Parme Baratier, artiste, réalise des papiers botaniques à partir des plantes de son jardin. Dans cet entretien, il raconte combien l’expérience au jardin nourrit sa création au quotidien.
Hortus Focus : Quelles sont tes premières expériences avec les jardins ?
Parme Baratier : Mes premières années à Toulouse puis à Aix-en-Provence, en pleine nature, puis le jardin du Languedoc, souvenirs des cernes d’un arbre coupé, de plantations et bouturage avant mon arrivée à Paris et les visites, mercredi, des jardins du Luxembourg, les serres du Muséum national d’histoire naturelle, à l’ouest de Paris, un nouveau jardin, bordé d’un verger, d’une prairie longeant une forêt dans les Yvelines. Plus tard, les jardins associatifs ou partagés, les friches, les bordures, les lisières, la découverte de l’exubérance des jardins botaniques en Espagne. Les paysages poétiques des cousins de ma belle-mère… et la place du langage dans un jardin de noms.

HF: Peux-tu évoquer la création du jardin de ta maison atelier ?
PB : L’ensemble du jardin est divisé en deux parcelles clôturées par des murs, sur la rue et sur le ru. Le premier jardin, dans le clos, se partage entre surfaces ensoleillées pour les agrumes, les rosiers et l’espace à l’ombre : sous le porche et devant l’atelier. À l’arrière, le jardin existant était composé de rosiers, d’un tulipier et d’un ginkgo biloba mâle… Certaines variétés de vivaces asiatiques ont été conservées… certains rosiers ont été déplacés. J’y ai transplanté en 2018 des plantes à papier et des plantes patrimoniales, issues du jardin des Yvelines en 2018 et 2019, d’un jardin associatif du 13e où poussent des mûriers à papier plantés en 2008, et enfin des plantes méditerranéennes transplantées du jardin du Languedoc en 2019.
De nouvelles plantations ont complété la forme actuelle du jardin. Un jardin mobile, en pots, de plantes grasses d’agrumes, de plantes ornementales, d’arbustes à papier occupe le premier jardin clos, entouré des boutures de glycines d’althéa, d’akebia et de jasmin.
Les massifs plantés voient se succéder les plantes, leurs floraisons, leur récolte avant disparition. C’est ensuite le moment de leur valorisation au rang d’œuvre.

HF : D’où remonte ta première expérience avec les plantes, l’intérêt pour la botanique et l’herborisation ?
PB : J’ai trouvé dans les archives familiales l’image d’un jeune enfant qui plante des agaves, dans le jardin volcanique du Languedoc. C’était moi ! C’est à force de jardiner à l’adolescence que j’ai commencé à expérimenter la transformation de la matière végétale : planter, tailler, écorcer et valoriser.
J’ai réalisé mon premier herbier dans le jardin du Languedoc avec l’aide de mon père qui était ingénieur agronome et de ma mère. C’est ensuite que j’ai utilisé les fibres textiles dans le jardin pour créer des feutres. Au fil des recherches techniques, scientifiques, sur la préhistoire, l’histoire des techniques, la botanique et le langage scientifique sont devenus indispensables pour les voyages de recherches. L’ethno-botanique et sa transversalité sont venues enrichir les recherches de plantes utiles des quatre coins du monde.
HF : De quelle manière ton intérêt pour le végétal a-t-il croisé ton travail autour du livre, puis de la photographie ?
PB : J’ai découvert le travail photographique de Karl Blossfeldt, d’Albert Renger-Patzch lors de mes études en Allemagne dans les années 1990. J’ai réalisé une série photographique de plantes à mon retour du Mexique sur du papier photosensible double face. Ces images ont ensuite été pliées pour former des livres à une dizaine d’exemplaires. Ce fut le début d’une recherche et d’un intérêt pour les origines techniques de la photographie, les premiers livres de photographie, la gravure, les planches héliographiques, la photogravure et la photographie imprimée.
Ma recherche s’est inspirée de ces premières représentations photographiques de plantes, mais aussi des empreintes, des reproductions d’herbier en impression naturelle, de l’histoire naturelle imprimée à l’Histoire naturelle photographiée (botanique, horticulture, agronomie) représentée par des livres illustres de Herschel, Talbot, d’Anna Atkins à Lourdes Castro.
Lors de mes premières expositions à la fin des années 1990, les voyages d’études en Allemagne, aux États-Unis et au Mexique m’ont encouragé à créer des livres, à multiplier les images, pour conserver une trace de ces réalisations. Ce sont des livres, calendriers, livres d’ombres et livres photographiques composés de papier photographique double face. Les plantes sont présentes à cette époque dans des photogrammes, des calendriers, des photographies, mais le point de bascule coïncide, me semble-t-il avec la fabrication de ma broyeuse à papier. C’est effectivement à ce moment-là que le raffinage des fibres a rendu possible la réalisation d’impression photographique.
HF : Comment ton propre jardin est devenu ton atelier de création à ciel ouvert ?
PB : Après la fabrication de ma broyeuse transportable à fibres, l’atelier est devenu mobile, les invitations et projets menés à l’extérieur ont permis cette expérimentation à ciel ouvert, pour transformer les plantes sur place. Tout l’atelier étant transportable dans une voiture.
HF : Peux-tu évoquer l’origine de la création des papiers botaniques ?
PB : C’est un long rituel que j’ai amorcé aux derniers jours du siècle dernier en 1999. Capturer l’image de la plante avant de la récolter, transformer la plante en support de l’image, imprimer la plante sur les fibres qui la compose. Les premières épreuves du Languedoc étaient des yucca gloriosa du Languedoc réalisées avec des fibres battues non raffinées. Il y a eu ensuite les iris en Île-de-France, plus fins et faciles à travailler, puis le mûrier de Corée ou du japon, le murier d’Asie du Sud-est, le mûrier de France, le chanvre sarthois, le lin normand, l’ortie de Chine. J’ai pris soin de ne pas mélanger les fibres de plantes distinctes pour réaliser l’impression des gravures, empreintes, photogrammes.
Il convient d’expliquer cette définition, le terme renvoie à l’histoire du livre : et à un article de Anne Basanoff, (« Le Papier botanique », RFHL, 1977, pp. 107-135). Il concerne la fabrication de papiers avec des plantes par Léorier de l’Isle à Montargis à la fin du 18e siècle. Ce livre rare, un recueil de poésie du marquis de Villette a été imprimé en 1784. À la fin du volume se trouve une collection de vingt sortes de papiers composés de racines d’écorce de feuilles de liber et de tiges. En 1802 à Londres, puis plus tard à Caen, il y a eu des impressions de livre sur du papier de paille. Un livre plus ancien imprimé en Allemagne contient lui aussi une suite de papiers singuliers, papier d’amiante ou de nid de guêpes, additionné de pâte de chiffons.


