérir. On a vraiment besoin d’avoir un rythme de gestion beaucoup plus calqué sur les saisons, avec moins d’interventions et encore une fois une grande diversité d’espèces.
HF : Quels sont les effets de cette diversité dans un petit jardin ?
P. Grandcolas : Plus vous installez d’espèces de plantes, plus vous aurez d’espèces de pollinisateurs. Vous accueillerez plus d’espèces d’insectes qui se réguleront les unes les autres. Vous aurez plus d’oiseaux ou de chauves-souris pour se nourrir de certains de ces insectes. Vos arbres et arbustes produiront également des fruits pour les animaux qui s’en nourrissent et des habitats pour qu’ils s’abritent et se reproduisent. C’est ce qu’on appelle la diversité structurelle.
HF : Comment diversifier l’habitat ?
P. Grandcolas : Un arbre mort dans un coin du jardin ? laissez-le, c’est un immeuble d’habitation. Si vous ne pouvez pas garder des arbres morts qui tombent par terre, posez un rondin de bois et laissez-le pourrir dans un petit coin sous un arbre. Il sera précieux un refuge pour des animaux qui vivent dans le bois mort : bactéries, insectes, certains petits mammifères ; et puis les champignons, les mousses et lichens.
On peut aussi disposer quelques pierres bien exposées au soleil et organiser un endroit où d’autres espèces vont se développer.
Pourquoi des tas de pierres dans les jardins ?
Les reptiles, en particulier les lézards, les habitent. Les hérissons y trouvent refuge aussi. Les algues, les lichens et les mousses qui couvrent les pierres servent de nourriture et d’espace vital aux petits papillons (Setina, Psychidés, noctuelles). De plus, ces places au soleil accueillent souvent les accouplements. La plupart des animaux utilisent ces petits biotopes pour la ponte, le développement larvaire ou pendant l’hibernation. L’idéal est de les installer à proximité d’une haie, d’une lisière, d’une prairie, une écotone (zone de transition entre deux écosystèmes. Pour les reptiles, la distance entre ces micro-biotopes est idéalement de 50 à 100 m.
HF : Est-ce que ça permet au jardin d’être plus robuste ?
P. Grandcolas : Oui, on augmente la diversité structurelle et par conséquent sa capacité à être résilient par rapport aux événements. Donc s’il pleut trop, toute cette végétation va retenir l’eau. C’est mieux que des litres d’eau qui ruissèlent sur un pavement artificiel. S’il ne pleut pas assez, cette végétation contient encore de l’eau et va réduire la chaleur. C’est ce qu’on appelle un îlot de fraîcheur.
Et puis, d’une manière générale, si quelques unes de ces plantes ou de ces animaux meurent, d’autres tiendront et le jardin continuera à exister. Un jardin riche et divers sera plus résistant et aura moins de problèmes qu’un jardin artificiel sur une pelouse californienne.
HF : Faut-il remettre en cause la haie uniforme ?
P. Grandcolas : Si vous décidez de plantez une haie, c’est sûr que oui, si vous en avez une qui existe, il faut le faire au fur et à mesure.
Mais c’est vrai que si on souhaite participer à la sauvegarde de la biodiversité, on a intérêt à planter une diversité d’espèces. Il faut penser la haie naturelle comme on le faisait autrefois dans les campagnes. On y mettait des espèces caduques et persistantes, et des variétés qui produisent des fleurs et des fruits à différentes saisons. Ça peut être des troènes, des noisetiers, des fusains, des charmes, des prunelliers, etc etc. Il y a toute une diversité de plantes qui sont d’autant plus jolies qu’elles fleurissent pendant de longues périodes. Leurs feuillages, leurs écorces, leurs fruits et leurs fleurs en font des espaces luxuriants. Elles contiennent plus de biodiversité et nous rendent plus de services : on y trouve des hérissons qui viendront manger les agresseurs de notre potager, des oiseaux qui mangeront les pucerons ou les autres insectes qui nous posent problème. Bien sûr, on aura peut-être un peu plus d’insectes dans notre maison. Mais il n’y a pas lieu de s’en désespérer. Et puis, si on a quelques moustiques, ce seront des moustiques locaux au lieu d’être des moustiques exotiques qui adorent les surfaces bétonnées et transportent quelques maladies.
Moi, je crois qu’il vaut mieux un habitat végétal dans lesquels il y a des insectes qui nous cassent parfois un peu les pieds, des guêpes, des mouches et des moustiques locaux. Plutôt que d’avoir le moustique tigre en quantité et partout sur le territoire qui lui, risque de nous transmettre la dengue à brève échéance. L’année dernière, on a eu plus de 70 cas de dengue endémiques à la France. C’est loin d’être anecdotique.
