Quentin Derouet a créé une rose à partir de laquelle il développe un processus pictural. Cet artiste travaille en relation avec le cycle du vivant. Il nous explique dans cet entretien de quel manière la pratique au jardin est reliée à sa pratique artistique et relève du soin, de l’attention, de l’observation : une œuvre en phase avec le rythme des saisons.
Quel est le point de départ de ton travail à partir de la rose ?
L’une des premières œuvres où la rose apparaît dans mon travail s’intitule Encore un geste d’amour. Réalisée en 2012, cette pièce consiste en une trace laissée sur un mur en écrasant les pétales d’un bouquet de roses rouges en un seul geste et laisser le bouquet au sol. Cette œuvre est la pierre angulaire de toute une partie de mon travail, car elle questionne profondément les notions de peinture et de trace. Aujourd’hui, il s’agit d’une œuvre protocolaire qui fait partie des collections du Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, où elle peut être activée régulièrement.
En 2015, en repensant à Encore un geste d’amour, j’ai développé un autre projet : la création d’une nouvelle variété de rose, qui serait la plus riche en pigments. Après plusieurs croisements et des centaines de tests, j’ai obtenu cette rose par hybridation. Je la cultive aujourd’hui dans le sud de la France et l’utilise pour réaliser des peintures.
Comment as-tu créé cette rose et conçu ce travail au long cours ?
J’ai commencé par tester des centaines de roses en écrasant leurs pétales sur du papier, afin de sélectionner celles qui offraient les meilleurs résultats en termes de pigmentation. À partir de ces quelques variétés, nous avons procédé par croisements successifs, jusqu’à obtenir une nouvelle variété.
De manière empirique, j’ai commencé à dessiner avec cette rose pour illustrer le projet. Rapidement, je me suis rendu compte que je développais une véritable réflexion sur la peinture : sur la trace, la couleur, la matière, le temps. Depuis, ces recherches constituent le cœur de mon travail.
Le cycle de vie du végétal est central dans ta pratique artistique, impliquant soin et attention envers cette rose. Comment ta pratique au jardin influence-t-elle ton processus de création à l’atelier ?
Les choses se sont mises en place progressivement. J’ai compris que tout l’écosystème, tout le processus, étaient essentiels pour moi. J’aime dire : « Le plus difficile pour moi n’est pas de faire de l’art, mais de vivre de telle manière que l’art naisse sans effort. »
Cueillir une fleur le matin, l’écraser sur une toile après le petit-déjeuner… Cela correspond à mon idéal. Je suis de plus en plus en phase avec le rythme des saisons : je peins davantage au printemps et en été.
Au début, je cultivais une dizaine de rosiers. Aujourd’hui, je déménage mon atelier et n’en planterai qu’un seul. Cette limitation rend la matière plus précieuse et me pousse à accorder encore plus d’attention à chaque geste. Pour moi, ce processus est un rituel, une collaboration intime avec les saisons. Arroser, tailler, cueillir une fleur, peindre, puis laisser les tableaux mûrir au soleil… C’est un équilibre fragile et précieux qui relie mon travail au jardin et à l’atelier.
Quel est ton rythme de travail, en équilibre avec l’entretien de ta roseraie ?
Pour les peintures réalisées avec mes roses, mon rythme est entièrement dicté par celui de mes rosiers. Leur cycle de vie influence directement ma pratique, ce qui me rapproche des saisons et du territoire.
Ta pratique est corrélée au cycle des saisons. Peux-tu nous expliquer comment ?
Oui, absolument. Plus le temps passe, plus mon travail est intrinsèquement lié aux saisons et aux spécificités du territoire. Je peins principalement au printemps et en été avec mes roses.
En hiver, je travaille sur d’autres séries, comme Percées, des toiles noires réalisées avec du brou de noix, du charbon et des restes de cire d’abeille récupérés après la récolte du miel. Une partie de mon temps est aussi consacrée à des projets collaboratifs, notamment la galerie que j’ai cofondée avec mon épouse.
Comment considères-tu cet atelier-jardin ? Est-ce une œuvre d’art en soi ?
Ce jardin, c’est bien plus qu’un simple espace où je cultive des rosiers. On y trouve un écosystème complet : des fruitiers, un potager, des haies, des zones sauvages, mais aussi des espaces de loisirs. Ce n’est pas un lieu uniquement destiné à produire de la matière pour peindre ou se nourrir. C’est une extension d’un idéal : un atelier à ciel ouvert, un espace où observer, prendre soin, célébrer la vie avec des amis, ou simplement laisser vivre les choses.
Tu as en projet la réhabilitation d’une ruine et la préservation d’un terrain. En quoi cet investissement reflète-t-il ton attitude artistique ?
Un jour, j’ai échangé l’argent d’une vente contre un bout de causse sauvage. Ce n’était pas une volonté de possession, mais une envie de protéger ce territoire, d’en faire un lieu d’observation.
Sur ce terrain, il y a une petite ruine que je réhabilite. Mon rêve est d’en faire un lieu hybride : à mi-chemin entre un atelier, un refuge et une chapelle. C’est un rêve d’enfant, une cabane perdue dans la garrigue. Ce territoire est pour moi un immense terrain de jeu et d’apprentissage. J’y récolte du thym, je plante des arbres, mais surtout, j’interviens peu, laissant la nature évoluer.
Tes projets intègrent une dimension relationnelle et la transmission de gestes ou de protocoles. Pourquoi est-ce important pour toi ?
Certaines de mes œuvres, comme Encore un geste d’amour, fonctionnent comme des protocoles. Ce sont presque des recettes, à la manière de celles que l’on suit en cuisine. C’est une manière de transmettre quelque chose d’immatériel, de relationnel, plutôt que purement matériel.
Cette idée de transmission m’intéresse énormément. Mes terrains participent aussi à cette logique. Ils ne sont pas destinés à être exploités, mais à transmettre un idéal esthétique et éthique.
Quelles sont tes intentions lorsque tu proposes ce type d’œuvres ?
À travers une peinture, un jardin, la réhabilitation d’une ruine, ou la récolte de thym, j’essaie de proposer un idéal esthétique et éthique. Une forme de poésie qui laisse des traces, des histoires, des manières d’être.