La Forêt des 2 mondes et la forêt-jardin de Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini

La Forêt des 2 mondes et la forêt-jardin de Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini
La Forêt des 2 mondes et la forêt-jardin de Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini

Dans le Lot, les artistes Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini ont planté une forêt et une forêt-jardin à proximité de leur maison atelier.

Quel est le point de départ de la Forêt des 2 mondes ? Avec quelles intention et philosophie l’avez-vous créée ?

Tout est parti de notre agacement face à l’état des forêts qui nous entourent, souvent défigurées par des coupes rases. Ces lieux que nous aimions parcourir, ou dans lesquels nous travaillions, ont perdu leur beauté et leur richesse. Cela a éveillé en nous l’envie profonde de créer notre propre forêt. Une forêt que nous pourrions préserver, protéger et voir grandir au fil du temps.

Nous voulions aussi créer une sorte de “nid végétal” autour de notre lieu de vie et de notre atelier, une protection naturelle, d’où nous pourrons mieux observer et mieux comprendre la vie qui l’habite, tout en participant activement à sa préservation.

Créer cet écosystème est pour nous une manière de nous rapprocher encore davantage de la biodiversité et de lui offrir un espace où elle peut s’épanouir en toute liberté.

 

plantation d'un jeune chêne
Plantation d'un jeune chêne dans la forêt-jardin de Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini

Une réserve de biodiversité à venir, un refuge. Comment est composée cette forêt (quelles essences ), ce milieu planté, qui se comporte comme une forêt ?

La forêt est composée de 11 essences différentes, choisies en observant les forêts environnantes. Parmi elles, des arbres majestueux, comme le chêne sessile, le chêne vert, l’érable de Montpellier, l’érable champêtre et le tilleul, qui constituent le cœur de la forêt. À la lisière, nous avons planté des arbres à baies, comme l’alisier, le pommier, le merisier et le prunier sauvage, essentiels pour nourrir la faune locale. Pour délimiter symboliquement la forêt, nous avons respecté une ancienne tradition en plantant des tilleuls par groupes de trois aux limites du terrain.

Au centre, nous avons aménagé une clairière qui sera dominée par un cormier, avec un chemin bordé d’arbres à baies pour y accéder.

L’ensemble de la forêt a été pensé pour offrir une diversité de milieux : des zones denses, des espaces plus ouverts et des lisières riches en nourriture, afin d’attirer et de favoriser le plus grand nombre possible d’espèces animales et végétales.

Avez-vous été conseillés ?

Pour réaliser ce projet, nous avons été aidés par l’association Cœur de Forêt, connue pour son engagement dans la préservation et la replantation de forêts en France, mais aussi à Madagascar, en Bolivie, en Indonésie et ailleurs. Leur expertise a été précieuse pour analyser la nature du sol, choisir les essences et optimiser nos plantations.

Nous avons fait une plantation sans visé de production de bois ou de productivité économique. La densité au mètre carré est importante, ainsi les arbres sont mis en concurrence les uns avec les autres. Ce procédé naturel les pousse à grandir plus vite et plus fort, tout en laissant la nature opérer une sélection comme dans une forêt sauvage.

Aujourd’hui, bien qu’elle soit toute jeune, la forêt commence déjà à fonctionner comme un écosystème forestier, nous y avons vu sauterelles, oiseaux, lièvres et chevreuils, et de nouveaux arbres se sont implantés, peut-être, grâce au Geai des chênes. Nous savons qu’un jour, la Forêt des 2 mondes agira comme une véritable forêt, autonome et vivante.

La Forêt des 2 mondes et la forêt-jardin de Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini
La Forêt des 2 mondes et la forêt-jardin de Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini

Quelle intention poétique, artistique et militante développez-vous en prenant soin de ce lieu ?

On avait envie que la forêt fasse un corridor écologique entre trois forêts voisines, un pont entre des écosystèmes fragmentés, mais aussi entre le présent et l’avenir. Car planter des arbres reste un acte d’humilité, c’est travailler pour un temps qui dépasse le nôtre.

Poétiquement, cette forêt est une réparation symbolique de notre lien avec le monde, elle est un geste de gratitude envers la Terre.

Artistiquement, cette forêt est réfléchie comme une œuvre vivante, sur une prairie vierge.

On a premièrement dessiné les courbes de son contour, car on imaginait une interaction naturelle avec le paysage autour, puis on a dessiné son unique chemin, avec une entrée cachée, et sa clairière. Enfin, on a choisi les places de certains arbres en envisageant ce que serait le futur. On a planté chaque arbre en imaginant comment il allait pouvoir interagir avec les autres pour imiter une forêt naturelle. Aujourd’hui nous constatons que, comme chaque arbre a sa croissance propre, il devient une pièce d’un paysage en constante évolution.