L’usage d’un seul genre de plante pour fabriquer du papier implique un protocole de fabrication fastidieux. Ce protocole a été de tout temps trompé par l’ajout de fibres de chiffons afin d’obtenir une qualité de papier plus homogène. Il a ainsi été défini dans ma recherche de ne jamais mélanger les fibres.
Le langage des fibres se tisse ainsi dans la fabrication de l’image et du titre. La plante est le questionnement de l’aura de cette image composée de ce qu’elle représente. Cette plante devenue matériau fibreux inerte reprend forme et s’incarne dans l’image pérenne de ce qu’elle fut.

HF : Comment as-tu développé cette pratique en relation avec ton attention aux plantes que tu fais pousser, observes et prêtes attention au fil des saisons ?
PB : La création d’un nouveau jardin dans le Vexin en 2018 a intensifié l’influence du rythme des saisons, du cycle des plantes et de leurs floraisons dans les massifs, avec une activité printanière intense et une course à la récolte des fibres jusqu’au premier gel. L’hiver devient le moment de la réflexion, du bureau du graveur à la presse de l’imprimeur.
HF : Quelle attitude d’artiste et de jardinier développes-tu ?
PB : Mon travail d’artiste est une recherche, une interrogation sur le vivant et son cycle. C’est une matérialisation de la représentation du vivant. C’est aussi un questionnement sur la nature et le travail qu’on lui consacre pour la présenter, la valoriser, la protéger.
Les attitudes deviennent des formes d’activités de sauvegarde, d’entretien et de valorisation des végétaux dans le développement de jardins. Le dessin, la photographie, l’impression suivent la collecte, la cuisson et le broyage des fibres. Avec la diversité des fibres, de vues sur le monde végétal et ses usages (textiles, papyrifère, tinctorial), la pratique artistique, le travail artisanal et agricole rejoignent le champ de l’histoire naturelle. Le travail du poète assiste le jardinier dans le langage botanique et le papetier met la main à la pâte pour laisser du temps libre au jardinier. L’imprimeur graveur prend la place du jardinier en hiver.
HF : Comment ton travail artistique relève-t-il pour toi d’une forme d’engagement à la fois poétique et politique ?
PB : Planter des arbres, des arbustes, des plantes, symboliquement, poétiquement, politiquement, c’est créer un jardin clandestinement dans la ville, planter une haie dans un champ, subrepticement. Semer entre les pavés, faire revenir la végétation et la diversité, dans le bitume, les terre-pleins et les friches, c’est planter des racines reliant les cultures aux usages.
J’entretiens avec les plantes, les végétaux, une relation singulière et familière, elle révèle d’un rapport au monde. Participer et accompagner le développement du vivant, c’est suivre une forme de nécessité instinctive à prendre soin de ce monde muet, voir une plante, un jardin, qui grandit. S’adapter à ce rythme, cette horloge biologique instable à force de météo détraquée.
Les échanges, les partages, marcottages et bouturages nourrissent l’expérience, formant une communauté de gens qui partagent ces pratiques, cette attention à la beauté et à la fragilité des milieux naturels.


HF : Quelles sont tes recherches et expériences actuelles autour des plantes ?
PB : Je poursuis le développement du jardin dans le Vexin, et je prépare une nouvelle édition de papiers botaniques pour l’année 2025 que je présente cet automne. Un travail au long cours qui prend la forme de livres, de papiers botaniques et d’une série d’estampes végétales, ces deux dernières années ont aussi été marqué par des incursions dans le paysage, pour changer d’échelle.