HF : Les moustiques sont un vrai problème !
P. Grandcolas : C’est vrai, mais dans un habitat varié, on a beaucoup de prédateurs. Il faut avoir des prédateurs diurnes parce que le moustique tigre n’est pas vraiment nocturne. Avec un bon équilibre, on aura peut être un peu moins de moustiques. Et puis par ailleurs, il faut savoir se protéger, un lit à baldaquin avec une moustiquaire, des répulsifs bio de bonne qualité, ça marche. Claude Grison, une de mes collègues au CNRS, en a mis un au point qui est très naturel et très efficace – c’est mon instant pub – Crusoé. Claude est une chimiste au CNRS et a mis au point des méthodes de traitement naturel des molécules sans danger pour la santé. Elle a trouvé des molécules qui sont moins agressives et plus répulsives. J’aime bien les pots de pelargonium devant les fenêtres mais à certaines périodes de l’année, c’est insuffisant !
HF : Et si on est urbain avec une terrasse ou un balcon ?
P. Grandcolas : On peut bien sûr végétaliser sa terrasse et son balcon. Rien n’empêche de mettre des plantes locales en pot, de composter et n’est inutile en matière de biodiversité. Il y a vraiment un petit équilibre qu’on peut générer localement également sur un balcon. C’est plus limité que dans un grand jardin, mais il y a un vrai bénéfice et l’agrément du contact avec le vivant. On apprécie une jolie perspective devant la fenêtre et on peut en faire un endroit un peu plus frais en été.
Mieux acheter
Mais la plus grande utilité lorsqu’on est citadin réside dans la manière dont on achète son alimentation. Ça, c’est vrai pour tout le monde d’ailleurs. C’est à dire que si on achète en circuit court des produits locaux, on y contribue. Si on choisit des fruits et légumes de saison, si possible cultivés de manière bio, on aide les agriculteurs qui prennent soin de la biodiversité. Et enfin, on peut diminuer sensiblement sa consommation de viande, réserver la somme que l’on dépense en quantité pour acheter de la qualité et encore une fois, soutenir les producteurs qui prennent soin de la terre. On n’est pas obligé d’être végétarien, mais 80 kilos/an de viande en moyenne par français, c’est colossal. Il doit y avoir moyen de manger moins et mieux. Pour les fruits et légumes, c’est pareil. En soutenant les filières locales et les maraîchers qui proposent une plus grande diversité de produits, on favorise la biodiversité des cultures et de notre assiette.
Si on était de très nombreux à faire ça, et c’est tout à fait possible, au lieu d’aller au plus facile et de passer au supermarché, on s’apercevrait que c’est un gros bénéfice. C’est bien meilleur, c’est agréable, c’est bon pour la santé et pour l’environnement.
HF : Comment est-on arrivé à déséquilibrer jusqu’à nos jardins ?
P. Grancolas : Darwin, dès la moitié du XIXᵉ siècle, a expliqué que n’importe quelle espèce vivante, qu’on laisse se reproduire, même peu féconde, a une croissance est exponentielle et couvre la terre entière. Toutes les espèces doivent donc avoir des prédateurs qui régulent cette extension. Une seule d’entre elles a éliminé ses prédateurs, c’est l’espèce humaine. Il ne reste plus que les pathogènes. Ça nous amène à croire qu’on peut tout dominer et tout abîmer. Le Covid nous a un peu rabattu le caquet mais pas longtemps. Et notre mode de domination va générer des conséquences graves, pour nous-mêmes.
On privilégie des croyances techno-solutionnistes. On pense naïvement que chaque fois qu’on fait un progrès technologique, même s’il a des inconvénients, on va trouver d’autres progrès technologiques qui vont résoudre les inconvénients des premiers. Et à la fin, on a généré plus d’inconvénients que de progrès. On le voit aujourd’hui.
Elon Musk en est le représentant caricatural. On se croirait dans le film “Don’t look up“. Le techno solutionnisme se nourrit de cette impression de progrès, sachant qu’il est réel parce qu’évidemment, la santé, le confort pour une partie de la population, ont énormément progressé. Mais il faut se rendre compte du coût de nos progrès. La nature va se déliter. La qualité de l’environnement est en train de se dégrader et quand elle se sera dégradée fortement, que pourront faire les “progrès” dont on est si fiers.
On a juste besoin de changer, et on ne va pas être moins heureux. C’est vraiment un enjeu de taille et la biodiversité, c’est très agréable !