Une forêt-jardin pour répondre à l’urgence écologique

La Forêt des 2 Mondes est également une réponse à l’urgence écologique. Ce projet nous a prouvé qu’il est possible, à notre échelle, et grâce à l’entraide, d’améliorer un coin de terre et de contribuer au rétablissement du vivant. Planter une forêt, c’est s’inscrire dans une temporalité large, celle de la nature, de la transmission et des générations futures.

La beauté réside ici dans sa croissance lente, un rythme qui contraste avec celui de notre vie humaine. Cette lenteur nous invite à réfléchir à la patience nécessaire pour bâtir quelque chose qui perdure au-delà de notre propre existence. Planter une forêt, c’est accepter que notre action dépasse nos besoins immédiats.

Cela donne un sens profond à notre démarche, nous apportant la joie et la douceur de participer à quelque chose de bien plus grand que nous.

Pourriez-vous qualifier la Forêt des 2 mondes au regard de votre pratique artistique ? Une œuvre d’art ?

La Forêt des 2 Mondes peut être vue à la fois comme une œuvre d’art et comme un atelier à ciel ouvert. C’est un espace où le réel et sa représentation, comme l’explique Clément Rosset dans Le Réel et son Double, se mélangent intimement.

Cette forêt, en tant qu’œuvre d’art, dépasse la simple beauté visuelle. Elle montre toute la vitalité et la diversité de la nature, et nous fait prendre conscience de la complexité et de l’importance de la vie sous toutes ses formes, tout en restant insaisissable et incontrôlable.

Rosset nous rappelle que le réel est unique, insaisissable, et que toute tentative de le doubler, par une image ou une œuvre, est une mise en abîme de ce qui est déjà là. Ainsi, en créant cette forêt, l’idée n’est pas de reproduire la nature, mais de dialoguer avec elle. On propose une forme tout en laissant la forêt évoluer librement, ce qui est une métaphore vivante de notre pratique artistique, une création qui s’échappe de notre contrôle, se transformant avec le temps, l’environnement, et ses interactions avec le vivant.

Un atelier à ciel ouvert ?

Oui, cette forêt est aussi un atelier à ciel ouvert. Chaque arbre planté, chaque aménagement devient une nouvelle opportunité d’expérimenter et de créer. La forêt fonctionne de manière similaire à notre pratique artistique, où chaque œuvre en inspire une autre, ici chaque observation, chaque interaction avec la forêt des 2 mondes génère de nouvelles idées et projets, créant une continuité organique entre art et nature. D’un coup, tout s’articule et prend forme.

Ainsi, la Forêt des 2 mondes n’est ni totalement une œuvre ni totalement un atelier, mais une rencontre entre le réel et son double. Elle nous pousse à réfléchir à notre place dans le vivant, à accepter l’autonomie de ce que nous créons, et à explorer, à travers l’art, l’infini potentiel du réel qui nous entoure.

La Forêt des 2 mondes et la forêt-jardin de Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini
La Forêt des 2 mondes et la forêt-jardin de Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini

En œuvrant pour cette forêt et pour la forêt-jardin, quelle nouvelle attitude artistique cultivez-vous ?

Nous cultivons, sans doute, une attitude artistique ancrée dans l’observation et la contemplation du vivant, où les récits du passé trouvent une résonance dans le présent. Cette attitude artistique n’est pas nouvelle, mais elle est malmenée dans notre monde en accélération permanente. Elle requiert : patience, écoute, et humilité, elle nous apprend à ralentir, à respecter les rythmes du vivant, et à nous inscrire dans une temporalité plus ample, celle de la nature et des futures générations, développant ainsi une sensibilité à la complexité du monde qui nous entoure.

Cette attention n’est pas seulement un exercice esthétique qui nous pousse à mieux regarder les formes, les couleurs, et les matières qui composent les forêts, mais un chemin vers une meilleure compréhension de la vie, de ses dynamiques et de ses interactions. En nous ouvrant à la beauté simple et authentique de la nature, nous réapprenons à voir, à ressentir, et à célébrer ce qui pourrait sembler ordinaire. Cette attitude artistique ne cherche pas à imposer ou à transformer, mais à révéler, à dialoguer avec le réel tel qu’il est, dans son unicité.

Acte accessible et poétique

Enchanter notre quotidien devient alors un acte accessible et poétique. Par des gestes simples – planter, observer, soigner – nous construisons une relation vivante avec ce lieu, qui nourrit à la fois notre pratique artistique et notre rapport au monde. Nous ne voyons pas cette forêt comme un espace à domestiquer, mais un partenaire avec lequel co-créer, un atelier vivant où chaque détail devient source d’inspiration et d’émerveillement.

La Forêt des 2 mondes et la forêt-jardin de Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini
La Forêt des 2 mondes et la forêt-jardin de Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini

Katia, le végétal a toujours eu une place importante dans tes œuvres. Depuis la création de la forêt-jardin une de tes cabanes y est installée. Quelles nouvelles perspectives vois-tu en entretenant avec soin la forêt-jardin ?

Entretenir la forêt-jardin, c’est d’abord apprendre à mieux connaître les végétaux, ne serait-ce que pour pouvoir les nommer, ce qui permet de les individualiser, mais aussi de mieux en prendre soin et de redéfinir ma relation avec eux. Chaque geste – planter, récolter, observer – devient une manière d’explorer la relation entre ce qui est et ce qui peut advenir, j’ai l’impression de participer à un joyeux processus de métamorphose.

Le “double” symbolique

La forêt est aussi un espace de projection et de transformation. Elle porte en elle un “double” symbolique, celui d’un lieu nourricier, métaphorique et narratif, où la nature et l’humain se rencontrent et se transforment mutuellement. Dans les mythes, contes et légendes, les forêts sont souvent des lieux où le réel devient autre chose : des espaces où le temps et l’espace ordinaires se dissolvent, ouvrant des dimensions magiques ou spirituelles. La forêt est le royaume de l’imprévisible.

La cabane, installée au cœur de la forêt-jardin, agit comme un point de rencontre entre ces deux dimensions. Elle est à la fois ancrée dans le concret – un abri dans le réel – et ouverte à l’imaginaire, évoquant les récits anciens.

C’est une perspective où l’art, l’attention et le vivant se nourrissent mutuellement, ouvrant de nouveaux horizons pour penser et créer.

D’ailleurs, dans la continuité de notre projet de plantation et pour partager ce bonheur, nous envisageons de créer une petite résidence, invitant des artistes de toutes disciplines et de tout âge à se pencher sur le berceau de la forêt et à réfléchir à la manière d’accompagner la naissance du vivant.

Qu’y a-t-il de plus beau que le plaisir de voir naître quelque chose en devenir ?

plantation d'un jeune bois de Sainte-Lucie
Plantation d'un jeune bois de Sainte-Lucie dans la forêt-jardin de Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini
les Katia Bourdarel et Sylvain Ciavaldini

Sylvain, tu as pris un statut d’artiste sylviculteur. Que cela signifie-t-il pour toi par rapport à ta pratique artistique ?

Le choix de prendre le statut de sylviculteur, en complément de mon activité d’artiste, donne un nouveau souffle à ma pratique en la reliant profondément à la nature et à l’écosystème forestier. Ce statut n’est pas qu’administratif, il est une manière de concrétiser mon engagement envers le monde vivant, et d’enraciner mon art dans un dialogue direct avec la nature.

L’artiste s’efforce souvent de faire émerger du sens, de rendre visible ce qui échappe au regard immédiat, tout comme le sylviculteur travaille sur des temps longs, façonnant patiemment des paysages en harmonie avec les cycles naturels. Ce lien avec la forêt me permet de passer d’une vision abstraite à une matérialité concrète : la terre, les arbres, les saisons deviennent les matériaux et partenaires de mon processus créatif.

Dépasser la symbolique

Ma pratique a toujours cherché à explorer les relations entre l’humain et son environnement, à travers des installations immersives ou des œuvres où la nature occupe une place centrale. Le statut de sylviculteur me permet de dépasser la symbolique pour entrer dans une forme de création ancrée dans le vivant. En travaillant la forêt, je ne me contente plus de la représenter : je participe à son existence, à son équilibre. Cela apporte un sens supplémentaire à ma pratique artistique, en donnant une dimension éthique et écologique à mes œuvres.

De plus, cette pratique m’amène à réévaluer ma relation au temps. Là où la création artistique peut parfois s’inscrire dans l’urgence, la sylviculture demande de la patience, un respect des rythmes lents et profonds de la nature. Cet apprentissage du temps long m’inspire une nouvelle manière de penser mes œuvres, en les inscrivant dans une temporalité plus vaste, celle des cycles de croissance, de décomposition et de régénération.

En somme, être artiste sylviculteur, c’est dépasser la simple création d’objets artistiques pour devenir co-créateur du monde vivant, tisser des liens plus profonds avec la Terre et entrer dans un processus de création collaborative avec la nature elle-même.

Forêts comestibles ou jardins-forêts, est-ce une utopie ?

Inscrivez-vous
pour recevoir [Brin d'info]

dans votre boîte de réception,
chaque semaine.

Nous n’envoyons pas de messages indésirables ! Lisez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.

54 Shares
Share via
Copy link